Magistrats congolais, que reste-t-il de la noblesse de votre (notre) carrière?
Cet article a été initialement publié le 11 août 2017.
Par Jean-Bosco Kongolo M.
Jean-Bosco Kongolo est le Coordinateur adjoint de DESC, chargé des aspects juridiques et institutionnels. Juriste et criminologue de formation, M. Kongolo a été magistrat de cour d’Appel en RDC avant de démissionner volontairement, refusant de cautionner la corruption et les anti-valeurs qui rongent cette institution censée incarner l’Etat de droit en RDC.
La sanction américaine à l’encontre de Benoit Lwamba Bindu, Président de la Cour constitutionnelle, la plus haute juridiction judiciaire de la RDC, fait inédit dans les relations entre les Etats, résume en soi ce très bel article de M. Kongolo qui pointe l’état de déliquescence morale, professionnelle institutionnelle, structurelle, organisationnelle et fonctionnelle de la Justice Congolaise. (Jean-Jacques Wondo).
Introduction
Dans les conversations de salon, dans les médias et dans les forums internationaux, les regards sont tournés et les oreilles constamment tendues vers le Congo où sa classe politique étale publiquement et chaque jour qui passe, les linges surannés et nauséabonds qui n’auraient dû être lavés que les loin des curieux. Préférant le terme « classe dirigeante », nous voulons attirer l’attention de l’opinion publique sur le fait que dans ce qui convient d’être appelée crise politique, le pouvoir judiciaire porte sur ses épaules une grande part de responsabilité comme facteur d’aggravation de cette crise. Au fil des années, depuis l’avènement de l’AFDL, les magistrats congolais se sont laissés tellement instrumentaliser et clochardiser qu’il n’est plus approprié de parler de la noblesse de leur carrière. Et pourtant, quiconque aspire à diriger ce vaste et riche pays en ressources naturelles ne peut prétendre le hisser sur la voie de la démocratie et du développement sans rendre à cette institution ses lettres de noblesse.
Comment en est-on arrivé là malgré une impressionnante production législative qui garantit, mieux que dans plusieurs pays africains et du monde, l’indépendance de la magistrature?[1] Au-delà de la volonté manifeste et incontestable du pouvoir exécutif d’inféoder le Pouvoir judiciaire, la présente analyse a pour objet de démontrer la part de responsabilité des magistrats aussi bien dans ce qui leur arrive que dans la crise multiforme qui n’en finit pas. Pour être plus complet, nous proposerons aux futurs dirigeants du pays quelques pistes de solution.
1. Justice congolaise, Noblesse perdue : tout un processus
Parmi les personnes exerçant des carrières ou professions nobles, on cite les avocats, les médecins et, bien entendu, les magistrats. Au Canada par exemple, ce sont les magistrats qui sont appelés, à juste titre, honorables et non les députés, comme au Congo. Dans le contexte de parti unique difficile pour tout le monde, les magistrats zaïrois étaient demeurés relativement dignes vis-à-vis de leurs concitoyens, accomplissant tant bien que mal leur mission de dire le droit et bénéficiant d’une relative considération auprès de ces derniers. Le pouvoir judiciaire ayant été constitutionnellement réduit au simple rang d’organe au service du MPR et de son Président Fondateur, les magistrats étaient naturellement parmi les cadres de la classe dirigeante à souhaiter la fin du règne de parti unique, considéré comme principal obstacle à l’indépendance de la magistrature. Ce vœu a lentement mais surement commencé à se réaliser à la faveur de la Conférence Nationale Souveraine dont les débats, sous forme de déballage, et les résolutions avaient démystifié la dictature au point que devant la barre, le trafic d’influence des anciens « intouchables » devenait de plus en plus sans effets.
Petit à petit, la confiance refaisait surface entre la justice et les justiciables notamment grâce à l’injection dans le corps (décembre 1988 et janvier 1989) de jeunes magistrats que nous étions, qui avaient déjà eu l’habitude de braver la dictature sur le campus universitaire du Mont Amba, avec au moins pour chacun, deux fermetures (1980, 1982). La plupart des hauts magistrats actuels (Cour suprême de justice, Parquet général de la République, Premiers présidents des cours d’appel, Procureurs généraux près ces juridictions ainsi que certains juges de ces cours) sont issus de cette génération « sacrifiée ». Logiquement, la population était en droit d’attendre d’eux (nous) et surtout de l’exercice de leurs (nos) fonctions un comportement révolutionnaire par rapport au passé. Par la qualité de notre travail et par la témérité de certaines de nos décisions à l’égard de ces « intouchables » et de leurs protégés, des avocats et leurs clients ont pu distinguer des magistrats « acquis au changement » de ceux qui continuaient à traîner les pas dans les antivaleurs décriées et dénoncées lors des travaux de la CNS.
Hélas! Cet élan fut brutalement interrompu par le pouvoir AFDL qui, au lieu de faire des choses proprement et légalement en examinant cas par cas pour débarrasser de l’appareil judiciaire de nombreux récalcitrants au changement, se fia plutôt aveuglement aux proches courtisans qui saisirent l’occasion pour mettre dans le même panier des collègues intègres et compétents. On vit débarquer à Kinshasa plusieurs magistrats, dont la liste avait été préalablement bien confectionnée (nous savons de quoi nous parlons), en attente des postes de responsabilité qui leur furent confiés sans y être préparés et en violation flagrante aussi bien du statut des magistrats que des prérogatives du Conseil supérieur de la magistrature.
Depuis lors, c’est encore sur base des critères tribaux, ethniques et clientélistes que se font les promotions, les nominations et les révocations dans la magistrature, au détriment de critères objectifs définis et imposés par la loi, à laquelle il est abusivement fait référence. Lorsqu’on n’appartient pas à ce corps ou tant qu’on n’a jamais eu à fréquenter les palais de justice congolais, comme justiciable ou avocat, il est difficile de comprendre et de se faire une idée plus ou moins exacte de l’impact que cette situation cause comme dégâts au sein de la magistrature d’abord en tant qu’institution, dans la distribution de la justice et, par conséquent, dans le développement harmonieux des institutions et du pays.
2. Les magistrats, victimes de leur compromission
L’opinion publique en général et les magistrats en particulier accusent le pouvoir exécutif, plus à raison qu’à tort, de violer l’indépendance de la magistrature. Pour couvrir les fléaux dont ils sont eux-mêmes à l’origine, les magistrats congolais ont tendance à recourir à la victimisation en se retranchant derrière les politiques qu’ils accusent de s’immiscer dans l’administration de la justice, au point que plusieurs profanes s’interrogent s’il existe des lois qui permettent de garantir leur indépendance.[2] Ce que l’opinion ignore et que les futures autorités devraient retenir d’ores et déjà, c’est qu’à la base de cette situation, se trouvent les magistrats eux-mêmes.
En effet, c’est depuis l’Est du pays et sur tout le long parcours des « libérateurs » de l’AFDL, jusqu’à Kinshasa, que certains magistrats prenaient au fur et en mesure contact avec ces derniers pour obtenir des promotions auxquelles ils ne pouvaient pas encore avoir légalement accès. Dans la capitale, au bout d’une année d’exercice du pouvoir, une commission dont la composition fut irrégulièrement constituée par le ministre de la justice de l’époque, Jeannot Mwenze Kongolo, dressa un rapport qui aboutit à la révocation des 315 magistrats en plus de plusieurs autres qui furent mis à la retraite sans se soucier de soigner la forme et surtout de les remplacer par des gens compétents. « Aucune instruction régulière n’a été ouverte à leur charge pour qu’ils aient l’occasion de se défendre comme dans toute démocratie judiciaire. L’arbitraire de l’autorité de révocation est à ce point total qui a ignoré le Conseil supérieur de la magistrature, organe pourtant légalement requis en cette matière avant le prononcé de quelle que sanction contre le magistrat. »[3]
Sur base ethnique et clientéliste, des postes de responsabilités furent distribués à des novices qui avaient encore besoin de plusieurs années d’encadrement et d’expérience. A titre d’exemple et sans citer son nom, un jeune collègue qui n’était encore qu’à ses débuts de carrière comme substitut du Procureur de la République, accepta sans la moindre humilité de diriger le tribunal de grande instance de la Gombe alors qu’il n’avait jamais été juge. Comme il fallait s’y attendre, les avocats de Kinshasa qui avaient assisté à sa première audience furent choqués et scandalisés de le voir tituber ne sachant par où commencer pour ouvrir l’audience et tenir la police des débats.
Plusieurs cas semblables pourraient être cités aussi bien dans les juridictions que dans les parquets, car les archives existent, impossibles à détruire, qui témoignent et prouvent la compromission des magistrats avec le pouvoir exécutif jusqu’à ce jour. Pour ceux qui en doutent, la Cour suprême de justice, le Parquet général de la République, le Parquet général près la Cour constitutionnelle sont dirigés par de purs produits de ce genre de compromission tandis qu’à la Cour constitutionnelle, on a fait recours à un retraité, comme si ce sont des compétences fraîches qui manquaient. Dans ce contexte, peut-on s’étonner de l’allégeance de ces hauts magistrats à l’égard de leurs bienfaiteurs, de l’immixtion de ces derniers dans l’administration de la justice et de l’atteinte faite à l’indépendance de la magistrature?
3. Les répercussions de la compromission et de la cupidité des magistrats sur les justiciables
Avant de se répercuter sur les justiciables, la compromission des magistrats a d’abord engendré au sein de l’appareil judiciaire un malaise généralisé et des frustrations de ceux qui avaient toutes les raisons de rêver d’une carrière débarrassée de l’influence politicienne subie sur le règne du MPR, Parti-État. Non seulement que ces espoirs ont été brisés, la plupart de nouveaux chefs sont ceux-là qu’ils avaient reçus quelques années avant comme stagiaires et subalternes. Du coup, ces derniers, sans expérience avérée, leur ont été imposés pour exécuter la volonté des nouveaux hommes forts qui ignorent tout de la complexité des méandres judiciaires et dont l’unique préoccupation demeure la pérennité au pouvoir.
Ainsi, tous les moyens sont permis pour faire de certains responsables judiciaires leurs alliés politiques et même de véritables agents de renseignements contre leurs collègues. Nombreux sont des magistrats expérimentés et compétents dont les promotions ont longtemps et injustement été bloquées, soumises aux caprices de leurs chefs tandis que d’autres ont subi des sanctions déguisées en promotions et consistant à les affecter dans des coins où survivre relève d’un parcours de combattant. Parmi ceux qui ne peuvent supporter leur éloignement des centres urbains plus attractifs, certains ont réussi à se faire réaffecter à des lieux de leur choix au moyen des espèces sonnantes et trébuchantes ou en recourant, si possible, au même procédé de réseautage politique.
Au sein de la plupart des juridictions et des parquets, même l’attribution des dossiers tient souvent compte non pas de l’expérience et de la complexité du cas sous examen mais, bien au contraire, de la capacité du magistrat concerné à tenir compte des consignes émanant de la hiérarchie, non autrement désignée. Ceux qui tentent néanmoins d’afficher leur esprit d’indépendance ou qui s’efforcent de dire correctement le droit, sont épinglés et injustement sanctionnés en se faisant interdire d’exercer pendant quelques mois avec privation de salaires. C’est le cas des magistrats qui accordent la liberté provisoire à quelqu’un poursuivi par le pouvoir ou par un membre de famille d’une autorité politique ou encore simplement par une personnalité influente. A cause de la modicité des salaires octroyés et des conditions ridicules dans lesquelles ils travaillent, la plupart des magistrats congolais se résignent et font comme les politiciens en saisissant toute occasion qui leur est offerte pour se remplir les poches au détriment de la déontologie et de la morale. Plus que jamais, l’adage selon lequel « un mauvais compromis vaut mieux qu’un meilleur procès » vaut la peine d’être suivi au Congo-Kinshasa où, même quand les faits sont indiscutablement en votre faveur, rien n’est encore garanti tant que le jugement définitif n’est pas encore rendu.
En effet, des sources crédibles émanant aussi bien des avocats, des justiciables que des magistrats encore consciencieux, font état de la cupidité de nombreux juges qui exigent pour tout cas, des sommes faramineuses quelle que soit la clarté des faits. Faute de « motiver » conséquemment les juges, le jugement risque d’être retardé le plus longtemps possible, à défaut de perdre purement et simplement le procès au profit de la partie financièrement plus diligente. Il n’est pas donc étonnant que de nos jours, bon nombre de magistrats se complaisent dans cette situation qui leur permet de patauger dans ces eaux infestées où les plus habiles se font fortune sans peur d’être inquiétés.
Au fait, le Conseil supérieur de la magistrature, organe de discipline des magistrats, ferme tout simplement les yeux contre les abus que personne n’ose reprocher à personne, tout le monde faisant la même chose. Comme nous l’avons affirmé dans nos analyses antérieures, la magistrature est devenue pour beaucoup de ses membres un véritable business permettant aux plus doués de tarifer les décisions judicaires ou, carrément, de les rendre, sans état d’âme, au plus offrant. Certains ont des résidences parmi les plus huppées, des voitures les plus cylindrées tandis que d’autres ont bâti des flats ou sont fournisseurs dans des entreprises. Il y a à peu près cinq ans, mourrait accidentellement sur la route de Matadi, un haut magistrat parti dédouaner des balises à fournir à la RVA. Sic! Présentement, un scandale secoue les milieux judiciaires kinois mettant en cause le Président du Tribunal de Grande instance de Kinshasa/Gombe, du nom de Ngombo, communément appelé Songambele. Il est soupçonné d’avoir encaissé quelques dizaines de milliers de dollars américains pour accorder une mise en liberté provisoire à un homme poursuivi d’avoir tué sa femme par étranglement. Mais dans ce pays où la parenté a primauté sur le droit, il ne sera guère surprenant que ce magistrat bénéficie de ses affinités avec ses parrains politiques pour réussir à étouffer l’affaire, ce à quoi ne pouvaient nullement s’attendre Diomi Ndongala, Franck Diongo, Jean-Claude Muyambo, Bertrand Ewanga et tant d’autres, fautifs d’avoir exigé le respect de la Constitution.
Personne peu convaincant en matière d’éthique, l’Avocat général Kayumba, du Parquet général près la Cour d’appel de la Gombe n’inspire pas confiance pour mener à bout ce dossier contre « son frère » Songambele. Curieux, le Ministre de la justice, son collègue porte-parole de toutes les institutions et le Procureur général de la République se taisent dans toutes les langues alors que pour des faits mineurs confectionnés de toutes pièces contre les opposants, les points de presse se succèdent les uns aux autres. Contacté il y a quelques années, un ami du Secrétariat permanent du Conseil supérieur de la magistrature n’a eu en tout et pour tout comme justification de cet état de choses que le manque de moyens. Et pourtant, des mécanismes existent permettant au Conseil supérieur de la magistrature de se saisir, dans chaque ressort, de pareils cas. Selon les informations en notre possession, quand bien même il arrive que le CSM tienne ses assises, les dossiers disciplinaires et surtout de promotions échappent souvent à l’assemblée plénière qui devrait les valider, car déjà traités discrétionnairement en amont par le Président de la Cour constitutionnelle et le Procureur général de la République.
4. Pas de noblesse de la magistrature, pas d’institutions crédibles
Pour comprendre le rôle et la noblesse de la carrière de magistrat, il convient de lire attentivement les exposés des motifs de la Constitution, de la loi portant statut des magistrats ainsi que de celle portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, dont voici quelques extraits :
– Constitution : « La présente Constitution réaffirme l’indépendance du pouvoir judiciaire dont les membres sont gérés par le Conseil supérieur de la magistrature désormais composé des seuls magistrats. »
– Statut des magistrats : « Dans cet ordre d’idées, il devient impératif que le Pouvoir judiciaire, à la faveur du processus de démocratisation en cours, puisse réellement sortir du carcan dans lequel il a été confiné pour retrouver ses lettres de noblesse. Ainsi, ses animateurs que sont les magistrats pourront accomplir en toute indépendance, en toute conscience et en toute dignité, leur noble mission de rendre une bonne justice sans laquelle il n’y a pas de véritable paix civile dans la société, facteur indispensable à la stabilité politique ainsi qu’au développement économique et social. »
– Conseil supérieur de la magistrature : « Cette indépendance est assortie des mécanismes constitutionnels qui servent de contrepoids à l’exercice de chaque pouvoir et sa mise en œuvre est assurée par le Conseil supérieur de la magistrature.
Celui-ci assure la gestion de la carrière des magistrats et dispose, à cet effet, des pouvoirs de proposition en matière de nomination, promotion, démission, mise à la retraite, révocation et réhabilitation des magistrats. Il exerce en outre le pouvoir disciplinaire. »
Comme on le voit, la clarté de ces textes suffirait à n’en point faire un quelconque commentaire. Mais le contexte congolais incite à poser aux magistrats, principaux destinateurs et usagers, certaines questions auxquelles nous allons tenter de répondre globalement pour éclairer l’opinion publique : (1) est-il encore besoin que de lois supplémentaires soient votées pour souligner davantage l’indépendance de la magistrature?; (2) qu’est-ce qui manque aux magistrats pour mettre en application toutes ces bonnes lois et faire de l’institution Pouvoir judiciaire l’unique rempart contre la dérive totalitaire et les violations des droits et libertés fondamentaux? Il y a autant de questions que l’on pourrait se poser pour savoir pourquoi, malgré cette inflation de textes de lois qui leur sont favorables, les magistrats congolais continuent de se plaindre du manque d’indépendance.
Pour répondre à toutes ces questions, il convient de relever qu’à travers le monde, presque tous les magistrats sont nommés par le pouvoir exécutif mais cela ne les empêche pas de jouer le rôle que leur confèrent la Constitution et les lois, selon les cas. Les exemples les plus instructifs viennent des E.U.A. où, en quelques mois d’exercice du pouvoir présidentiel, le Président Donald Trump a appris plus d’une fois à ses dépends ce que signifie la séparation des pouvoirs. C’était au sujet de son décret sur l’immigration : « Ce décret a pour objectif de geler provisoirement l’accès au territoire américain aux ressortissants de six pays d’Afrique et du Moyen-Orient (Iran, Irak, Libye, Somalie, Soudan et Yémen) et durablement pour ceux de Syrie. Ce même décret a également stoppé temporairement l’arrivée de réfugiés. Il a suscité une vague de condamnations internationales et alimenté des accusations de mesures visant les musulmans, en dépit des dénégations de la Maison Blanche.
James Robart, nommé par un président républicain, George W. Bush, a pris sa décision, qui s’étend à l’ensemble du territoire américain, pour permettre l’examen de la plainte déposée le 30 janvier par l’attorney general de l’État de Washington, Bob Ferguson, un démocrate. Ce dernier estime en effet, à rebours de l’administration, que la mesure cible spécifiquement les ressortissants de confession musulmane et qu’elle est donc contraire à la Constitution qui interdit ce type de discrimination. M. Ferguson s’est félicité de la décision du juge Robart. « La Constitution a vaincu aujourd’hui. Personne n’est au-dessus de la loi, pas même le Président », a-t-il estimé, tout en disant s’attendre à une farouche bataille juridique qui pourrait s’achever devant la Cour suprême. »[4]
Grâce à cette décision et à d’autres qui ont suivi, c’est la justice qui en est sortie ennoblie et, au bout de la ligne, la démocratie qui en sort renforcée et l’équilibre entre des institutions qui est sauvegardé. A cause de la compromission collective, surtout des hauts responsables de la magistrature, les juges congolais ne peuvent individuellement se permettre pareils exploits sous peine de mettre en péril leur carrière ou leur vie, comme les juges Chantal Ramazani et Jacques Mbuyi de Lubumbashi, dans l’affaire Moïse Katumbi. « Le Juge MBUYI est considéré comme défenseur des droits humains, à partir des informations qui font état du fait que ses assaillants et leurs commanditaires seraient extrêmement fâchés, parce qu’il aurait refusé de céder aux menaces verbales et à la pression de lire un jugement préétabli. Par contre, il aurait juré de ne respecter que la Constitution, les lois de la République et le statut des magistrats »[5].
Ainsi qu’on peut le constater, aucune voix n’a été élevée du côté du Parquet général de la République ni encore moins de celui ses syndicats soit pour diligenter une enquête sérieuse pouvant aboutir à mettre la main sur les assaillants, soit pour protester contre ce genre de comportement en déclenchant une grève ou en boycottant les audiences jusqu’à ce que les assaillants soient mis hors-d’état de nuire. « Depuis la commission de ce qui ressemble bien à un attentat, la police n’a guère communiqué. Elle est muette. Il en est de même des autorités judiciaires. Nul ne sait à l’heure qu’il est les premiers éléments de l’enquête que la police judiciaire n’a pas manqué d’ouvrir. Crime crapuleux? Tentative d’assassinat? Quid du mobile? A qui profite le crime? »[6]
A cause de leur lâcheté et de leur compromission, les magistrats congolais se sont eux-mêmes placés dans une telle situation au point que :
– Ils n’ont plus de ressources morales et éthiques suffisantes pour renverser les rapports de force afin de servir de contrepoids aux dérives d’autres institutions;
Ils ont laissé s’installer progressivement et irréversiblement l’impunité à telle enseigne que les gros poissons (criminels de sang, criminels institutionnels et économiques) se sentent à l’abri des filets de la justice, uniquement tendus pour les poissons de taille moyenne (opposants, journalistes et activistes des droits de l’homme);
– La justice est devenue un organe entre les mains de la famille politique du Chef de l’État, qui en use et en abuse pour imposer, en collaboration avec l’armée, la police et les services de renseignement, un seul son de cloche comme dans un régime de parti unique; -Au lieu d’être ce rempart contre les dérives totalitaires, les décisions judiciaires rendues contre les opposants sont rédigées ailleurs et simplement remises aux juges qui n’ont d’autre choix que de les prononcer;
– Même les décisions rendues par la Cour constitutionnelle, censées être inattaquables et opposables à tous, ne sont plus observées par le parti au pouvoir qui pourtant aurait pu donner l’exemple de respect du Pouvoir judiciaire et du principe de la séparation des pouvoirs. C’est le cas du Gouverneur de la province du Haut-Katanga, réhabilité par la Cour Constitutionnelle mais bloqué par la MP, qui a sollicité et obtenu de la CENI d’organiser l’élection de son remplaçant;
– A ce jour, toutes les autorités à mandat éligible sont hors mandat, avec comme conséquence l’illégitimité généralisée à la tête de toutes les institutions centrales, provinciales, municipales et locales. D’où cette pertinente question que le peuple congolais est légitimement en droit de se poser : vaut-il la peine de reprendre ces mêmes animateurs du Pouvoir judiciaire et recommencer, en cas de changement de régime?
5. Avec quels hommes et quelles femmes faudra-t-il rebâtir le Pouvoir judiciaire?
Dans presque toutes nos analyses consacrées au Pouvoir judiciaire, nous n’avons cessé d’examiner sous plusieurs titres, les maux qui rongent la justice congolaise et de proposer des remèdes efficaces susceptibles de lui rendre ses lettres de noblesses. Pour éviter de nous répéter, nous invitons nos chers lecteurs à lire et/ou à relire nos analyses dont voici quelques titres, presque toutes publiées sur le site afridesk.org : Justice congolaise : le secret du délibéré (19 février 2014)[7]; Apport négatif de la justice congolais à l’état de droit ( 2 mars 2015)[8]; États généraux de la justice : vaste opération de distraction (7 juin 2015)[9] ; La démocratie et l’état de droit passent par la vulgarisation des lois( 28 juillet 2015)[10] ; Pouvoir judiciaire en RD Congo : avec quels hommes et quelles femmes? (25 oct. 2015)[11]; Primes accordées à certains magistrats : éviter le sensationnel(19 janvier 2016)[12]; La justice, premier chantier à réaliser après le régime de Joseph Kabila (23 oct. 2016)[13]; RDC : Preuves de compromission de la Cour constitutionnelle : Vundwawe et Esambo, des exemples à suivre( nov. 2016); Conditions de refondation de la nation congolaise (8 novembre 2016)[14].
Ce qu’il convient de retenir de toutes ces analyses c’est que le Congo-Kinshasa souffre de la médiocrité et du manque de patriotisme de sa classe dirigeante, dont font globalement partie les animateurs du Pouvoir judiciaire. Nous n’avons cessé de le répéter : « Les lois ne valent que ce qu’en font les hommes et les femmes chargés de les appliquer ».
Conclusion
Ce serait une grave erreur de considérer que l’impasse que traverse le Congo-Kinshasa dans tous les secteurs n’est imputable qu’aux seuls acteurs politiques. Dans cette analyse, nous avons préféré parler de la classe dirigeante en faisant ressortir le rôle négatif joué par le Pouvoir judiciaire qui, par la faute et la compromission de ses membres et surtout des ses chefs, n’arrive plus à s’assumer comme institution et comme rempart aux dérives totalitaires. Aux yeux de l’opinion publique, les magistrats congolais ne sont plus ces cadres dirigeants dont la mission est noble par essence. Exemples à l’appui, nous avons démontré qu’à l’aide des lois qui existent et avec le concours et le patriotisme de quelques magistrats encore en fonction, il y a moyen de rebâtir cette justice et de lui restituer ses lettres de noblesse, à la seule condition que les dirigeants du futur régime soient eux-mêmes patriotes, respectueux de la Constitution et des lois de la République. A travers nos analyses antérieures, plusieurs pistes de solutions ont été proposées contenant des critères permettant de mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut.
Jean-Bosco Kongolo M.
Juriste & Criminologue ayant exercé des fonctions de magistrat en RDC
Administrateur-adjoint de DESC
Références
[1] Lire à ce sujet la Constitution, la Loi portant statut des magistrats ainsi que celle portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.
[2] La victimisation, comprise ici comme une tendance à l’apitoiement sur son sort, est l’un des blocages psychologiques les plus importants que nous puissions affronter en tant qu’individus. Quand un obstacle survient, entraînant remise en question et prise de conscience de nos limites matérielles à un moment T, nous tendons en effet très souvent à adopter un point de vue négatif, reposant sur un certain degré de fatalisme et de pessimisme. La victimisation personnelle est en quelque sorte un refus d’assumer les conséquences de nos choix, de nos actes. Wikipédia, consulté le 08 août 2017 à 15h 17, In https://www.reussitepersonnelle.com/victimisation/.
[3] Jean-Pierre Kilenda Kakengi Basila, Affaire des 315 magistrats de Kinshasa, Une purge néo mobutiste, L’Harmattan, Paris, 2004, p. 55
[4] Le Monde, In https://mali-web.org/international/la-justice-americaine-bloque-le-decret-anti-immigration-de-donald-trump.
[5] Congoreformes.com, 26/07/2017, In https://congoreformes.com/2017/07/26/rdc-proces-katumbi-le-juge-jacques-mbuyi-victime-dune-tentative-dassassinat-transfere-a-johannesburg/.
[6] Le Congolais, 25 juillet 2017, In http://www.lecongolais.cd/affaire-katumbi-qui-a-voulu-assassiner-le-juge-jacques-mbuyi-lukasu/.
[7] In http://www.lephareonline.net/justice-congolaise-le-secret-du-delibere/.
[8] In http://afridesk.org/fr/rdc-apport-negatif-de-la-justice-congolaise-a-letat-de-droit-jean-bosco-kongolo/).
[9]In https://afridesk.org/fr/etats-generaux-de-la-justice-en-rdc-vaste-operation-de-distraction-jean-bosco-kongolo/.
[10] In http://afridesk.org/fr/la-democratie-et-letat-de-droit-passent-par-la-vulgarisation-des-lois-jean-bosco-kongolo-m/.
[11] In http://afridesk.org/fr/pouvoir-judiciaire-de-la-rdc-jb-kongolo/.
[12] In https://afridesk.org/fr/primes-accordees-a-certains-magistrats-eviter-le-sensationnel-jb-kongolo/.
[13] In https://afridesk.org/fr/la-justice-premier-chantier-a-realiser-apres-le-regime-de-joseph-kabila-jean-bosco-kongolo-m/.
[14] In http://afridesk.org/fr/preuves-de-compromission-de-la-cour-constitutionnelle-vundwawe-et-esambo-des-exemples-a-suivre-jb-kongolo/