Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 26-12-2019 06:40
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Après Mundos, le général Delphin Kahimbi devient-il le nouveau patron des « présumés ADF/MTM » ? – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Après Mundos, le général Delphin Kahimbi devient-il le nouveau patron des « présumés ADF/MTM » ?

Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu

La région de Beni est confrontée à une série de massacres à répétition et d’une extrême violence depuis octobre 2014. Ces massacres sont attribués à la rébellion ougandaise ADF (Allied Democratic Forces ou Forces démocratiques alliées). Pourtant, après le lancement de l’opération militaire Sokola 1 dans la partie nord du Nord-Kivu, en janvier 2014, cette rébellion a pratiquement été décapitée.

Son chef, Jamil Mukulu, avait fui Beni dès février 2014 et se cachait à Kigoma en Tanzanie où il a été arrêté et extradé en Ouganda en juillet 2015. Il est, depuis, incarcéré. Ses commandants ont été tués l’un après l’autre et le peu de ce qui reste du mouvement se trouve en cavale. En janvier 2015, les experts de l’ONU disaient, dans leur rapport, qu’il ne reste des ADF qu’« une trentaine de soldats, 30 à 40 commandants (qui ne participent pas aux combats), plus des femmes et des enfants. Les soldats n’auraient ni armes ni munitions et seraient privés de sources de ravitaillement et d’équipement »[1].

Ces éléments étaient de nature à constater que les ADF (originels), n’existent quasiment plus et n’ont pas pu se régénérer alors que tout leur fief était passé sous contrôle des FARDC et que leurs chefs avaient été neutralisés. En effet, lors de la visite des Chefs d’états-majors généraux des FARDC et de l’UPDF, l’Armée ougandaise, à Madina, l’un des quartiers généraux des ADF repris à l’époque par le Général Bahuma, les FARDC avaient déclaré que les ADF ont été défaits. Il ne restait qu’environ trois cents combattants isolés, éparpillés et en errance. Et que le reste ne serait qu’une affaire de la Police. Sans moyens de combats et soutiens logistiques adéquats pour poursuivre les combats, avec son commandement décapité, les ADF n’avaient plus opéré des attaques à Beni entre avril et septembre 2014[2], suite aux opérations menées par le feu général Bahuma. Comment expliquer les massacres qui lui sont attribués après le décès de ce dernier et le changement de mode opératoire ? Qui sont les nouveaux tueurs de Beni baptisés ADF/MTM ? Quel rôle joue le général Delphin Kahimbi, le chef des renseignements militaires des FARDC, dans la situation sécuritaire actuelle à l’est de la RDC ? Telles sont les questions auxquelles la présente analyse va tenter de répondre.

Gén. Kahimbi, Kalev et She Okitundu en août 2018 chez Kagame à Kigaki

Qui sont réellement  les ADF originelles ?

Les ADF, autrefois appelées ADF-Nalu (Forces démocratiques alliées – Armée de libération de l’Ouganda), sont une rébellion ougandaise qui sévissait dans la région du « Grand Nord », partie septentrionale de la province du Nord-Kivu, frontalière de l’Ouganda, entre le lac Albert et le lac Edouard, fief de l’ethnie Nande.

Selon les recherches approfondies réalisées par DESC, les ADF sont apparues au début des années 1990 (1992 pour plusieurs sources), de la fusion de deux groupes armés opposés au président ougandais Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986. La composante Nalu (Armée nationale pour la libération de l’Ouganda), qui menait une guerre de renversement du régime de Museveni, a depuis lors disparu. Mais le mouvement a cependant conservé l’appellation ADF en recentrant ses bastions et ses activités principalement à l’intérieur de la RDC, dans la région de Beni, en se congolisant en quelque sorte.

Un moment soutenu par le Soudan, les ADF étaient à l’origine composés majoritairement de combattants musulmans du Tabliqh[3], une secte missionnaire musulmane. Les ADF ont été dirigées entre  2007 et 2014 par Jamil Mukulu, un chrétien converti à l’islam.

Selon un officier supérieur de la Démiap, Mukulu entretenait de bonnes relations avec Joseph Kabila et résidait parfois à Kinshasa aux frais de l’Etat. Les relations entre les deux hommes se sont détériorées pour une question de non règlement d’engagement financier de Kabila auprès de Mukulu. C’est alors que Mukulu va reprendre son maquis à Mayikosa, près d’Erengeti et que Kabila, via le général Delphin Kahimbi, va infiltrer l’ADF en achetant les proches collaborateurs de Mukulu, affaiblir ses bases à Beni et pousser Mukulu à l’exil en Tanzanie.

Selon Jacques Siwako, un ancien combattant de l’APC[4], la branche armée de l’ex-rébellion RCD-ML, dirigée par Mbusa Nyamwisi et soutenue par l’Ouganda, et intégrée par la suite aux FARDC après 2003, qui avait combattu et « vaincu » les ADF[5] : « L’ADF-Nalu est un groupe armé constitué à majorité de musulmans venus de l’Ouganda appuyés par le gouvernement de Mobutu avec un colonel qui était à l’époque basé à Beni, le colonel Mayala[6]. Pour élargir sa base, le groupe a recruté des jeunes Nande à Beni. Ces jeunes n’étaient pas nécessairement musulmans à la base. Après la chute de Mobutu, Mzee (Laurent-Désiré) Kabila les a repris pour son compte et a installé leur état-major à Nairobi (dans un coin qu’on appelle communément Livingston pour ceux qui connaissent Nairobi) où leur officier de liaison n’était autre que l’actuel général FARDC Mundos Akili Muhindo, communément appelé Mundos. Ce dernier coordonnait les opérations avec Jamil Mukulu, l’ancien chef des ADF. Nous avons tenté en vain de les arrêter à plusieurs reprises. Nos services des renseignements étaient informés que ceux-ci continuaient à recruter dans des églises musulmanes de Beni, Butembo, Goma etc. L’ancien gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku fait également partie de cette religion, son vrai nom Ali Kahongya. Ainsi, ce dernier, en complicité avec son allié politique Kabila, avait envoyé son petit frère bien connu sous le sobriquet de KAPLIKO (un musulman radical et chef DGRNK OICHA) à Oicha pour que celui-ci soit en liaison avec Jamil Mukulu pour réceptionner les transferts des ADF ».

Selon une autre source des renseignements militaires des FARDC : « L’ADF est à la base une rébellion ougandaise des Yira de l’Ouganda installée en territoire de Beni depuis 1992 à l’époque de Mobutu, d’où elle menait ses attaques contre le régime de Museveni. A l’origine, la majorité des troupes des ADF/NALU étaient des Nande de l’Ouganda convertis à l’islam. Progressivement, cette rébellion s’est enracinée en RDC en tissant de solides liens et des affinités avec leurs frères Nande de Beni : mariage, business, obsèques etc. » Ces affinités avec certains Congolais ont également été confirmées par les experts de l’ONU qui ont affirmé dans un rapport daté du 20 juin 2012 que « deux anciens combattants des ADF et les services de renseignement ougandais affirment que l’ADF a reçu des virements en provenance de Londres, du Kenya et de l’Ouganda, rassemblés par des intermédiaires congolais à Beni et Butembo, au Nord-Kivu. Les mêmes sources citées par les experts onusiens soutiennent que les ADF se finançaient aussi par un réseau de taxis opérant dans la zone frontalière et tirait profit de l’or et de l’exportation de bois en Ouganda[7].

Des ADF-Nalu aux « ADF/MTM » : changement de mode opératoire depuis le décès du général Lucien Bahuma

Les analyses des modes d’action des rébellions africaines montrent clairement qu’une rébellion s’appuie toujours sur un pays voisin qui lui sert de base de repli et d’approvisionnement logistique. Si les ADF originelles obtenaient le soutien de la RDC pour s’attaquer à l’Ouganda, force est de constater que depuis août 2014, l’Ouganda a cessé d’être la cible des «ADF » new-look. C’est plutôt vers les populations civiles Nande congolaises, musulmans y comprises, que ces « présumés ADF » orientent principalement leurs attaques suivant un mode opératoire différent des  celui utilisé par les ADF originelles.

Dans un document de plan de manœuvre des opérations FARDC reçu par DESC avant le lancement de l’opération Sokola 1 à Beni en janvier 2014, on peut lire ceci :

FORCE : Les ADF sont Estimés à Environ 650 combattants, dont 40% des Congolais. Leurs dépendants sont estimés aussi à 750 personnes, parmi lesquels les femmes et les enfants sont entrainés pour faire la guérilla. Dans les rangs des ADF, on trouve des Ougandais, Burundais, Rwandais et Ethiopiens.

MODE D’ACTION

  • Ils opèrent en petits groupes, tendent des embuscades vers nos positions, dans le but d’infliger le maximum de pertes à nos éléments et se faire ravitailler  en armes et munitions
  • Faire subir aux FARDC des pertes énormes et commettre des exactions graves parmi la population civile afin de contraindre notre gouvernement dans le concert des nations d’exiger un dialogue entre ADF et le gouvernement Ougandais.
  • Ils procèdent à des kidnappings de toute catégorie, jeunes, vieux, hommes et femmes parmi la population civile.

Selon les sources concordantes, jusqu’à ce jour [Ndlr en décembre 2013], il y aurait plus ou moins 650 cas de kidnapping dans la population civile, y compris des personnalités clés comme les 3 prêtres catholiques de Mbau et le médecin de Oicha.

  • Ils utilisent les enfants et les femmes comme boucliers humains pour une publicité négative sur les FARDC
  • En cas de rapport des forces défavorables, ils se dispersent tout simplement dans la forêt et éviter toutes confrontations.

Sous le commandement du feu Général Bahuma, les ADF étaient affaiblies et se sont retranchées dans les forêts, se contentant d’enlever les civils. Curieusement, depuis le décès de Bahuma et son remplacement par « Mundos », ces présumés rebelles semblaient avoir intensifié leurs attaques et curieusement, ils ne s’adonnaient plus aux prises d’otages, leur mode opératoire classique, mais bien à des tueries des populations civiles (même les bébés) et des attaques à l’arme lourde lorsqu’ils affrontaient l’armée régulière ou les forces de la MONUSCO.

Mis en cause par les analyses de DESC et d’autres experts internationaux et sous la pression internationale, Mundos va quitter le commandement de Sokola 1 à Beni pour être muté d’abord à Kalemie puis à Bukavu à la tête de la 33ème région militaire correspondant au territoire administratif de la province du Sud-Kivu. Curieusement, le déplacement de Mundos au Sud-Kivu va coïncider avec l’amplification des conflits armés dans cette province qui avait connu une certaine accalmie relative depuis plusieurs mois.

Général Charles Akili Muhindo « Mundos »

Le général Mundos, le créateur des « présumés ADF » 

Charles Akili Muhindo, dit Mundos, est un Hunde du Nord- Kivu. Tout comme une grande partie de militaires congolais, Akili Mundos n’est pas un militaire de formation à la base[8]. Avant d’être intégré aux FARDC, il était un chef de milice d’autodéfense des Mai-Mai Hunde qui étaient alliés à Laurent-Désiré Kabila[9]. L’adversaire principal des Kabila à l’époque était l’homme politique et chef rebelle  Nande, Antipas Mbusa Nyamwisi qui dirigeait le RCD/K-ML soutenu par l’Ouganda.

Mundos et une petite partie de sa force Maï-Maï ont finalement été intégrés dans les FARDC en 2005 lors du brassage. Refusant que toute sa milice soit intégrée dans les FARDC, interprété comme perte de son pouvoir au niveau local, Mundos s’est donc opposé à une démobilisation/intégration complète d’une autre partie de ses Maï-Maï. Il y voyait de l’intérêt stratégique de maintenir dans la région sa force parallèle en conservant le contrôle de ses combattants Maï-Maï. Après son intégration aux FARDC, Mundos a suivi une formation aux Etats-Unis. En avril 1998, Laurent-Désiré Kabila l’envoie en compagnie de Joseph Kabila en Chine pour y suivre une formation militaire. C’est là que les deux hommes se sont davantage rapprochés. La formation fut interrompue en août 1998 car ils seront rappelés au pays par Laurent-Désiré Kabila lorsque la rébellion du RCD-Goma commença ses attaques. Muhindo a fait partie des éléments formés par les Nord-Coréens au Katanga pour constituer le bataillon Simba, spécialisé dans le terrorisme d’Etat[10]. Il en sera le commandant. Il sera ensuite envoyé en Israël pour suivre une autre formation de six mois. A son retour, en 2008, il sera nommé commandant de l’Opération Rudia visant à traquer les rebelles ougandais de la LRA de Joseph Kony dans l’ex-Province Orientale.

Le général Mundos a été le commandant de l’opération Sukola1 à Beni de septembre 2014 à juin 2015 au moment où curieusement les massacres à Beni ont repris de façon spectaculaire après la destruction de leurs bases par le général Lucien Bauma. Il a été remplacé par le général Mbangu Mashita dont le bilan à Beni n’était pas vraiment négatif, déjouant certains complots internes[11]. Avant d’être nommé commandant de l’opération Sukola 1, Mundos a commandé le 32ème bataillon commando de la GR. Ce bataillon continue d’opérer au sein des opérations Sokola 1, malgré la mutation de Mundos au Sud-Kivu.

Le rapport S/2016/466 du Groupe d’experts des Nations unies du 23 mai 2016 a nommément mis en cause le général Mundos et des officiers[12] des FARDC accusés de fournir armes et munitions aux ADF. Le rapport a également cité des personnes parlant le Kinyarwanda parmi les tueurs de Beni.

« Le Groupe d’experts sait que huit personnes ont été contactées en 2014 par le général Mundos pour participer aux tueries. Trois membres des ADF-Mwalika lui ont fait savoir que des mois avant le début des tueries en septembre 2014, le général Mundos avait persuadé certains éléments de leur groupe de fusionner avec d’autres recrues. Selon eux, le général a financé et équipé le groupe en armes, munitions et uniformes des FARDC. Il est venu à plusieurs reprises dans leur camp, parfois revêtu d’un uniforme des FARDC et parfois en civil. (…) Un ancien combattant maï-maï a également déclaré au Groupe d’experts qu’il avait été recruté par le général Mundos. Il a indiqué que le général l’avait rencontré et lui avait expliqué qu’un camp de formation était en cours de constitution à Mayangose et serait opérationnel dans les semaines à venir ».

« … trois éléments des ADF-Mwalika ont finalement reçu l’ordre de tuer des civils. Le groupe a ensuite reçu des renforts de personnes parlant le kinyarwanda et venant du territoire de Rutshuru et de l’Ouganda ».

Par ailleurs, selon certains opérateurs économiques de Beni, le général Mundos est impliqué dans les trafics d’or, de coltan, de cassitérite, ainsi que dans les ventes de voitures à partir de Dubaï via Beni et du bois précieux exporté au Golfe persique. Il est aussi devenu un fournisseur de cacao à Beni.

La fallacieuse thèse du jihad islamique pour brouiller les pistes sur l’identité des tueurs de Beni

Depuis la vague de massacres perpétrés dans la région de Beni, on constate un changement de rhétorique dans la dénomination des tueurs de Beni. On constate surtout un changement tactique dans les modes opératoires entre les ADF originelles qui étaient dirigées par Jamil Mukulu avant sa fuite en Tanzanie en février 2014 et les actuels « présumés ADF/MTM (Madina à Tauheed Wau Mujahedeen) » que d’aucuns attribuent une allégeance à l’Etat islamique.

Les analystes constatent que les massacres qui endeuillent la région de Béni depuis octobre 2014 marquent une rupture complète avec les intentions déclarées et les pratiques habituelles de l’ADF, davantage orientée vers les enlèvements et les assassinats ciblés de personnes impliquées dans leurs activités commerciales, leurs trafics, et contre les FARDC. Ce sont des massacres à l’arme blanche des populations civiles et des confrontations violentes avec les forces armées congolaises et de la MONUSCO qui constituent le nouveau mode opératoire des « présumés ADF/MTM » qui n’attaquent plus l’Ouganda.

Les autorités congolaises attribuent quasi systématiquement les attaques des présumés ADF à l’internationale du terrorisme islamiste sans en avoir apporté aucune preuve tangible[13].

En avril 2019, l’État islamique (EI) aurait revendiqué sa première attaque en RDC à la suite d’une opération non confirmée officiellement par la branche ADF/MTM dont on dit qu’il aurait des liens, non étayés, avec Ahlu-Sunnah Wa-Jamma, un groupe islamiste implanté dans le nord du Mozambique, ayant fait allégeance à l’État islamique[14]. Selon des informations imprécises, certains membres d’Ahlu-Sunnah (dont beaucoup sont impliqués dans le trafic illégal d’or, de rubis et de bois) seraient formés dans des mosquées en Tanzanie et en RDC. Des liens auraient également été établis entre MTM et Al-Sunnah en 2018, lorsque six membres du MTM ont été arrêtés par les autorités mozambicaines lors d’une descente dans un camp d’Ahlu Sunnah dans le district de Mocimboa da Praia à Cabo Delgado[15]. Ces informations ne montrent pas, par contre, aucune activité armée islamiste de MTM à Beni dans les zones où opéraient les ADF originelles selon des sources de la société civile locale. Avec ces imprécisions sur la présence présumée de l’EI en RDC, il est plus que probable que la mouvance dite « ADF/MTM » ait invoqué le nom d’État islamique comme stratégie de recrutement des combattants ou que ce changement de nom ait été effectué pour attirer l’attention et les soutiens financiers conséquents de l’État islamique ou des pays musulmans comme le Soudan[16].

Dans son étude sur la menace islamique en Afrique des Grands-Lacs, Myrto Hatzigeorgopoulos arrive au constat selon lequel, si l’ADF fut créée par un noyau dur de musulmans radicaux, membres de la secte Tabligh, et si la majorité des combattants qui la composent sont de confession musulmane, le groupe ne semble pas être dans une logique d’expansion idéologique d’un islam radical, et encore moins dans une démarche de recrutement de candidats au djihad[17]. Bien que les activités de l’ADF présentent un facteur d’insécurité majeur pour les populations de l’est du pays, l’ADF ne se situe pas dans la mouvance du terrorisme islamiste et ne participe pas à la « djihadosphère »[18].

Général Delphin Kahimbi

Le général pro-rwandais Delphin Kahimbi, le créateur des prétendus « ADF/MTM » qui sèment la terreur à Beni

Ancien chef d’état-major des renseignements militaires (Ex-Démiap), le général major Delphin Kahimbi, est actuellement Sous-chef d’état-major général chargé des renseignements. Cet ancien combattant de l’AFDL, de l’ethnie havu de Kalehe dans le Sud-Kivu, est né en 1969. Il reste un des fidèles lieutenants de Joseph Kabila. Delphin Kahimbi a connu une ascension militaire fulgurante au sein des FARDC. Formé en transmissions au sein de l’Armée patriotique rwandaise, Kahimbi entretient jusqu’à ce jour d’excellents rapports avec la haute hiérarchie militaire rwandaise et les soldats rwandophones évoluant dans les FARDC. Il fut officier des transmissions de James Kabarebe entre 1997 et 1998 lorsque ce dernier était le chef d’état-major général des FAC. Il devient ensuite directeur des transmissions militaires à l’état-major de la force terrestre dirigée à l’époque par Joseph Kabila. Kahimbi continue d’entretenir plusieurs milices locales dans le désordre sécuritaire entretenu dans les Kivu[19].

De ce fait, le  général Kahimbi dispose d’une forte influence au sein des FARDC pour avoir tissé des contacts avec plusieurs commandants des troupes opérationnelles dont il assurait les liaisons radios lors des opérations militaires. Kahimbi joue en quelque sorte le rôle d’officier de liaison entre Joseph Kabila et Kagame. Il continue d’être négativement très actif dans l’est de la RDC, bénéficiant de la confiance ignorante du nouveau président.

Un officier des renseignements militaires congolais identifie le général Kahimbi comme étant le responsable des recrutements et des financements des « présumés ADF » qui tuent à Beni. Kahimbi a mis en place un réseau parallèle au sein de l’armée qui travaille avec des anciens lieutenants de Jamil Mukulu retournés puis intégrés au sein des FARDC. Ces recrutements se font principalement dans les milieux d’anciens combattants ADF et au sein des milices locales, comme les maï-maï Uhuru[20] et des tueurs rwandophones identifiés comme étant des « Banyabwisha »[21], comme étant le noyau des « présumés ADF/MTM » dont les liens avec l’Etat islamique n’ont pas été confirmés dans le briefing des experts des Nations Unies du 19 décembre 2019[22]. Selon cet officier, quelques semaines avant le lancement des opérations d’envergure annoncées par le président Tshisekedi, Kahimbi a séjourné à Beni. Sur place, il a tenu une réunion militaire. Le même jour, il a rencontré vers 21 heures, à Albertine Hotel de Beni, les responsables des branches « des présumés ADF » à qui il a livré des informations sur le lancement des opérations et sur les sites militaires à éviter. Notre informateur parle aussi d’un réseau d’approvisionnement et de financement des activités des massacreurs de Beni avec de l’argent liquide qui quitte Kinshasa vers Beni, transporté par des militaires et des intermédiaires civils connectés à Kahimbi et Joseph Kabila. Des témoins à Beni seraient prêts à en faire des révélations auprès de la justice pénale internationale.

Outre Kahimbi, il y a le nom du colonel Fabien Dunia Kashindi, qui est de plus en plus cité dans l’organisation des massacres des civils à Beni et des militaires congolais qui se distinguent dans les combats à Beni dont un jeune sous-lieutenant Philippe Mushembula, tué et abandonné avec son unité par sa hiérarchie, sans ravitaillements ni renforts. Dunia est à la tête de la 22ème brigade commando de réaction rapide, appelée Ninja, déployée au front centre dans l’axe Mayengose-Watalinga. Dunia est décrit par plusieurs militaires au front, comme étant un officier très dévoué à Kabila dont il accomplit de sales besognes en éliminant sur le terrain des militaires hostiles aux mauvais choix tactiques leur proposés par leur hiérarchie.

Conclusion et recommandations

Ayant débuté sous-forme d’une rébellion ougandaise contre le régime de Museveni, l’ADF a fini par se congoliser pour ne s’attaquer qu’exclusivement aux populations Nande du Nord-Kivu. Un peuple, qui dérange souvent les intentions géoéconomiques et hégémoniques rwandaises en RDC[23].

Dans cette transformation stratégique des ADF originelles devenues « ADF/MTM » selon les renseignements militaires congolais, les généraux Mundos et Kahimbi, ancienne cheville ouvrière militaire de Joseph Kabila à l’est du pays, restent des acteurs majeurs de l’orchestration de cette terreur à Beni. Pourtant, aucune étude scientifique sérieuse ni rapport d’experts pertinent ne tend à prouver le caractère jihadiste radical des tueurs de Beni. Ces derniers, sont en toute vraisemblance, soit des militaires FARDC proches du Rwanda et agissant sous les ordres de Kahimbi, soit des milices locales entretenues par Kahimbi et Mundos ou des combattants rwandophones et rwandais agissant pour le compte de l’expansion des populations rwandaises à Beni.

La guerre de Beni, selon l’analyste Boniface Musavuli, est menée, sachant que l’ennemi officiellement désigné n’est ni « rebelle », ni « islamiste », ni « ougandais », ni même « ADF », pendant que les populations civiles sont atrocement tuées par des individus dont la description, par les témoins et les survivants, ne correspond nullement à la narration officielle. La question qui se pose, dès lors, est de savoir quelles sont les motivations profondes des acteurs politiques qui véhiculent la narration officielle en contradiction avec la réalité du terrain[24].

Tant que le chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, sera incapable de se faire une analyse neutre et objective de cette situation et qu’il continuera à s’appuyer sur des généraux lui imposés par Kabila, comme John Numbi[25] et Kahimbi, avec l’appui de l’armée rwandaise[26], les massacres de Beni ne cesseront jamais.

Alors qu’il avait déclaré avoir permuté les unités et leurs chefs d’unité au Nord-Kivu, la réalité est que les unités mises en cause continuent de sévir à Beni. Les nouveaux commandants envoyés à Beni, comme le général Jacques Changoliza Nduru[27] et d’autres anciens rebelles rwandophones, sont ceux-là même qui se sont compromis dans les tueries dans la région.

La sécurisation de l’Est de la RDC passe d’abord par une bonne analyse de la menace pour identifier l’ennemi. Elle passe ensuite par un véritable éloignement de plusieurs commandants d’unité, au passé rebelle pro-rwandais ainsi que des unités ex-rebelles pro-rwandaises dans la région. Nous recommandons en outre au président Tshisekedi d’opérer progressivement un réel changement à la tête des FARDC, en se débarrassant des généraux criminels comme John Numbi, Gabriel Amisi Tango Four, le numéro deux de l’armée[28], Delphin Kahimbi, Akili Muhindo Mundos… Ces derniers sont tous sous sanctions internationales qu’il faut maintenir, voire alourdir en les élargissant à la personne de Joseph Kabila. Enfin, la sécurisation de la RDC ne saurait être effective sans une profonde réforme des FARDC qui leur permettrait de devenir une armée républicaine, performante et modernisée, et non une armée des milices[29].

Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC

Références

[1] Rapport S/2015/19 du Groupe d’experts de l’ONU du 12 janvier 2015, p. 7, § 14.

[2] http://afridesk.org/ladf-et-la-presence-de-letat-islamique-en-rdc-a-qui-profite-cette-rhetorique-terroriste-jj-wondo/.

[3] Le Tabligh est un mouvement fondamentaliste de revivalisme islamique créé en 1927 par le théologien indien Muhammad Ilyas dans les Indes britanniques. Son credo repose sur l’idée essentielle que le missionnariat religieux est le moyen le plus efficace de faire « revenir » le musulman à l’islam. Cet islamisme de prédication très prosélyte prône une vision ultra-rigoriste et littérale de l’islam.

[3] Fahey, Daniel, « Congo’s “Mr X”: the Man who Fooled the UN », World Policy Journal, 33:2 (2016), pp. 91- 100, p. 98.

[4] Armée Populaire Congolaise.

[5] Il déclare que l’APC a tué certains grands leaders des ADF, dont leur secrétaire général dans le massif de Ruwenzori à Lume, Kirivatha, Biangolo, Kikingi, Mwalika et Nadui. « La dernière offensive que nous avons menée contre l’ADF avait été conduite par le colonel Hilaire Kombi qui les avait délogés de Mualika, un de leurs grands bastions. Cela avait été mentionné dans un rapport de l’ONU dans lequel on avait écrit : « Ce colonel et sa troupe ont prouvé combien ils combattent avec détermination ».

[6] Nous supposons qu’il s’agit de l’actuel Général Vainqueur Mayala, qui a été le commandant de l’ancienne 8ème Région militaire (Nord-Kivu) au début de la guerre du M23. Suite à l’offensive du M23 à Bunagana, le 6 juillet 2012, le Gen. Mayala et 600 soldats FARDC ont fui à Kisoro en Ouganda et abandonné un énorme stock d’armes lourdes, de munitions et de chars (Virunga News, 6/07/2012). Lire aussi, Jean-Jacques Wondo, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ? (Desc 2014), p.77. Nous comprendrons par la suite qu’il s’agit d’un même stratagème utilisé en 2000 à Pweto par Joseph Kabila lors de la chute de cette ville stratégique pour Laurent-Désiré Kabila, abandonnant un énorme stock d’armement à l’armée rwandaise. Mayala occupe actuellement le poste de Chef d’état-major adjoint chargé des Opérations et renseignements de la force terrestre, comme adjoint du Gen. Dieudonné Banze.

[7] Jeune Afrique, RDC : les rebelles de l’ADF-Nalu, nouvelle menace pour le Nord-Kivu, 17/07/2013.

[8] Mundos est décrit par ses collègues de la GR comme un homme brutal avec de faibles aptitudes de commandement des opérations militaires. Ce sont ses troupes de la GR, faisant preuve de peu de combativité, qui furent mises en déroute et prirent la poudre d’escampette en novembre 2012 lors de la chute de la ville de Goma.

[9] Laurent-Désiré Kabila finançait et pourvoyait en armes Mundos durant la guerre contre le RCD-Goma soutenu par le Rwanda et le MLC de Jean-Pierre Bemba soutenu par l’Ouganda, entre 2000 et 2004.

[10] C’est à la tête de ce bataillon qu’il va mener les opérations d’attaque de la résidence du sénateur Jean-Pierre Bemba en mars 2007.

[11] http://afridesk.org/les-tueries-a-beni-le-general-marcel-mbangu-connaitra-t-il-le-meme-sort-que-mamadou-ndala-lucien-bahuma/.

[12] « Par exemple, un cadre des ADF, un ancien cadre maï-maï, deux officiers des FARDC et un chef local à Beni ont indiqué qu’un colonel des FARDC, Katachanzu Hangi, fournissait les ADF en munitions, uniformes et produits alimentaires. L’une des sources a fait savoir au Groupe d’experts que le colonel Katachanzu avait communiqué aux ADF des informations détaillées sur la position des FARDC à Eringeti afin que les Forces démocratiques alliées puissent s’emparer des armes des soldats lorsqu’ils ont attaqué la ville le 29 novembre 2015 », Rapport/S/2016/466 du Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC, 23 mai 2016, p. 200.

[13] http://afridesk.org/ladf-et-la-presence-de-letat-islamique-en-rdc-a-qui-profite-cette-rhetorique-terroriste-jj-wondo/.

[14] L’État islamique en 2019 a revendiqué la responsabilité d’au moins six attaques extrémistes perpétrées par Ahlu-Sunnah Wa-Jamma au Mozambique. Le 4 juin 2019, l’EI a également revendiqué pour la première fois une attaque dans le nord du Mozambique.

[15] Abdul Rahman Faisal Nsmaba, dirigeant de la mosquée Usafi à Kampala, figurait parmi les détenus.

[16] Voir : Hovil, Lucy et Werker, Eric, op. cit., p. 10; Titeca, Kristof et Vlassenroot, Koen, op. cit., pp. 162, 166-167. Cité par Myrto Hatzigeorgopoulos.

[17] Fahey, Daniel, « Congo’s “Mr X”: the Man who Fooled the UN », World Policy Journal, 33:2 (2016), pp. 91- 100, p. 98.

[18] Myrto Hatzigeorgopoulos, op. cit., p.11.

[19] http://afridesk.org/special-desc-qui-sont-les-securocrates-qui-encerclent-felix-tshisekedi-jj-wondo/.

[20] https://afridesk.org/larmee-rwandaise-en-cours-de-reoccupation-de-lest-de-la-rdc-jean-jacques-wondo/.

[21] Selon Boniface Musavuli, le kinyabwisha n’existe pas. C’est du kinyarwanda. Les populations d’origine rwandaise implantées de longue date dans le territoire de Rutshuru se font appeler Banyabwisha tout comme les Banyamulenge pour se démarquer de l’identité « banyarwanda » devenue trop salie. D’où le kinyabwisha.

[22] https://www.un.org/press/en/2019/sc14058.doc.htm.

[23] https://afridesk.org/larmee-rwandaise-en-cours-de-reoccupation-de-lest-de-la-rdc-jean-jacques-wondo/.

[24] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/rd-congo-les-crimes-de-beni-et-le-220118.

[25] https://afridesk.org/quelles-motivations-strategiques-derriere-lenvoi-du-general-john-numbi-a-beni-jean-jacques-wondo/.

[26] https://afridesk.org/larmee-rwandaise-en-cours-de-reoccupation-de-lest-de-la-rdc-jean-jacques-wondo/.

[27] https://afridesk.org/qui-est-lex-rebelle-upc-et-general-jacques-itshalingoza-nduru-le-nouveau-commandant-de-sokola-1-a-beni-jj-wondo/.

[28] Amisi est le chef d’état-major général adjoint chargé des Opérations et Renseignements. Avec un passé rebelle sanguinaire, Amisi Tango 4, avait contribué à la prise de Goma par la rébellion pro-rwandaise du M23 en novembre 2012.

[29] Les dynamiques centrifuges agissant au sein des FARDC ont pour effet de créer une armée des milices qui n’obéissent qu’à leurs chefs respectifs directs et pas aux autorités hiérarchiques prévues par les structures de l’armée. Lire JJ Wondo, Les Forces armées de la RD Congo, une armée irréformable ?, 2015, p.272.

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2 Comments on “Après Mundos, le général Delphin Kahimbi devient-il le nouveau patron des « présumés ADF/MTM » ? – JJ Wondo”

  • Jean claude Ammemas

    says:

    J ai particulièrement apprécié votre travail d’un bon chercheur des informations. Merci vraiment.

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