Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 28-11-2019 21:55
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Quand les réformes électorales se muent en stratégies de conservation du pouvoir en RDC – AJ Lomandja

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Quand les réformes électorales se muent en stratégies de conservation du pouvoir en RDC

Par Alain-Joseph Lomandja

Il y a huit ans, jour pour jour, la RD Congo organisait les deuxièmes élections générales de la 3ème République. De l’avis de presque tous, ces élections ont été une véritable débâcle. Selon une formule choc de Son Éminence Laurent Cardinal Monsengwo passée à la postérité, les résultats desdites élections n’ont pas été « conformes à la vérité ni à la justice ». 

Dans l’élan général post-électoral du genre « plus jamais ça !», politiciens et acteurs de la société civile se sont promis des réformes électorales majeures. Tous voulaient des élections crédibles et incontestables. C’était pourtant sans compter avec les calculs politiciens de conservation non démocratique du pouvoir qui ont mené aux élections du 30 décembre 2018, deux ans après la fin constitutionnelle du dernier mandat de M. Kabila. 

Au moment où la classe politique congolaise fixe stratégiquement le cap sur les élections de 2023, je propose un détour vers 2011 et 2018 pour mieux préparer 2023. Ce détour se fera en plusieurs étapes (plusieurs articles). La première se veut un questionnement éthique sur les réformes électorales à répétition. La question qui motive cette réflexion est la suivante : A quoi servent des réformes procédurales dépourvues de toute éthique politique et de sens de responsabilité et d’équité républicaine ? Une réforme électorale n’a de sens que si elle permet l’expression la plus crédible et la plus transparente de la volonté du Peuple.  

Voilà pourquoi je veux ici souligner succinctement cette dimension éthique comme un préalable sine qua non des réformes électorales en préparation. Une nation dont des milliers d’enfants meurent de faim, ne peut pas se mentir constamment sur les principes de base d’une gestion démocratique d’un État moderne, en dilapidant des centaines des millions de dollars dans des réformes électorales et des élections qui ne reflètent pas toujours la volonté du Peuple. 

1.1. Une éthique de l’action politique comme prolégomène aux réformes électorales

Dans son livre Bantucratie. La théorie politique pour le temps qui vient, paru en novembre 2019, le philosophe dominicain Claver Boundja fait un constat sévère de l’échec des démocraties participatives, financiarisées, de type occidental. De manière lucide, il constate que « tout se passe comme si la gouvernance des crises postélectorales prend la place de la politique en Afrique, et se substitue à l’art de gouverner la cité ». En d’autres termes, les élections mal organisées engendrent d’inévitables et interminables contestations et la gestion de celles-ci l’emporte sur celle des problèmes des citoyens. Cette « gouvernance de la contestation » caractérise bien la situation socio-politique congolaise actuelle, pour peu qu’on l’observe d’une manière dépassionnée et non partisane. 

Dans un contexte où « la conquête du pouvoir en Afrique est envisagée comme la voie royale vers la confiscation égoïste des richesses de la communauté par des acteurs politiques », Claver Boundja voit ceux-ci et les acteurs sociaux africains comme enfermés dans « une psychopathocratie de droit monétaire, une sorte de pouvoir par l’argent et pour l’argent ». Dans un tel contexte de pouvoir de l’argent, dominé par la corruption et l’impunité, tout se vend et tout s’achète. L’administration électorale, les résultats des élections, les décisions de justice, le contentieux électoral, la popularité factice, etc., tout, ou presque, s’achète. Tout est à la merci du plus offrant, surtout quand celui-ci est en même temps celui qui contrôle les forces de défense et de sécurité. 

Dans un tel environnement amoral et/ou anomique, il est illusoire d’envisager des réformes électorales efficaces, contraignantes et impersonnelles. En effet, les acteurs politiques instrumentalisent les institutions et leurs majorités factices et celles-ci, à leur tour, transforment les indispensables réformes électorales en une des stratégies politiciennes de conservation au pouvoir. Conservation non démocratique du pouvoir, quand elle n’est pas carrément anti-démocratique. 

Il s’agit ainsi, comme on le voit, d’un environnement de corruption politique officialisée et établie en mode de gouvernance et d’acception au pouvoir. L’enseignement social de l’Église condamne la corruption politique qu’elle considère comme une des plus graves dépravations du système démocratique : « parmi les déformations du système démocratique, la corruption politique est une des plus graves, car elle trahit à la fois les principes de la morale et les normes de la justice sociale ; elle compromet le fonctionnement correct de l’Etat, en influant négativement sur les rapports entre les gouvernants et les gouvernés ; elle introduit une méfiance croissante à l’égard des institutions publiques en causant une désaffection progressive des citoyens vis-à-vis de la politique et de ses représentants, ce qui entraîne l’affaiblissement des institutions. La corruption déforme à la racine des institutions représentatives, car elle les utilise comme un terrain d’échange politique entre requêtes clientélistes et prestations des gouvernants. De la sorte, les choix politiques favorisent les objectifs restreints de ceux qui possèdent les moyens de les influencer et empêchent la réalisation du bien commun de tous les citoyens ».

Après les crises postélectorales de 2011 et 2018, il me semble, par conséquent, plus urgent de repenser au préalable et de réarticuler les principes de base de la gestion de la chose publique, y compris des processus électoraux, que de nous enfermer dans une rhétorique à la mode, mais inefficace, de « réformes électorales » de façade. Sans cela, il est difficile d’échapper au « piège sans fin » du jeu institutionnel actuel. 

1.2. Des réformes électorales prises au piège sans fin des institutions personnalisées 

Dans les prochaines étapes de cette analyse en progression, nous reviendrons largement sur les réformes électorales qui s’imposent après les élections du 30 décembre 2018. Il s’agira notamment de la réforme de la CENI comme de celle, plus globale, du cadre juridique électoral congolais. 

Il suffit de constater pour l’instant la difficulté de telles réformes de fond dans un cadre institutionnel verrouillé par l’ancien pouvoir. En effet, toutes les réformes nécessaires (CENI, loi électorale, etc.) dépendent du Parlement, actuellement majoritairement acquis au camp de l’ancien Président, responsable de la prise en otage du dernier processus électoral. Par ailleurs, la Cour Constitutionnelle actuelle est également sous le contrôle des partisans de l’ancien Pouvoir. Et, si on s’en tient aux dispositions de l’art. 10 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Commission Électorale nationale Indépendante, la future CENI sera également contrôlée par les partisans de Joseph Kabila qui détiennent une majorité de fait à l’Assemblée Nationale. Ainsi donc, sans un sursaut républicain, aucune réforme d’envergure ne pourra passer

Il en était déjà ainsi à l’approche des élections chaotiques du 28 novembre 2011. Les réformes électorales longtemps retardées, ont été alors menées de manière non consensuelle et dans la précipitation : une révision constitutionnelle ramenant la présidentielle à la majorité simple (votée le 15 Janvier 2011 et promulguée 3 jours plus tard); une CENI entièrement composée de politiciens ; une Cour Suprême de Justice acquise au Pouvoir, etc. En fait de réformes électorales, il ne s’est agi que d’une simple mise en œuvre d’une stratégie de maintien au pouvoir de l’ancien Président et de sa majorité. 

Huit ans plus tard, nous nous retrouvons dans la case du départ, en train de parler des réformes électorales, au moment où toutes les institutions sont contrôlées par ceux-là même qui ont créé tous les chaos électoraux que le pays a vécus. Au lieu même de s’en préoccuper, le FCC n’a jugé bon que de lancer le débat sur le retour de Kabila au pouvoir en 2023. Comment sortir de ce cercle vicieux ? Deux pistes de solution, à mon humble avis.

1.3. Deux pistes de solution 

1. a) Exploiter la fragilité des coalitions politiques actuelles

Les coalitions politiques actuelles sont très fragiles et ne subsisteront certainement pas à l’approche des élections de 2023. Malgré les « deals » et accords politiques, il est difficile d’imaginer un des leaders actuels se désister en faveur d’un autre.

Ce contexte de suspicion mutuelle et de compétition entre acteurs politiques, notamment entre CACH et le FCC, peut offrir une fenêtre d’opportunité en faveur des réformes impersonnelles et équitables. Nul n’a intérêt à soutenir des réformes qui favorisent un camp ou un adversaire politique. Les différents compétiteurs pourront ainsi bénéficier d’une égalité des chances devant la loi. Ne faut-il pas, par ailleurs, remarquer que, pour l’essentiel et au-delà de la simple jouissance des avantages du Pouvoir, la crédibilité personnelle des dirigeants ainsi que leur capacité d’action pâtissent énormément du fait des tripatouillages électoraux ?

À défaut d’une moralisation proprement dite de la vie publique, les rivalités actuelles peuvent éventuellement servir de contrepoids des uns vis-à-vis des autres.

1. b) Remobilisation de la population pour des réformes de fond

Les divisions de la population en camps tribaux opposés faisaient partie de la stratégie post-électorale de l’ancien Pouvoir pour qui il était urgent d’amortir le choc du dévoiement du vote populaire. Il est désormais plus qu’urgent de travailler à la réconciliation de ces populations désillusionnées par une alternance dont elles ne voient pas encore concrètement les résultats. Une convergence parallèle des revendications citoyennes peut servir la cause des réformes électorales indispensables. 

Dans le contexte post-électoral actuel, il me semble que les confessions religieuses et les mouvements citoyens peuvent jouer un rôle important dans la remobilisation de la population en vue des réformes électorales. Sans ce contrepoids populaire, il est difficile d’espérer que le prochain processus électoral soit différent des anciens. 

1.4. Conclusion

Deux congolais échangent sur la politique congolaise. L’un dit sur une note de désespoir : « La politique congolaise est vraiment incompréhensible ». Et l’autre a eu cette réplique inattendue : « mettez des coffres-forts à la place des cœurs et vous aurez les hommes politiques congolais. Voilà un début d’explication de la politique congolaise ». 

Des « coffres-forts à la place des cœurs », une expression lourde de sens et sans doute excessive. Elle traduit néanmoins un constat simple : la politique congolaise n’est pas d’abord au service du bien commun, et l’engagement politique n’est pas forcément porté par des valeurs. Quand on parle donc des réformes électorales, les acteurs politiques ne voient d’abord que des stratégies pour se maintenir au pouvoir. Les suivre sur ce terrain, c’est se (laisser) piéger et tomber dans une sorte de jeu à somme nulle. D’où la nécessité de souligner la dimension éthique de l’action politique et, partant, de toute réforme électorale. 

Alain-Joseph Lomandja
Expert électoral congolais, ancien chargé des programmes de la Commission épiscopale justice et paix et ancien consultant du Centre Carter en RDC
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