Après la crise du coronavirus : quelles possibilités de résilience pour le Congo-Kinshasa
La présente analyse fait suite à notre article publié précédemment sous le titre « Le coronavirus impose une remise en question de la gouvernance mondiale ». Ainsi que tout le monde est en mesure de le constater, nous disions que « À cause du coronavirus, c’est la débandade totale. De la mondialisation de l’économie, c’est désormais la mondialisation de la terreur invisible qui n’a pour cible que l’espèce humaine. En ordre dispersé, les blocs militaro-économiques se sont momentanément disloqués sous l’effet de la panique pour affronter en priorité la mort, qui s’attaque indistinctement aux gouvernants et aux gouvernés, aux riches et aux pauvres. »[1]
Cette crise qui n’était que sanitaire au départ et limitée à la Chine, a fini par embraser en peu de temps tout ce que l’homme a pu construire des siècles durant pour dompter la nature, repousser les limites de l’ignorance et de l’adversité. Même si tout n’est pas anéanti, on assiste chaque jour, en plus des chiffres macabres sur le nombre toujours croissant de décès, à l’effondrement de tous les systèmes qui avaient jusque-là tenu le monde dans un certain confort et un équilibre apparents. Les entreprises se ferment les unes après les autres et mettent en congé forcé leurs employés, les plus beaux stades de sports sont abandonnés sans athlètes ni spectateurs, les plus belles cathédrales et les plus belles mosquées sont devenues des monuments non fréquentées laissant Dieu vérifier le degré de la foi de ceux qui prétendent l’adorer collectivement et individuellement tandis que les plus belles voitures et les plus luxueux avions sont immobilisés dans des parkings et sur des tarmacs.
L’unique ambition qui vaille actuellement la peine est de rapidement voir disparaître ce petit machin qui a mis le monde entier sens-dessus, sens-dessous pour reprendre la vie sur de nouvelles bases. Les défis à relever pour y parvenir étant multiples, les nations qui s’en sortiront avec succès sont celles qui se lèveront du bon pied pour explorer toutes leurs capacités de résilience. « Le mot résilience vient du latin resilientia, mot employé dans le domaine de la métallurgie pour signifier la capacité d’un matériau à retrouver un état initial après un choc ou à une pression continue. Le terme de résilience est un concept de psychologie qui fait référence aux compétences des individus, des groupes, des familles à faire face à des situations délétères ou déstabilisantes : maladie, handicap, événement traumatisant… La résilience est la capacité à sortir vainqueur d’une épreuve qui aurait pu être traumatisante. »[2]
Déjà, il est intéressant d’observer que dans la plupart des économies jusque-là fortes, la crise du coronavirus a fait apparaître des listes des services dits essentiels, jadis non considérés à leur juste valeur et qui constitueront certainement le point de départ de la nouvelle gouvernance. Qu’en sera-t-il pour le Congo-Kinshasa, pays aux ressources naturelles fabuleuses et incomparables, où depuis 1960, la politique politicienne accapare l’essentiel des préoccupations de la classe politique et de l’élite intellectuelle ? La présente analyse se veut une invitation à cette classe politique et à cette élite intellectuelle à réfléchir sur les pistes de résilience basées sur les réalités qui nous sont propres.
La piste éthique du changement des mentalités
Comme inspiré par Mabika Kalanda[3], le Président de la République a même créé agence dénommée Coordination pour le changement des mentalités, ayant pour attribution de lutter contre les antivaleurs. Au-delà des attributions confiées à cette agence, nous pensons que le plus grand combat à mener dans ce domaine consiste à déconstruire la mentalité répandue à l’échelle nationale, selon laquelle tout qui est étranger est beau, bon, efficace et à copier. A cause de cette croyance, non seulement l’homme blanc est considéré comme supérieur et plus intelligent, les Congolais en sont arrivés à craindre les Rwandais, les Angolais et les autres Africains les considérant, par complexe injustifié, comme plus intelligents et plus forts. Et pourtant, des témoignages élogieux sont nombreux sur la performance intellectuelle et professionnelle des Congolais à travers le monde, qui ne puissent justifier pareil complexe.
C’est aussi à cause de ce complexe que n’importe quel Chinois ou Indopakistanais, insuffisamment instruit et débarqué pauvre au Congo, arrive à obtenir en sa faveur des facilités d’investissement là où des hommes d’affaires congolais sont démotivés par toutes sortes de tracasseries administratives. Plus grave est le fait qu’à cause de ce complexe et de la corruption, les intérêts vitaux du pays sont maintes fois sacrifiés lors des signatures des contrats bilatéraux comme ce fut le cas des contrats chinois appelés « Cinq chantiers », de Bukanga Lonzo et de tous les contrats miniers ou des télécommunications.
Parmi les plus grands maux à éradiquer une fois pour toutes, figure également en bonne place la mentalité très répandue dans la population, selon laquelle l’accession d’un citoyen à de hautes charges de l’État ou dans une entreprise publique est avant tout une occasion pour lui de servir les siens, frères et sœurs tribaux, ethniques ou provinciaux. D’où des fêtes organisées par des associations dites « culturelles » en honneur d’heureux promus[4]. C’est ainsi qu’à l’accession du Président Félix Tshisekedi à la magistrature suprême, même des compatriotes bardés de diplômes d’université ont été démasqués dans leur hypocrisie de nationalistes, faisant la promotion du slogan « Bukalenga mbuetu » (le pouvoir est nôtre) et défendant publiquement ou en privé des idées honteusement ethnocentriques.
A cause de cette mentalité, des cabinets ministériels et des directions des entreprises publiques se retrouvent transformées sans scrupule en mini villages tandis que la caisse de l’État est confondue à un patrimoine clanique ou familial. Les résistances au changement, les déclarations ethniques de soutien, voire des outrages à la magistrature au sujet des enquêtes menées par la justice contre certaines personnalités trouvent leur source dans cette mentalité. On se souvient des déclarations de soutien à Albert Yuma par des notabilités katangaises au sujet de l’affaire dite des 200 millions de dollars de la GÉCAMINES : « Tout en dénonçant le vil acharnement contre un de leurs dignes fils, Albert Yuma, président du Conseil d’administration de la Gécamines, les communautés de l’espace katangais ont mis en garde tous les détracteurs. Et de rappeler le dévouement dont il a fait preuve pour la transformation de la Gécamines et sa participation active dans l’élaboration du Code minier révisé. »[5]
Des réactions tribalo-partisanes du même genre ont été récemment enregistrées du côté de Bukavu du fait de l’arrestation et de la détention de Vital Kamerhe au sujet des enquêtes que mène le Parquet général de Kinshasa/Matete dans le cadre du programme de 100 jours : « Des manifestations de colère pour exiger la libération du président national de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) Vital Kamerhe ont rebondi ce lundi 13 avril 2020 dans certains endroits de la ville de Bukavu. Tôt le matin, certains militants et jeunes de Panzi ont placé des barricades avec des pierres et pneus brûlés sur la route Panzi-Essence. Même situation à Kalengera sur la route Bukavu-Kavumu. Selon Éric Mutembezi, vice-président de la jeunesse en charge de mobilisation au sein de l’UNC Sud-Kivu, la principale revendication est la libération de Kamerhe.»[6] C’est comme si, pour être bonne et impartiale, la justice doit aller voir ailleurs, quel que soit l’opprobre que peut faire traîner notre leader sur toute la communauté.
Plutôt que de scandaliser et de révolter l’opinion, les acquisitions immobilières et automobiles illicites, de même que les extravagances financières de certains compatriotes, longtemps encouragées par l’impunité sur le plan judiciaire, suscitent l’admiration et le vedettariat dans le quartier, dans les médias et auprès des artistes musiciens. Pour cette raison, le changement de mentalités devrait être un travail de fond commençant par le système éducatif qui doit incorporer dans les manuels d’histoire, de sociologie et de civisme toutes les bonnes valeurs africaines et congolaises. Le point de chute de ce programme de changement des mentalités devrait être la justice, dans sa mission de dissuader par la répression.
La piste normative
Le non respect des textes et de la parole donnée est l’un des fléaux auquel on ne fait pas beaucoup attention, mais l’on ne se demande pas du tout ou suffisamment pourquoi cette propension pour les Congolais à violer les textes de loi et à privilégier des conciliabules et des arrangements. L’exemple le plus frappant est celui de la Constitution, dont la violation depuis 1960 à nos jours, est source de toutes les crises de légitimité, elles-mêmes à la base de conflits armés et du retard dans tous les programmes de développement. Non seulement que ces crises institutionnelles sont délibérément créées, tout est mis en œuvre pour les entretenir afin de privilégier des solutions précaires mettant au devant de la scène ceux-là mêmes qui ont démérité de la confiance du peuple. C’est ainsi qu’en plein combat contre le coronavirus, une crise institutionnelle en gestation a failli mettre en péril toute la nation, occupée à implorer les cieux pour que l’impitoyable virus disparaisse du territoire national.
Pour une résilience réussie, nous estimons nécessaire un temps d’arrêt pour recenser des lois devenues désuètes pour non-conformité à la modernité ou aux aspirations légitimes de la population. Tirant les leçons du coronavirus, il serait important de revisiter et de vulgariser dans toutes les langues nationales les lois ayant un impact direct sur le développement rural, la santé, l’hygiène, l’éducation et l’agriculture, etc. « Il ne s’agit pas évidemment de vulgariser toutes les lois qui sont votées au parlement et promulguées par le Président de la République. Mais parmi elles, quelques unes comme la Constitution, le code électoral, le code de la famille, les lois de procédure, les lois répressives ou celles qui concernent les conflits fonciers et contractuels méritent d’être suffisamment vulgarisées du moins dans certaines de leurs dispositions. Cette tâche incombe principalement aux pouvoirs publics, plus précisément à la Présidence de la République, qui a d’ailleurs sous sa gestion le Journal officiel ainsi qu’au Ministère de la justice. L’œuvre du législateur n’a de sens que si elle produit les effets à l’égard de ceux pour qui elle a été adoptée. Il n’existe pas d’autres manières de faire mieux connaître une loi que de la vulgariser non pas juste par sa promulgation mais surtout par sa publication selon un mécanisme et les formes adoptés par chaque État. »[7]
Ainsi que tout le monde a pu l’observer, le gouvernement congolais a été surpris sans texte législatif organisant de manière efficace les catastrophes de quelle que nature que ce soit et, surtout, celle encadrant l’état d’urgence. D’où, un plan de sortie de crise devrait être élaboré priorisant des services essentiels à l’instar de ce qu’on observe actuellement dans la plupart des pays avancés.
Nécessité d’élaborer un plan de sortie de crise
Au Congo-Kinshasa, c’est la politique qui vole la vedette à tous les sujets de conversation et même d’échanges dans les réseaux sociaux. Si ce n’est pas pour parler de tel leader en mal de positionnement, c’est de la naissance d’un parti politique qu’il s’agit et qui rejoint ou quitte telle plateforme au regard des circonstances et des enjeux du moment. Plutôt que d’être un service, la politique est devenue une carrière dans l’imaginaire populaire avec pour conséquence que dans les provinces, nombreux sont des opérateurs économiques qui abandonnent leurs petites et moyennes entreprises pour se lancer dans la politique, convaincus qu’elle enrichit plus rapidement que l’agriculture, l’élevage ou tout autre investissement à moyen ou à long terme. Pour demeurer longtemps en politique, de plus en plus d’hommes politiques n’hésitent pas à plonger leurs mains dans les caisses de l’État afin d’amasser suffisamment d’argent afin d’assurer les arrières par l’achat des sièges au sein des institutions à mandat électif. Pour d’autres, c’est l’occasion de combler leur retard académique en embrassant les études hypothétique de Droit censées, selon eux, leur faciliter l’exercice de leurs fonctions.
Mais quand le coronavirus débarque au Congo, il trouve le pays est embourbé dans des scandales de détournement des millions d’argent engloutis dans des poches des particuliers non inquiétés par la justice, alors que le peuple broie du noir ne sachant à quel sait se vouer. Pendant ce temps, le gouvernement peine à faire face aux grèves de certaines catégories sociales dont les professeurs d’université et les magistrats. Devant le fait accompli, la population et les autorités se rendent alors à l’évidence non seulement qu’il existe des catégories professionnelles plus vitales que les acteurs politiques, mais qu’il n’y a même pas d’argent pour combattre le redoutable et « impartial ennemi » qui ne fait pas de distinction entre leaders politiques et partisans, entre chrétiens et païens, entre fanatiques et adversaires, entre riches et pauvres, entre CACH et FCC ou LAMUKA. Dans un pays où tous les fondamentaux d’un État moderne avaient quasiment disparu, tout le monde a été pris au dépourvu de mettre en œuvre un plan de riposte efficace contre le coronavirus :
- Insuffisance et non équipement des structures médicales ;
- Non qualification du personnel soignant pour ce genre de catastrophe ;
- Difficulté de confiner une population vivant au jour le jour ;
- Lavement des mains sans eau potable pour la majorité de la population ;
- Entassement et promiscuité de la population dans les villes et précarité des moyens de transport, avec comme conséquence, l’impossibilité de faire respecter la distanciation sociale ;
- Règles d’hygiène jamais appliquées en temps normal, etc.
En dépit de ce qui précède et loin de considérer qu’on est en face d’une fatalité, le Congo-Kinshasa a plusieurs atouts pour une résilience rapide, à condition cette fois que les autorités s’abstiennent de faire du copier-coller et comprennent la nécessité de dresser une liste des priorités qui tiennent compte des réalités congolaises et des aspirations réelles du peuple. Il s’agit de :
construire et d’équiper au moins deux hôpitaux modernes dans chaque province ;
achever le programme de construction ou de réfection des routes nationales et de desserte agricole pour faciliter la circulation des personnes et des biens ;
faciliter les investissements dans le domaine agro-pastoral pour notamment récupérer la première place dans la production de certains aliments ;
planifier, à cours et à moyen terme, la desserte en électricité et en eau potable sur toute l’étendue de la République ;
construire plusieurs écoles techniques de formation des pompiers, des menuisiers, de charpentiers, de maçons, d’infirmiers et autres professionnels de la santé ;
interdire le morcellement de parcelles dans les villes et autres centres urbains (source d’entassement et de promiscuité de la population) ;
revisiter la réglementation en matière d’hygiène en renforçant les sanctions contre toute violation, notamment en supprimant tous les marchés pirates des aliments exposés à même le sol ;
combattre l’exode rural en rendant les conditions de vie plus attractives dans toutes les provinces sur base des réalités et des aspirations locales ;
annuler, toutes affaires cessantes, pour cause d’enrichissement illicite, des lois et autres règlements accordant des salaires à vie à des individus dont les fonctions politiques ne constituent pas une carrière ;
encourager la justice à ramener dans le patrimoine de l’État des sommes d’argent et des biens meubles et immeubles illicitement détenus par des tiers au pays et dans les paradis fiscaux ;
Construire des établissements pénitenciers à sécurité maximale pour la détention et la rééducation des criminels en cravates qui ont causé tant de torts au pays ;
réduire la dépendance du pays à l’importation et à la consommation des aliments transformés d’origine animale ou végétale ;
encourager la consommation des aliments traditionnels et biologiques en se référant aux recherches de la faculté des sciences sous la direction du professeur Théophile Mbemba Fundu.
Conclusion
Pendant que le coronavirus continue de décimer l’espèce humaine, de prouver à l’humanité ses limites scientifiques et technologiques, le monde ne se décourage pas pour autant et ne considère pas se trouver en face d’un événement apocalyptique à même de mettre définitivement fin à la vie sur terre. Des hommes et des femmes plus dévoués sacrifient leur temps à trouver rapidement le vaccin ou les médicaments appropriés. Ces recherches font partie des plans de sortie de crise exploitant toutes les capacités humaines de résilience. Ça et là, des États commencent à assouplir les mesures de confinement en tenant comptes des réalités sociales et, surtout, de ce qui est jugé vital et essentiel.
Ce n’est un secret pour personne qu’au Congo-Kinshasa, c’est la politique qui était devenue la préoccupation essentielle de la classe politique, de l’élite intellectuelle, des médias et de l’opinion publique en général. Puisque le coronavirus nous contraint de souffrir ensemble et de mourir indistinctement sans honneur, l’heure a sonné de regarder dans la même direction, comme fils et filles d’une même nation pour découvrir, en dehors de la politique politicienne, ce qui est réellement essentiel et prioritaire pour la majorité. De nombreux atouts s’offrent à nous, qui constituent nos capacités de résilience. Cette crise sanitaire devrait inciter la classe politique et l’élite intellectuelle à réfléchir profondément sur un plan général de sortie basé sur les réalités nationales, les aspirations légitimes de la population et les atouts dont dispose le pays.
Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend,
Juriste & Criminologue
Références
[1] Kongolo, JB. 2020, Le coronavirus impose la remise en question de la gouvernance mondiale, In https://afridesk.org/le-coronavirus-impose-la-remise-en-question-de-la-gouvernance-mondiale-j-b-kongolo/.
[2] Wikipedia, In https://www.passeportsante.net/fr/psychologie/Fiche.aspx?doc=resilience.
[3] De La décolonisation mentale. Mabika Kalanda et le XXIème Siècle congolais, Sous la direction de José Tshishungu Wa Tshisungu, Éditions Glopro, Toronto, janvier 2016.
[4] Kongolo, JB, 16 février 2019, L’apolitisme hypocrite des associations culturelles congolaises. http://afridesk.org/lapolitisme-hypocrite-des-associations-culturelles-congolaises-jean-bosco-kongolo/.
[5] Adiac-congo.com, In http://www.adiac-congo.com/content/affaire-gecamines-ventora-les-notables-katangais-denoncent-lacharnement-contre-albert-yuma.
[6] https://www.7sur7.cd/2020/04/13/bukavu-de-nouvelles-manifestations-pour-exiger-la-liberation-de-kamerhe-plusieurs-routes
[7] Kongolo, JB, 2015. La démocratie et l’État de droit passent par la vulgarisation des lois, In https://afridesk.org/la-democratie-et-letat-de-droit-passent-par-la-vulgarisation-des-lois-jean-bosco-kongolo-m/.