Alors qu’affaibli militairement, pourquoi le M23 menace-t-il de reprendre Goma?
Par Jean-Jacques Wondo
Dans une déclaration faite ce samedi 3 août, Bertrand Bisimwa, président de la rébellion M23, a menacé de reprendre Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu. « Si le gouvernement de Kinshasa ne respecte pas la déclaration du 24 novembre 2012 des chefs d’Etat de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), nous allons marcher sur Goma« , a-t-il indiqué. Il a précisé le dimanche 5 aout à l’agence de presse chinoise Xinhua que son mouvement a respecté ses obligations, avec le retrait de la ville de Goma. « Comme Kinshasa ne respecte pas ces engagements, alors dans ce cas, nous avons le pouvoir de revoir nos positions et de les ramener dans la ville de Goma« , a-t-il poursuivi.
Comment interpréter cette nouvelle rhétorique guerrière au moment où ce groupe vient de subir une série de revers militaires symboliques de la part des forces loyalistes congolaises ?
1°) La première tentative de réponse réside dans la double stratégie appliquée par ce mouvement, brandissant tour à tour, en fonction de la situation militaire sur le terrain, l’argument diplomatique par les négociations et l’option militaire. Si cette dernière a été son point fort jusqu’à la fin de l’année 2012, à la suite de sa prise de Goma le 20 novembre, les situations diplomatique et militaire semblent plutôt jouer en sa défaveur, malgré sa victoire militaire certes, mais qui se transforme peu à peu en défaite stratégique (pour le M23 et son parrain rwandais) comme j’ai eu à l’expliquer dans une précédente analyse.
2°) L’escalade militaire qui amena le M23 à prendre la ville de Goma sans résistance des FARDC, le 20 novembre 2012, lui a servi d’atout pour forcer Kinshasa aux négociations politiques. En effet, fort de ce succès militaire qui mit également à nu l’échec de la MONUSCO, le M23 va exiger des négociations directes avec Kinshasa.Placé dos au mur et avec une armée en débandade, victime entre autres de trahisons internes émanant parfois du sommet de l’armée, le président Kabila dû accepter au début de décembre 2012 le principe de négociation avec le M23. Une concession coûteuse sur le plan politique pour Kinshasa, qui reconnait par là même la légitimité du M23 et sa « congolité » (Le Monde, Hors-série, le Bilan du Monde – Economie & Environnement, Mars 2013, p.170) que plusieurs rapports de l’ONU ont pourtant démontré l’implication du Rwanda et de l’Ouganda dans le conflit, les accusant de soutenir politiquement, financièrement et militairement la rébellion. Et pourtant, jusqu’à ce jour, la majorité de l’opinion publique congolaise ne voit pas l’opportunité pour le Gouvernement d’aller négocier avec un groupe considérée comme la marionnette du Rwanda.
C’est ainsi que le gouvernement congolais et le M23 vont entamer le 9 décembre 2012 des pourparlers de paix à Kampala, sous l’égide de la CIRGL. Des négociations qui ont permis de signer un cessez-le-feu, ayant entraîné une accalmie relative sur le terrain durant six mois entre le 1er décembre 2012 jusqu’à la mi-mai 2013 lorsque les belligérants ont repris les hostilités, sans aboutir à de réelles avancées politiques. Toutefois, la situation sécuritaire dans l’est du Congo était restée précaire malgré le retrait déguisé du M23 de Goma. Ces six mois ont permis quelques avancées sur le plan diplomatique pendant que les deux camps, FARDC et M23, continuaient chacun à se renforcer militairement. Le M23 consolidant en plus son implantation administrative dans les territoires sous son contrôle au Nord-Kivu.
Le 24 février 2013 sous l’impulsion du Secrétaire général des Nations unies, l’accord-cadre sur la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo dans la région des Grands-Lacs va être signé à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, par six chefs d’Etat africains de la région. Dans la foulée de la signature de cet Accord, le Conseil de sécurité des Nations unies va voter le 28 mars 2013 la résolution 2098 renforçant le mandat de la Monusco par la création d’une brigade spéciale d’intervention d’environ 3.069 hommes fournis par la Tanzanie, le Malawi et l’Afrique du sud, chargée d’une mission offensive contre les forces négatives écumant dans l’est du Congo, dont le M23. Panique dans les rangs du M23 et au Rwanda.
La pression exercée par la communauté internationale sur Kinshasa pour traquer Ntaganda (considéré par le président Kabila comme un acteur majeur dans la recherche de la paix) va conduire à une scission en fin février 2013 au sein de la direction du M23, opposant d’un côté l’un de ses fondateurs, Bosco Ntaganda (et son chef politique Jean-Marie Runiga) et de l’autre côté, son chef militaire, Sultani Makenga. Les deux factions vont se livrer à une bataille rangée. Makenga va vaincre les hommes de Ntaganda et destituer Runiga de ses fonctions de représentant du M23 dans les négociations de paix avec le gouvernement congolais à Kampala. Après de nouveaux affrontements au mois de mars, les combattants de Ntaganda vont capituler. Ntaganda, Runiga, plusieurs autres hauts gradés et plus de 700 combattants vont s’enfuir vers le Rwanda. Le 18 mars, Ntaganda se livre lui-même à l’ambassade des États-Unis à Kigali où il demande à être transféré à la Cour pénale internationale pour être jugé de présumés crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour lesquels il était sous le coup d’un mandat d’arrêt.
Cette crise va considérablement affaiblir la capacité militaire du M23. Selon le rapport intermédiaire du Groupe d’Experts de l’ONU sur la RDC du 20 juin 2013 : « La chute de Bosco Ntaganda aurait fait perdre au M23, non seulement les quelques 800 hommes qui lui étaient encore fidèles », mais aussi des réseaux de recrutements qu’il aurait mis en place, notamment au Rwanda, avec l’aide de certains membres de l’armée rwandaise. Pendant la bataille entre les deux factions du M23, le Rwanda aurait soutenu celle dirigée par Sultani Makenga.Quant à Ntaganda, celui-ci aurait craint pour sa vie. S’il s’est rendu à l’ambassade des États-Unis à Kigali avec l’aide de sa famille, c’est, semble-t-il, à l’insu des autorités rwandaises. Depuis, ‘le recrutement du M23 au Rwanda a diminué’ ».
3°) La mise en place laborieuse de la brigade d’intervention de l’ONU et la crainte du M23 d’en devenir la cible va le mener à d’abord entreprendre une offensive diplomatique à la fois dissuasive et de charme auprès des pays pourvoyeurs des troupes de la brigade d’intervention, menaçant de s’attaquer à la brigade tout en dépeignant l’image des FARDC remplies de violeurs et pilleurs. Sur le terrain, dans une subtile stratégie de mettre les enchères plus hautes, le M23 va pousser les FARDC à l’escalade le 20 mai 2013 par la reprise des combats. Le passage de Ban Ki Moon dans la région, du 23 au 25 mai, va permettre de baisser quelque peu la tension. Mais l’accalmie reste fragile car la situation pouvait se dégrader à tout moment. Les deux camps s’accusant réciproquement de provocation, d’arrestations arbitraires et d’intimidations, vont profiter de cette courte trêve pour se renforcer militairement. Les sources de l’EUSEC ont signalé un déploiement préventif de huit bataillons supplémentaires des FARDC au Nord-Kivu dans les jours qui ont précédé les affrontements du 20 mai 2013. La société civile locale va accuser le Rwanda de continuer à soutenir le M23 par le recrutement des jeunes au départ du Rwanda. Des faits corroborés par un rapport d’experts de l’ONU du 20 juin 2013.
4°) Un nouveau cycle de violence va se mettre en place en fin juin 2013 malgré la trêve fragile instaurée. Cette polarisation de la tension va amener le M23, dans un baroud d’honneur, à attaquer le 14 juillet 2013 les positions tenues par les FARDC à Mutaho et Rusayo, deux localités situées à 10 Km au nord-ouest de Goma. Selon, le porte-parole du gouvernement congolais, M. Lambert Mende, les combats ont fait cent vingt morts côté rebelle et une douzaine d’éléments capturés. Une dizaine des militaires FARDC ont aussi été tués, selon le bilan provisoire qu’il a publié. Le ministre Mende va dénoncer une attaque de l’armée régulière rwandaise, sous couvert du M23. (Okapi, 15 juillet 2013).
5°) Un nouvel épisode de violence se mettra en place en juillet 2013, marqué par de bonnes performances des FARDC contre un M23 affaibli, selon le rapport intermédiaire du Groupe d’Experts de l’ONU sur la RDC du 20 juin 2013. Des FARDC réorganisées, avec l’envoi dans la ville de Goma de deux bataillons (322è formé par la Belgique et un bataillon de la garde républicaine) et un bon soutien logistique en plus d’une motivation financière assurée par le chef d’état-major ai, le général d’armée François Olenga. Ce qui va mettre sérieusement en difficulté le M23. Acculé militairement, le M23 se sachant qu’il ne pourrait tenir militairement, à la fois contre les FARDC, les FDLR et la Brigade de la Monusco qui commençait ses premières patrouilles dans la ville de Goma pour rassurer la population locale, malgré les doutes de cette dernière sur son efficacité, va plutôt déployer l’offensive diplomatique, avec le Rwanda aidant, en démontrant le soutien, certes, des FDLR aux FARDC et le non respect des engagements de Kinshasa de poursuivre les pourparlers de Kampala. Alors que Kinshasa s’attendait à une condamnation ferme de John Kerry lors de la réunion spéciale du 25 juillet à l’ONU sur la crise congolaise, elle se voit renvoyée dos à dos face au M23. Ce qui rassura quelque peu le M23 et lui redonna un peu confiance.
6°) Par ailleurs, juste au moment où le M23 subissait la loi de la puissance de feu des FARDC, un étrange ballet diplomatique se mettra également mis en place, pourquoi, pour quoi faire et au profit de qui? D’abord une visite à Kinshasa du président kenyan, Uhuru Kenyatta, à son homologue congolais. Ce dernier venait de rencontrer quelques jours auparavant à Nairobi les présidents Museveni et Kagame, dans une tripartite consacré ‘en principe’ à un renforcement d’échanges commerciaux et au développement des infrastructures régionales. Vu la tension dans la région, ile ne pouvaient pas ne pas parler de la crise congolaise. Puis une visite à Brazzaville, la capitale de l’autre Congo, de M. Kabila au président Denis Sassou Nguesso, qui assure jusqu’à la fin de cette année la présidence tournante de la CIRGL, grand acteur dans les tentatives de résolution de cette crise. Un Sassou Nguesso qui, depuis la veille des élections RD Congolaise de novembre 2011, s’est diplomatiquement et économiquement rapproché du Rwanda. Pour prendre leur grand voisin en étau ? Mais ce que les analystes ont constaté est que depuis ces navettes diplomatiques, la situation militaire sur le terrain s’est brusquement calmée, à la surprise générale, alors que l’ascendance militaire des FARDC aurait pu le permettre de réduite en miettes le M23. Durant cet épisode de contreperformance militaire, le M23 n’avait plus d’autre discours que « privilégier » la résolution pacifique de la crise par les pourparlers de Kampala, au point mort depuis mai 2013. Evidemment, c’était pour gagner du temps et se réorganiser militairement afin de revenir à sa rhétorique belliciste adorée dès qu’il se sentira un peu plus revigoré, après avoir restructuré ses réseaux de recrutement au Rwanda et en Ouganda et terminé le cycle de mise en conditionnement militaire de nouvelles recrues, aptes au combat. C’est ce qui expliquerait sans doute la fameuse sortie médiatique de son président Bisimwa.
7°) Surtout qu’il y a une subtilité dans l’ultimatum lancé dernièrement par l’ONU de menacer d’attaquer « les détenteurs des armes » à Goma, qui ne se comptent pas uniquement du côté du M23 (quoique infiltré dans la ville). Cet ultimatum vise bien les groupes d’autodéfense locaux, dont les FDLR et les Maï-Maï, qui constituent un de fer de lance aux côtés des unités spéciales des FARDC dont la neutralisation constituerait une réduction de la capacité de feu et de la combativité des forces loyalistes. Un avantage que le M23, renforcé entretemps par les derniers recrutements opérés au Rwanda, veut mettre à profit en brandissant la menace, qui ressemble plus à un coup de bluff psychologique, pour amener à nouveau Kinshasa à s’asseoir dans la table des négociations à Kampala. Une négociation dont la conclusion semble difficile pour le pouvoir de Kinshasa de plus en plus mis sous pression de l’opinion publique congolaise de mettre fin à cette mascarade qui se présente comme une subtile stratégie des ruptures et continuités – une ultime diversion de mauvais goût – d’autant que cette crise révèle que les enjeux d’aujourd’hui sont les mêmes que ceux poursuivis hier par les rébellions issues les unes des autres depuis l’AFDL.
Ce que les gens doivent comprendre est qu’à un certain moment, la recette ne marche plus. Le peuple congolais a cessé d’être dupe et qu’il est temps de changer absolument de fusil d’épaule en adoptant un autre paradigme global et géosystémique (développé par le président Kikwete) de la résolution de la crise plutôt que poursuivre l’hypocrisie dans laquelle la communauté internationale et les acteurs sur le terrain veulent à nouveau faire endormir les congolais sous le volcan des négociations de Kampala qui finira, si jamais Kinshasa cède à la pression, comme les précédents accords conclus et feront à nouveau couler d’autres laves mortelles à l’est du Congo, principalement.
Espérons que le Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangère belge, M. Didier Reynders, attendu ce dimanche à Kinshasa, défendra une approche globale de la crise régionale, incluant notamment la nécessité pour le régime rwandais de négocier directement avec les FDLR, contrairement à son homologue de la Coopération au développement et compatriote, Jean-Pascal Labille, qui a rejeté l’idée de négociation directe entre Kigali et les FDLR : «Nous devons rester prudents lorsqu’il s’agit de traiter la crise au Congo si nous devons trouver une solution. Je ne suis pas tout à fait sûr du contexte dans lequel le Président tanzanien a fait les commentaires au sujet des négociations avec les FDLR, mais je crois que nous ne pouvons pas exiger Rwanda de négocier avec les génocidaires alors que le pays se remet encore de génocide. Il s’agit plus d’une provocation que d’une suggestion pour une solution ». M. Labille n’a pas compris que les FDLR, quoiqu’une force négative, ne sont pas tous des génocidaires, comme veut le faire croire Kagame. Dans ce cas, n’exigez pas au Congo de négocier avec le M23 qui regroupe les vétérans de toutes les guerres au Congo depuis 1996 dont certains accusés par le rapport mapping de s’être livrés avec les autorités rwandaises aux crimes punissables de génocide, dès lors qu’on refuse d’appliquer la même chose entre le Rwanda et les FDLR : Deux poids deux mesures non?
Jean-Jacques Wondo – Desc-Wondo.org (5 août 2013)