Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 26-10-2015 17:45
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Le contrôle parlementaire de l’armée, une nécessité pour une gouvernance sécuritaire en RDC – Jean-Jacques Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Le contrôle parlementaire de l’armée :

Une nécessité pour une gouvernance sécuritaire efficace en RDC

Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Introduction

Depuis les élections de 2006, la RDC expérimente un système démocratique – la IIIème République – où la séparation des trois pouvoirs constitutionnels (Législatif, Exécutif et Judiciaire) les principes de l’Etat de droit sont censés constituer le socle du fonctionnement de l’Etat et de la démocratie.

L’article 1er de la Constitution stipule : « La République Démocratique du Congo est, dans ses frontières du 30 juin 1960, un Etat de droit, indépendant, souverain, uni et indivisible, social, démocratique et laïc ».

En effet, sur les faits, la réalité de terrain est tout autrement. L’essentiel du pouvoir en RDC est confisqué par le Président de la République (et ses différents cabinets parallèles) et le Gouvernement auxquels sont assujettis les pouvoirs législatif et judiciaire. Des analystes de la scène politique congolaise ne cessent de stigmatiser l’impuissance du Parlement face au pouvoir écrasant du Président et de l’Exécutif. Ces éléments de la fiction de la responsabilité politique du Gouvernement devant le Parlement, escamotant le fonctionnement d’une démocratie, accentuent un dysfonctionnement structurel de l’Etat[1], qui impacte l’efficacité des forces armées et des services de sécurité congolais.

Pourtant, dans le chef du Constituant de 2006, par son indépendance, le Parlement congolais est appelé à jouer un rôle de pilier démocratique en devenant la pierre angulaire de la IIIème République. Malheureusement, après près de 10 ans de fonctionnement des institutions républicaines, l’on aperçoit que le principe de la responsabilité politique du Gouvernement devant le Parlement a été vidé de toute sa substance. Pire encore, ce qui devait être à l’origine une possibilité pour le parlement de contrôler et de sanctionner l’action du Gouvernement et des organes de l’Etat, dont les cas de mal gouvernance et de malversations sont légion, s’est inversée. Aujourd’hui, les députés – du pouvoir comme de l’opposition –  monnaient leurs motions de défiance ou les interpellations des ministres et autres gestionnaires de l’Etat[2], d’autres font face à des menaces et des intimidations chaque fois qu’ils tentent d’interpeller le Gouvernement sur le fonctionnement des institutions et des organes de l’Etat, notamment les forces armées et les services de sécurité.

OFFICERS-FARDC-RDC-

La présente analyse se veut un plaidoyer en faveur du renforcement des mécanismes de contrôle civil et politique (ou parlementaire) des forces armées (et des services de sécurité) dans le but de rendre la réforme des services de sécurité (RSS) efficace. Cette réforme est « la priorité des priorités, sans quoi il n’y aura ni paix ni développement »[3] en RDC. Dans son traditionnel discours annuel sur l’état de la Nation devant l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en congrès, le 15 décembre 2012, après la prise de Goma par le rébellion du M23, le président Kabila avait déclaré de faire de la défense nationale la priorité des priorités : « Désormais, au-delà de toutes nos actions pour le développement, notre priorité sera la défense de la patrie avec une armée dissuasive, apolitique et professionnelle qui rassure notre peuple ». Dans ses vœux de Nouvel An 2013 adressés à la Nation le 31 décembre 2012, le chef de l’Etat congolais réitère le même vœu : « la réforme de l’armée est une des priorités du Gouvernement »[4].

Un rapport[5]publié en 2012 par les ONG impliquées dans la RSS en RDC mentionne : « L’échec de la mise en œuvre de la RSS est imputable à un manque de volonté politique aux échelons les plus élevés du gouvernement congolais. Au lieu de présenter une vision de la sécurité congolaise et de mobiliser les ressources nécessaires pour la concrétiser, le gouvernement a encouragé l’établissement de divisions au sein de la communauté internationale et permis à des réseaux corrompus actifs, présents au cœur même des services de sécurité, de prospérer en dérobant les ressources censées couvrir les salaires de base ou en profitant de l’exploitation des ressources naturelles…»[6].

La gouvernance sécuritaire pour un environnement politique stable, favorable au développement

Le renfoncement des mécanismes de contrôle parlementaire sur l’armée est un point essentiel pour la bonne marche des institutions de l’Etat dans le cadre de la gouvernance sécuritaire. Il se trouve même au cœur de la réussite de la réforme des services de sécurité en général et de l’armée en particulier et à la base de la construction de l’Etat (State building).

Le concept de gouvernance sécuritaire reflète l’importance éprouvée actuellement par les criminologues, politologues, sociologues et d’autres experts en matière de sécurité que la mise en place des conditions optimales de la création d’un environnement sécuritaire stable, particulièrement dans les pays post-conflits, ne doit plus relever de la responsabilité exclusive de l’État et des services de sécurité, mais qu’elle doit, au contraire, être la résultante d’une interaction d’actions conjointes hybrides et coordonnées menées par différents intervenants issus du monde politique- particulièrement les parlementaires, du secteur de la sécurité (armée, police), de la Communauté internationale et de la société civile (ONG) dans le cadre d’un partenariat « public-privé »[7].

Les documents officiels de l’OCDE définissent la réforme du secteur de la sécurité (RSS) comme étant la transformation du système de sécurité qui inclut tous les acteurs, leur rôle, leurs responsabilités et leurs actions afin qu’ils soient gérés et opérés d’une façon plus compatible avec les normes démocratiques et les principes sains de bonne gouvernance et ainsi contribuent à établir un cadre sécuritaire fonctionnant correctement. Les forces de sécurité responsables et devant rendre des comptes réduisent les risques de conflit, assurent la sécurité des citoyens et contribuent à créer un environnement favorable au développement durable. C’est ce que certains auteurs appellent la « gouvernance sécuritaire. » L’objectif en général de la réforme du secteur de la sécurité est d’établir un environnement sécurisé qui stimule le développement[8].

L’aspect politique de la surveillance démocratique et civile de l’armée et des services de sécurité reste capital dans le cadre de la RSS dont la tâche centrale est la bonne gouvernance. Celle-ci inclut la capacité du parlement et de la société civile (par exemple les médias, les ONG, les chercheurs, le public en général) à faciliter le débat de société sur les priorités de la sécurité ainsi que sur la surveillance civile de l’armée et des services de sécurité. Il s’agit en quelque sorte d’institutionnaliser une gestion participative de la sécurité dans laquelle le pouvoir législatif, la société civile et le citoyen jouent chacun un rôle approprié.

L’armée comme facteur structurant des Etats en quête de stabilité sociopolitique

Le rôle et la fonction d’une armée, souvent méconnus, occultés ou déformés en Afrique, sont également mésestimés. Des études ont considéré l’armée comme un groupe social devant jouer un rôle crucial dans la modernisation des sociétés émergentes[9]. On trouve en effet dans l’armée des facteurs positifs pour les Etats en quête de stabilité politique. En Europe, la professionnalisation de l’armée, dès le 17ème siècle à la suite du traité de Westphalie en 1648, s’est trouvée au cœur processus d’émergence et de structuration du concept d’Etat-Nation moderne[10]. La Corée du Sud, le Ghana, le Sénégal, la Turquie ou plus récemment le Burkina Faso sont des exemples qui illustrent l’importance du rôle de l’armée, comme véritable ‘institution’ républicaine, qui est là au service de la nation et à la base de la construction d’un Etat stable.

Une illustration de l’ignorance constatée dans l’hémicycle du Palais du peuple

Dans une interview accordée à une station locale de radiodiffusion, le député Justin Bitakwira, a fait une proposition pour le moins originale. Suite à la persistance de l’insécurité dans l’Est de la RDC et de l’inefficacité de l’action du gouvernement pour éradiquer les groupes armés, il recommande la nomination d’un deuxième Premier ministre qui dirigerait un gouvernement chargé uniquement des problèmes sécuritaires[11].

Notre réaction

Cette intervention de M. Bitakwira met en surface la question de la méconnaissance/ignorance de la législation congolaise par la majorité de la classe politique congolaise en général et des parlementaires – gardiens de la loi – en particulier. Comment ce député peut-il ignorer à ce point que l’exposé des motifs de la Constitution, au point relatif à l’Organisation et à l’Exercice du pouvoir, consacre noir sur blanc ce qui suit :

« Bien plus, les affaires étrangères, la défense et la sécurité, autrefois domaines réservés du Chef de l’Etat, sont devenues des domaines de collaboration.

Cependant, le Gouvernement, sous l’impulsion du Premier ministre, demeure le maître de la conduite de la politique de la Nation qu’il définit en concertation avec le Président de la République[12] ».

L’objectif visé par le constituant est d’éviter que la défense nationale soit le domaine de compétence exclusive du chef de l’Etat. Mais bien plus, comme le stipule lui-même l’exposé des motifs de la Constitution : « éviter les conflits ; instaurer un Etat de droit ; contrer toute tentative de dérive dictatoriale ; garantir la bonne gouvernance et lutter contre l’impunité »[13].

Mieux encore, l’article 91 de la Constitution rappelle et explicite les modalités des interactions entre le Président, le Gouvernement et le Parlement :

« Le Gouvernement définit, en concertation avec le Président de la République, la politique de la Nation et en assume la responsabilité.                                                              
Le Gouvernement conduit la politique de la Nation.
La défense, la sécurité et les affaires étrangères sont des domaines de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement.
Le Gouvernement dispose de l’administration publique, des Forces armées, de la Police nationale et des services de sécurité.
Le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale dans les conditions prévues aux articles 90, 100, 146 et 147.
Une ordonnance délibérée en Conseil des ministres fixe l’organisation, le fonctionnement du Gouvernement et les modalités de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement ainsi qu’entre les membres du Gouvernement. »

Ce principe fondamental du fonctionnement des institutions est censé faire partie de l’abécédaire parlementaire que chaque député ou sénateur devrait maîtriser, particulièrement lorsqu’on constate la rémunération qu’il reçoit, comparativement à un enseignant. Il doit le connaître par cœur et en faire son credo au quotidien, car c’est le socle même de son travail parlementaire.

Au lieu de recourir à ses prérogatives constitutionnelles, ce député va chercher la solution ailleurs

Il est à noter qu’après la chute de Goma en novembre 2012, le président Kabila a promis solennellement devant les deux chambres du parlement réunies en Congrès, qu’il fera de la défense et sécurité la priorité des priorités. Mais pratiquement trois ans après cette déclaration, la loi (ou le projet de loi) censée matérialiser cette priorité, n’a jamais été même élaborée, encore moins votée au parlement. Il s’agit de la loi de programmation militaire qu’un État sérieux, doté des dirigeants conscients de l’importance de la sécurité dans un pays, doivent voter en toute urgence. Cette loi fixe le budget pluriannuel de la modernisation de l’armée en termes de ressources à allouer à l’amélioration des conditions de vie des militaires et aux dépenses d’équipement et de développement des Forces Armées.

Ce député, comme certainement la plupart de ses collègues, ne peut pas ignorer que le ministre de la Défense est un ministre sans portefeuille et que le budget de l’armée est géré dans le cabinet militaire privé du chef de l’Etat, la maison militaire. Pourquoi le parlement observe sous silence cet abus qui constitue une violation flagrante et permanente de la Constitution ?

Enfin, il nous revient de rappeler au député Bitakwira que sous la transition 1+4, la RDC a connu mieux que ce qu’il propose: un Vice-président en charge de la Défense et sécurité. Avec quels résultats concrets sur le terrain ? La réactivation du CNDP en 2004 d’abord au Sud-Kivu puis en 2006, juste après les élections au Nord-Kivu. Nous en connaissons les conséquences. La mise sur pied des opérations infructueuses : Umoja wetu (Janvier 2009) avec son lot de mixage et intégration qui a vu déverser au sein des FARDC des éléments rwandais, dont Bosco Ntaganda nommé général des FARDC par le président Kabila, Kima II (mai 2009) et Amani leo (Janvier 2010).

Nécessité de former et de sensibiliser les parlementaires congolais sur leurs prérogatives constitutionnelles en matière de défense et sécurité

Malgré l’avènement du pluralisme politique dans bien des pays d’Afrique subsaharienne, le contrôle parlementaire comme élément primordial de la gouvernance démocratique dans le domaine de la sécurité reste à concrétiser. Les parlements en général, et les commissions en charge de la défense en particulier, manquent aussi cruellement de personnel d’appui avec la formation et la motivation appropriées pour leur permettre de faciliter la tâche des parlementaires en leur fournissant les supports techniques indiqués pour agir en connaissance de cause sur les questions de sécurité nationale[14].

Le renforcement des capacités des parlementaires passe d’abord par une formation et une sensibilisation à la bonne assimilation du fonctionnement du secteur de la défense et sécurité. Comme expliqué en détail dans notre ouvrage Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?, la défense nationale n’est plus un domaine de compétence exclusive du chef de l’Etat. La Constitution de la RDC est claire à ce sujet. Une implication active du Parlement congolais permettrait de favoriser la bonne gouvernance par la transparence et l’émergence de la culture de l’Etat de droit. Elle contribuerait aussi à limiter la dérive dictatoriale par la promotion de la démocratie, la lutte contre l’impunité et l’appropriation de la réforme du secteur de la sécurité en général. Cela passe également par le contrôle budgétaire effectif de l’armée.

Étant donné les immenses répercussions de la corruption et de la mauvaise gestion dans les forces armées sur la sécurité nationale et la confiance dans l’ensemble du gouvernement, il faudrait faire une priorité nationale des audits externes de l’administration des deniers de l’État dans les forces armées. Le renforcement des contrôles parlementaires des dépenses de défense peut améliorer la gouvernance interne des forces armées et faire beaucoup pour résoudre le problème de la responsabilisation[15]. Toutefois, il convient de relever qu’en RDC, tout débat concernant la défense nationale ou la sécurité est automatiquement à huis clos, cela empêche le souverain primaire de savoir ce qui est décidé pour sa sécurité et pour celle du territoire national.

Pas de RSS efficace sans implication active du parlement et l’appropriation de son rôle de contrôle

La réforme du secteur de sécurité ne pourra aboutir sans que le contrôle parlementaire en constitue une pièce maîtresse. En d’autres termes, sans un pouvoir parlementaire jouant pleinement son rôle législatif et de contrôle des actions de l’exécutif, il n’y a pas de démocratie véritable et, sans contrôle parlementaire effectif et compétent de la politique de sécurité et des activités de l’appareil sécuritaire, il n’y a pas de réforme véritable du secteur de la sécurité. C’est sur la base peu disputable de ce constat que doit commencer la réflexion sur les voies et moyens permettant de mener à bien les réformes nécessaires du secteur de la sécurité en Afrique[16], en l’occurrence en RDC, post-autoritaire et post-conflit.

Boubacar Ndiaye propose quelques pistes d’action à entreprendre en ce sens[17] :

  1. Impliquer le parlement, en particulier à travers ses commissions spécialisées, dans l’élaboration, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation de toute politique en matière de défense et de sécurité.
  2. Créer un cadre constitutionnel/légal régissant la défense et la sécurité dans lequel le parlement, la société civile et le citoyen ordinaire jouent chacun pleinement leur rôle.
  3. Établir un cadre de consultation et de coopération entre l’exécutif et le parlement à travers les commissions spécialisées de ce dernier, pour assurer une gestion optimale des questions de sécurité et de défense tant en matière de droits de l’Homme que budgétaire.
  4. Établir un équilibre entre le besoin légitime de confidentialité et l’exigence de transparence en ce qui concerne le financement et les activités du secteur de la défense et de la sécurité.
  5. Établir des procédures qui permettront à tous les acteurs du secteur de la sécurité de pleinement assumer leurs rôles respectifs et d’en être comptables (accountability), le cas échéant, devant le parlement.

Par ailleurs, de nombreux dirigeants militaires exercent également des activités commerciales, C’est le cas notamment des généraux Gabriel Amisi Tango Four, propriétaire d’une compagnie aérienne, des hôtels et président du club de football AS Vita Club de Kinshasa. Il y a également le général François Olenga, propriétaire d’un superbe complexe touristique Safari Beach à Kinshasa. Cette pratique, d’une part, est en conflit avec leur mandat en matière de sécurité et, d’autre part, a pour effet de détourner des revenus non déclarés du public au profit des forces armées ou encore d’allouer des revenus destinés à l’armée dans les activités commerciales individuelles.

Les hautes autorités militaires devraient être tenus de soumettre tous les ans une déclaration de situation financière, pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de conflits d’intérêts ainsi que pour faciliter le contrôle parlementaire. On pourra par exemple recourir à des missions parlementaires d’enquête ou d’établissement des faits pour identifier les revenus et les dépenses des forces armées et en assurer le suivi[18].

D’autre part, étant donné que les matières relatives à la défense nationale traitent des questions vitales d’un Etat, à l’instar de la Belgique, il faudrait instituer une commission spécifique des achats militaires pour suivre les gros achats de la défense nationale. Cette commission aura pour tâche d’évaluer tous les aspects relatifs à l’octroi des marchés publics, aux appels d’offre, de vérifier si les cahiers des charges est élaboré convenablement, si les règles liées à la concurrence sont respectés, si le matériel à acquérir répond aux besoins réels de la défense nationale, pourrait générer un impact socio-économique positif (industrie de la défense, pièces de rechange, maintenance sur place, si possible avec la possibilité de création d’emplois dans le cadre du partenariat public-privé). Aujourd’hui en RDC, tous les gros achats liés à la défense et même à la police, sont gérés par la maison militaire du chef de l’Etat alors que la demande ou l’élaboration des besoins en matière de défense doit émaner de la base, c’est-à-dire de l’état-major général de l’armée et transmise à l’exécutif[19]. Par ailleurs, toutes les dépenses de l’Etat, notamment en rapport avec les achats militaires doivent relever du ministre du Budget. Ce qui n’est pas le cas en RDC où les achats échappent à la fois à la compétence du ministre de la Défense (sans réel portefeuille), encore moins au feu vert du ministre du Budget alors que la Défense est un domaine de collaboration entre le chef de l’Etat (y comprise sa maison militaire) et le Gouvernement.

En effet, dans une armée moderne, le chef d’état-major général (CEMG) des armées est le véritable patron de l’armée. En RDC, le chef d’état-major général des FARDC devrait avoir non seulement un rôle important de coordination entre les différentes composantes de l’armée. Mais en tant qu’expert militaire et homme de terrain, il devrait en principe conseiller le gouvernement et le parlement, et assurer le commandement des opérations militaires sur le terrain. Il devrait en outre  participer aussi aux travaux de programmation et de planification de défense ainsi qu’à la préparation des budgets, il devrait enfin être chargé des relations avec les armées étrangères. Autour du chef de l’Etat-major des FARDC doivent graviter toutes les structures militaires opérationnelles (dont le renseignement militaire et les unités spéciales), administratives (notamment le service des achats), techniques, logistiques  et médicales. Bref, le chef d’état-major des armées est donc le principal intermédiaire entre le pouvoir politique et les armées et la personne centrale d’une armée qui, avec les quatre chefs d’état-major (Force terrestre, Force aérienne, Force navale et renseignement militaire) établissent la doctrine militaire d’emploi des FARDC et élaborent à l’attention du gouvernement (Ministre de la défense) la programmation et la planification au niveau des moyens et proposent des priorités[20]. Ce qui, malheureusement, est loin d’être le cas en RDC. Pire encore, le Parlement congolais ignore même cette compétence de première importance du CEMG des FARDC.

Par ailleurs, en matières d’attributions communes à tous les ministères de leurs prérogatives, l’article 1er de l‘Ordonnance N° 08/074 du 24 Décembre[21] stipule notamment :

« Sans préjudice de la Constitution et d’autres dispositions des textes légaux en la matière, les attributions des Ministères sont fixés comme suit:
Conception, élaboration et mise en œuvre de la politique du Gouvernement dans les secteurs qui leur sont confiés;
Contrôle et tutelle des établissements et des services publics (Ndlr. aussi des casernes, corps logistique, etc…) ainsi que des entreprises publiques de leurs secteurs respectifs;
Mise en œuvre de la politique du Gouvernement pour la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption et les antivaleurs ;
– Mobilisation des recettes assignées à leur service;
Engagement de dépenses prévues au budget de l’Etat suivant le crédit alloué à leurs Ministères;

Dans le cadre des attributions spécifiques du ministère de la Défense Nationale et des Anciens Combattants; la même ordonnance octroie au ministre de la Défense, et non pas au chef de la maison militaire du président chef , la compétence de  l’Administration et approvisionnement des Forces Armées« .

En effet, les programmes de lutte contre la corruption axés sur les dépenses de défense ont pour but d’améliorer la gestion globale des dépenses publiques. C’est le cas du projet de la bancarisation de la paie des militaires/policiers mis en place par l’Eusec/Eupol – RDC qui a permis de réduire l’ampleur des détournements de fonds dans les FARDC, malgré d’autres effets pervers qu’il a induits et qui ont permis de délocaliser la corruption[22].

Il est donc aujourd’hui urgent d’instituer et d’institutionnaliser en RDC ce qu’il convient d’appeler « une culture du contrôle démocratique du secteur de la sécurité », base de la gouvernance sécuritaire indispensable à une gouvernance démocratique. Il est donc primordial de promouvoir la subordination de l’institution de défense et de sécurité au pouvoir politique légal et légitime.

L’outil militaire doit rester aux ordres des représentants de la nation que sont les personnels politiques qui lui assignent la mission en fonction des objectifs stratégiques de l’Etat. En effet, c’est aux politiques de diriger la guerre plutôt qu’à ceux dont le métier est de se battre sur le champ de bataille.

Déjà à l’époque de l’Empire Romain, Cicéron avait dit : « Cedant arma togae », Cedant arma togae est une locution latine, littéralement traduite par : « Que les armes cèdent à la toge », ou traditionnellement rendue par l’expression : « L’épée le cède à la toge ». C’est le premier hémistiche d’un vers de Ciceron pour son propre hommage, en souvenir de son consulat. Cette sentence s’emploie pour signifier la prééminence du pouvoir civil sur le pouvoir militaire, le gouvernement militaire, représenté par les armes, cédant le pas au gouvernement civil, qui arbore la toge[23].

A ces actions, il faudrait également impliquer activement les acteurs de la société civile dans l’accompagnement de la réforme de l’armée afin que leurs actions ne se limitent pas uniquement à l’évaluation des réformes qui se soldent par des recommandations creuses, mais surtout à travailler activement aux côtés des professionnels afin de s’imprégner du fonctionnement et de la logique militaire. Trop souvent les experts dits de la RSS ignorent les principes de base du fonctionnement de l’armée. Certains ignorent la différence entre la fonction de police et celle de l’armée et viennent avec des solutions conçues dans les « salles climatisées » de l’Occident qui ne tiennent pas compte de réalités des terrains tropicaux africains (Exemple de brassage).

Nous pensons par exemple à l’importance de la formation des professionnels des médias sur la compréhension du fonctionnement du secteur de la défense et sécurité. Cela leur permettra de mieux éclairer l’opinion, tout en dénonçant, avec professionnalisme, les dérives constatées dans le fonctionnement et la gestion des affaires sécuritaires du pays. Ce qui sera d’un apport non négligeable dans la consolidation de la (bonne) gouvernance sécuritaire.

Conclusion

La RSS est une condition nécessaire pour la démocratisation et le développement des pays en quête de stabilité[24]. Le contrôle civil adéquat de l’armée reste essentiel à la formation d’une armée réellement républicaine au service – et soumis au – du pouvoir politique civil dont il reste l’instrument et qui lui assigne la mission en fonction des objectifs stratégiques de l’Etat. Comme l’a déclaré Georges Clemenceau, « la Guerre est une chose trop grave pour la confier aux militaires ». Ne dit-on pas aussi que « fais-moi une bonne politique je te ferai une armée puissante » ? Il s’agit là d’une citation importante dans le cadre de l’élaboration de la stratégie générale d’un Etat.

Un premier enjeu présenté comme étant crucial est la nécessité de limiter le pouvoir politique de l’armée ou l’immixtion de l’armée dans la sphère politique. Les événements en cours au Burkina Faso illustrent cette importance.

Un second enjeu est la nécessité d’avoir des forces armées disciplinées, étant entendu qu’une bande d’individus armés et indisciplinés peut être désastreuse pour la société. Il est d’une importance cruciale de veiller à ce que l’appareil de justice militaire soit compatible avec les normes des droits de l’Homme. La plupart des lois militaires européennes sont conformes à la Convention européenne des droits de l’homme. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples offre un point de référence analogue pour assurer la conformité des systèmes de justice militaire africains au droit national et international[25].

Troisièmement, il y a une nécessité de mettre en place des mécanismes efficaces permettant que l’armée soit effectivement soumise à un contrôle politique civil, d’une part. D’autre part, il faudrait également en même temps éviter la politisation des forces armées ou la militarisation du politique en faisant en sorte que les militaires ne soient pas instrumentalisés par des politiciens qui pourraient les utiliser à des fins politiciennes, partisanes ou communautaristes[26].

Les experts de DESC, toujours disposés à offrir leurs services à la nation congolaise, se proposent d’organiser des modules ou des séminaires de formation des parlementaires congolais, des responsables politiques congolais et des acteurs de la société civile pour l’appropriation et le renforcement de leurs prérogatives en la matière.

Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC

Analyste politique (Post-graduate en Science politique ULB), Criminologue (master à l’Université de Liège) et Expert militaire et policier (diplômé de l’Ecole royale militaire et de l’Ecole royale de Gendarmerie)
Chercheur associé au GRIP. Brève indication biographique : http://www.grip.org/fr/node/1747

Références

[1] http://afridesk.org/la-iiieme-republique-congolaise-une-democratie-tripatouillee-dans-un-etat-defaillant-jean-jacques-wondo/#sthash.7kqFJVMB.dpuf.

[2] http://afridesk.org/la-iiieme-republique-congolaise-une-democratie-tripatouillee-dans-un-etat-defaillant-jean-jacques-wondo/#sthash.7kqFJVMB.dpuf.

[3] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Editions Monde nouveau/Afrique Nouvelle, Suisse, 2è Ed.491, p.300.

[4] Jean-Jacques Wondo, « Le Plan (Mwando – Etumba) 2009-2025 de la réforme des FARDC – Quo Vadis? », Défense et sécurité du Congo, 5 juin 2013. Lire aussi : Jean- Jacques Wondo Omanyundu, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée Irréformable, 2014, p.27.

[5] DRC-SSR-Report-2012, R.D. Congo. Prendre position sur la réforme du secteur de la sécurité, mai 2012.

[6] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Editions Monde nouveau/Afrique Nouvelle, Suisse, 2è Ed., 2013.

[7] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Editions Monde nouveau/Afrique Nouvelle, Suisse, 2è Ed., p.62.

[8] Jean- Jacques Wondo Omanyundu, Ibid., p.401.

[9] Horold Crouch, The Army and Politics in Indonesia, Cornell University Press, London, 1978.

[10] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, op. cit., p.356.

[11] http://afrique.kongotimes.info/rdc/politique/9370-rdc-exigence-2eme-premiers-ministres-charge-defense-securite-inepties-politicien-positionnement-bitakwira-propose-pour.html.

[12] Ibid.

[13] Jean-Jacques Wondo, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?, Déc. 2014, p.4.

[14] La réforme des systèmes de sécurité et de justice en Afrique francophone, Actes du séminaire organisé et soutenu par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), mai 2009, p.39. http://www.francophonie.org/IMG/pdf/reformes_systemes_securite.pdf.

[15] Emile Ouédraogo, « Pour la professionnalisation des Forces armées en Afrique », Papier de recherche N°6 du CESA, Washington, juillet 2014, p.55.

[16] La réforme des systèmes de sécurité et de justice en Afrique francophone, Actes du séminaire organisé et soutenu par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), mai 2009, p.39. http://www.francophonie.org/IMG/pdf/reformes_systemes_securite.pdf, pp.39-40.

[17] Ibidem, p.40.

[18] Emile Ouédraogo, Pour la professionnalisation des Forces armées en Afrique, Papier de recherche N°6 du CESA, Washington, juillet 2014, p.55.

 [19] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Informations recueillies dans le cadre de la formation en Hautes études de défense, 19 octobre 2015.

 [20] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Editions Monde nouveau/Afrique Nouvelle, Suisse, 2è Ed., p.62.

   [20] http://www.leganet.cd/Legislation/Droit%20Public/Ministeres/O.08.74.24.12.2008.htm.

[22] Lire : Jean-Jacques Wondo, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?,Dec. 2014, p.169.

[23] https://fr.wikipedia.org/wiki/Cedant_arma_togae.

[24] Herbert, Wulf, « Réforme du secteur de la sécurité dans les pays en développement et les pays en transition », p.10, http://www.berghof−handbook.net/documents/publications/frenchwulfdialogue2.pdf.

[25] Emile Ouédraogo, op. cit ., 2014, p.51.

[26] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, op. cit., p.407.

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One Comment “Le contrôle parlementaire de l’armée, une nécessité pour une gouvernance sécuritaire en RDC – Jean-Jacques Wondo”

  • Jérémie Modjoa

    says:

    Bien Dit.Depuis 1960 À Nos Jours Notre Pays A La Meilleur Théorie Du Monde Mais Non Pratiqué.Beaucoup De Diplômes,depuis La 6eme Primaire Jusqu’au Doctorat Mais,rien Ne Va Dans Ce Pays.Un Pays Riche En Tout D’une Pratique Pourrie En Tout!

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Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu