La saga du calvaire des militaires congolais formés en Tanzanie
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Alors que dans une précédente publication, nous avons fait état du non-paiement des militaires revenus de la Tanzanie, nous venons ici livrer plus de détails sur le calvaire subi par ces officiers qui chargent DESC de mettre à la connaissance de tous leur triste sort.
D’après des témoignages croisés recueillis des plusieurs sources, la situation de ces militaires se résume comme suivant le témoignage suivant :
Tout part de notre sélection au niveau des différents centres d’instructions (CI) et ceux sélectionnés dans la Ville de Kisangani, de Lubumbashi, et de Kinshasa. Le centre de regroupement des candidats élèves-officiers se trouvait à Maluku, dans la banlieue est de Kinshasa où les candidats sélectionnés devraient rester deux semaines. Mais nous y sommes restés trois mois sans raison apparente.
En Octobre 2013, tous les soldats venus des tous les C.I avaient reçu leurs soldes et leurs arriérés de trois mois car ayant été incorporés au sein de l’armée le 4 juin 2013. Tous les candidats officiers et sous-officiers sélectionnés ont quitté la RDC le 08 Novembre 2013 pour une formation d’une année pour rentrer en RDC le 22 novembre 2014.
Mais ce qui s’était passé durant cette période était un horrible parcours du combattant et honteux pour la RDC. On a amené à la Tanzanian military academy des élèves officiers qui savaient à peine lire et écrire et qui s’exprimaient difficilement en français. Il fallait alors des interprètes pour la traduction de l’anglais en français. Drôle encore, les interprètes retenus ne parlaient et ne comprennent ni l’anglais ni le swahili, qui étaient pourtant les langues pédagogiques et administratives officielles de la Tanzanie.
Pire encore , nous avons passé un mois à attendre l’avion pour nous ramener au pays, une première et chose qui ne s’est jamais faite à cette académie depuis qu’elle existe. Finalement, l’avion arrive mais le carburant n’est pas suffisant. Nous étions alors obligé de passer la nuit à la belle étoile en attendant que Kinshasa envoie de l’argent pour le benzène.
Le chef de l’Etat va nous rejoindre avec une forte délégation mais sans aucun franc à ns donner sauf les paroles rassurantes du président de la république lorsqu’ il passait les troupes en revue. Comme quelqu’un à qui on a soufflé les paroles, lorsqu’il serrait la main des militaires brevetés, il répétait constamment aux et aux autres : Mes sincères félicitations ; ne fuyez pas ; rendons-nous au Congo, ne trahissez pas la RDC, le peuple a besoin de vous ; etc. »
Une fois de retour au Congo , le Général-Major Célestin Mbala Musense, le chef d’état-major général adjoint chargé de l’administration et de la logistique rentrera ces jeunes militaires en leur disant : : « Soyez les bienvenus. Vous avez droit chacun à 200$ dont 50$ comme prime et dans deux jours vous percevrez vos arriérés. Ensuite, il y aura une grande cérémonie de reconnaissance de vos grades en votre honneur. Et puis, vous irez dans des Ecoles de formation ou d’application spécifiques : (infanterie, artillerie, communication, administration, des troupes blindées, naval, logistique et génie) » . C’est ainsi que ces jeunes gens ont été envoyés à la base militaire de Kitona pour la cérémonie de reconnaissance de leurs grades.
Une armée top down de Kabila où les généraux festoient et les troupes végètent
Arrivés sur place, nous raconte plusieurs jeunes militaires, ils sont logés dans des installations où il n’y a pas d’eau ni d’électricité, bref la saleté notoire. C’est dans cet environnement insalubre et indigne pour une armée dont on vante la montée en puissance que le chef de l’Etat a été reçu avec tous ses invités de marque pour la grande cérémonie à notre honneur.
Le 27 novembre 2014, jour J, tout est fin prêt ou presque !. Le Président Kabila, accompagné d’une impressionnante délégation de ses ministres ainsi que de ses invités de marque sont tous au rendez-vous, tous tirés à quatre épingle. La cérémonie officielle se déroule comme prévu et avec fastes. Après la prise de la photo de famille avec le président, le ministre de la défense ; Alexandre Luba, le chef d’état-major général, le Général d’armée Didier Etumba, ainsi que l’ambassadeur de la Tanzanie, tous les officiels s’éclipsent. Dans les ordures, on voit tous les majors, colonels et généraux entrer dans leurs Jeeps et s’en aller festoyer avec les officiels. A la parade, nous sommes abandonnés et délaissés à nous notre triste sort, ignorés et mêmes stupéfaits de ne pas savoir ce qui avait été prévu pour nous par la suite. C’est alors le service de renseignement militaire de la présidence nous demandera qu’est-ce qu’on a prévu pour vous? Notre réponse : « rien du tout ». Eux aussi, s’en allèrent à leur tour. On apprendra plus tard que le président avait pris son vol pour pour Dakar où il s’est rendu au sommet de la Francophonie ».
Alors, la question que nous officiers et sous-officiers diplômés de la Tanzanian military academy que nous posons à notre hiérarchie militaire et aux autorités politiques est la suivante : « Tous ces officiers généraux et supérieurs avaient festoyé pour quelle raison ? Pendant que nous qui étions mis à l’honneur on a même pas songé à nous. On finira par manger à 23h00 grâce à la compassion d’un sergent gestionnaire du mess de Kitona. »
Toujours impayés
Depuis ce jour de prestation de serment, nous n’avons plus reçu aucun solde. Ni de solde de deuxième classe ni celui de sous-lieutenant. Nous continuons à faire face à de problèmes. Contrairement à ce que l’on pense, au sein des FARDC les soins de santé ne sont pas gratuits. Le militaire doit prendre en charge la totalité de ses frais médicaux, même s’il va se faire soigner dans un établissement médical militaire. A cela , il faut ajouter d’autres problèmes sociaux liés à notre condition de vie.
Et les militaires excédés, ne sachant plus à quel saint se vouer, demande à DESC de transmettre le message suivant de ras-le-bol, malgré nos réserves pour leur sécurité :
« FRANCHEMENT LE GOUVERNEMENT DE LA RDC ET NOTRE HIERARCHIE DES FARDC NOUS ONT DEJA DECOURAGES ET DEGOUTES. ON DIRAIT QUE LA REFORME DE L’ARMEE EST POUR LES GENERAUX ET CERTAINS COLONELS QUI NE CESSENT DE S’ENRICHIR QUAND LES SOLDATS OFFICIERS ET SOUS-OFFICIERS CROUPISSENT DANS LA MISERE. OU EST LA MONTEE EN PUISSANCE[1] DES FARDC QUE LES AUTORITES NE CESSENT DE CRIER TOUS LES JOURS ? S’ILS NE VEULENT PAS NOUS REMETTRE DANS NOS DROITS ILS NOUS LES PAYERONT BIENTOT ».
En bref, ils menacent tous d’interrompre leurs stages dans toutes les écoles d’application ou de spécialisation où ils se trouvent.
Même son de cloche à Kananga où un élève officier a été assassiné et enterré comme un chien
Le problème d’abandon des militaires étant devenu endémique au sein des FARDC qui miment les FAZ, DESC a également été alertée par plusieurs sources de l’assassinat d’une jeune élève officier de la 29ème promotion de l’académie militaire dénommé Imara, originaire de Kikwit dans le Bandundu. Un décès survenu dans la nuit du 14 au 15 janvier 2015 par une personne non autrement identifiée mais dont certaines sources qualifient d’un vieux militaire jaloux du fait qu’il va terminer sa carrière comme simple soldat de 2ème classe dans l’armée alors que le jeune tué va devenir un officier. Cet élève officier a été tué au camp Bobozo à Kananga. Les élèves officiers se plaignent qu’aucune cérémonie d’honneur lui ait été rendu par ses collègues et les autorités de l’académie comme cela se fait de coutume. Il a été enterré sans même la présence du drapeau national congolais. Un sacrilège pour ses condisciples qui ne cachent pas leur désarroi… Ils s’insurgent en plus du manque de considération dont ils font l’objet de la part du nouveau commandant de l’Académie, le Général Etienne Tabu qu’ils considèrent comme un intrus.
La tradition de l’Académie militaire de Kananga veut que cette école soit commandée par un ancien élève sorti de cette prestigieuse école militaire. Mais le nouveau commandant de l’AcaMil, le Général Etienne Tabu, nommé par Kabila, n’a pas été formé à Kananga. Pire encore, il a brillé par son absence et n’a même pas daigné honorer la mémoire de cet élève officier. Pour les élèves-officiers de Kananga, le Général Tabu qui n’a que faire de l’Académie militaire de Kananga, a été envoyé pour « la disparition complète de notre académie » car il manifeste une indifférence totale au fonctionnement de l’Académie. Trop âgé, il est rarement présent à l’académie militaire. Le commandant de l’école a déclaré que l’officier décédé est mort pour un problème de femme d’autrui pour ne pas mener une enquête. Les condisciples attendent une enquête et ont l’impression que cet acte est de nature à décourager et à démoraliser les autres élèves.
Pour Kobler, la réforme de l’armée c’est aussi une bonne prise en charge des militaires
Dans un document confidentiel de l’Exposé à huis clos du Représentant spécial du Secrétaire général au Conseil de sécurité, document nous transmis par une source diplomatique à New-York et daté du 22 janvier 2015, Martin Kobler l’état de délaissement des militaires congolais.
« Beaucoup limitent à tort la RSS à la formation et à la professionnalisation des forces – mais la réforme du secteur de la sécurité va bien au-delà. Elle a également pour objet de mettre en place les outils techniques nécessaires au fonctionnement des services de sécurité : l’approvisionnement, la logistique, l’administration et la responsabilisation. Napoléon a affirmé qu’une armée marche à son estomac. C’est aussi vrai de nos jours que ça l’était au 19ème siècle. Aujourd’hui, la MONUSCO fournit des rations alimentaires pour plus de 23 000 soldats des FARDC, la quasi-totalité d’entre eux étant dans les zones de conflit à l’est. En outre, la discipline et la motivation sont intrinsèquement liées à la capacité de se voir payer un salaire décent et ce, de manière régulière. Les salaires ne peuvent être payés que si le Gouvernement met de l’argent à disposition en banque. Mon conseil pour pouvoir se passer de l’assistance de la MONUSCO est d’ériger au rang de priorité la mise à disposition des ressources pour la police et l’armée afin qu’elles puissent effectuer le travail pour lequel ces institutions sont de plus en plus prêtes à mener. Les rations alimentaires, les véhicules, les salaires. Ce sont les minimums requis. La République démocratique du Congo dispose d’énormes richesses. Le pays doit les exploiter de façon appropriée s’il veut voler de ses propres ailes« , a plaidé le chef de la MONUSCO.
Pour conclure, d’un côté on apprend en plus que les pensionnaires de l’académie vivent dans le noir, sans électricité ni eau courante depuis que l’Eusec s’y retire progressivement sur la pointe des pieds. De l’autre coté, il y a des officiers-élèves abandonnés et non payés, des militaires oubliés par une poignée d’officiers généraux et supérieurs dans une armée en lambeaux. Voilà là où le manque de volonté politique amène le Chef de l’Etat congolais à priver la RDC de son appareil de défense. Il appartient d’abord aux militaires concernés de refuser cet état de leur clochardisation en prenant leur responsabilité. Ce n’est pas normal pendant que les populations civiles se démènent pour barrer la route à toute prolongation du mandat présidentiel de Kabila en 2016 que les militaires, les premiers défenseurs du Congo et des Congolais, continuent à pleurnicher pour que nous trouvions des solutions à leur place. En même temps, lorsqu’on leur donne des ordres illégaux de tirer à balles réelles sur des manifestants non armés, ils sont les premiers à s’exécuter.
Pour un soldat la désobéissance à un ordre illégal est parfois un devoir mieux un comportement éthique
L’institution militaire doit certes rester sous les ordres de l’exécutif et se doit d’obéir afin de servir les intérêts de la nation qu’elle a pour mission de protéger. En revanche l’obéissance militaire atteint ses limites là où le savoir, la conscience, le bon sens, le discernement, l’éthique, la responsabilité interdisent d’obéir aux ordres. En effet, le soldat est tenu d’obéir aux ordres de ses supérieurs mais il existe des exceptions : lorsqu’il se sent blessé dans sa dignité humaine, il a le droit de refuser d’exécuter l’ordre ; lorsqu’on lui demande d’enfreindre la loi, il a non seulement le droit de refuser mais il a l’obligation de ne pas obéir. Entre discipline et obéissance, il faut aussi trancher. Dans les armées, la discipline n’est obligatoire qu’à partir du moment où le chef a pris sa décision, chacun étant, en principe, libre de s’exprimer avant qu’elle ne devienne effective. L’obéissance est un acte concret, de terrain, qui doit prendre en compte le contexte et la situation parce que distinction est faite entre obéissance formelle et intellectuelle, la mission devant être exécutée dans son esprit avant de l’être dans sa lettre. Dans une armée, tout supérieur doit obtenir que les ordres soient « exécutés littéralement sans hésitation ni murmure, l’autorité qui les donne est responsable et la réclamation n’est permise au subordonné que lorsqu’il a obéi ». En 1972, le Statut général des militaires français réitère la nécessite de l’obéissance des militaires aux supérieurs. Toutefois, précise-t-il, « il ne peut leur être ordonné et ils ne peuvent accomplir des actes qui sont contraires aux lois, aux coutumes de la guerre et aux conventions internationales… La responsabilité propre des subordonnés ne dégage les supérieurs d’aucune de leurs responsabilités. » Le chef autant que ceux qui lui doivent obéissance ne peuvent échapper à leur responsabilité de citoyen. Il faut donc savoir, si nécessaire, désobéir aux ordres. Ni la bêtise, ni le non discernement ne pourront excuser un manquement à la désobéissance… ou au moins, à une adaptation des ordres aux circonstances. « Une bonne initiative est une désobéissance qui a réussi[2] »
Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC
[1]Lors de la cérémonie de reconnaissance des grades de ces soldats, le ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants, Alexandre Luba Ntambo, le Gouverneur du Bas-Congo, Jacques Mbandu N’situ et plusieurs autres responsables des FARDC et de la PNC ont rehaussé de leur présence, cette cérémonie de prise d’arme. Dans on allocution de circonstance, le ministre de la Défense nationale a insisté sur l’importance que le Président de la République, commandant suprême des FARDC et de la PNC, attache à la formation de nos officiers et sous-officiers appelés à défendre la patrie et à assurer la protection et la sécurité des personnes et de leurs biens, à l’intérieur de nos frontières nationales.
[2] http://afridesk.org/larmee-republicaine-entre-obeissance-et-desobeissance-les-cas-tunisien-et-egyptien-jean-jacques-wondo/.
4 Comments on “Le calvaire des soldats congolais formés en Tanzanie – JJ Wondo”
Makutu Lidjo
says:Cela s’appelle tout simplement du sabotage. C’est très grave.
ernest
says:voila l’indicateur qui determnine si la RDC est devenu un pays serieux ou pas.
aussi longtemps que nos dirigeants negligerons les FARDC, ( salaires, primes, ect..)
la paix restera fragile et instable.
MAKIESE YETO
says:Il n’y a pas à se plaindre. IL EST TEMPS DE VOUS ASSUMER EN TANT QUE MILITAIRES POUR VOUS LIBERER DE CETTE HONTE ET LIBERER LE CONGO TOUT ENTIER DE L’OCCUPATION. LA RACINE A COUPER D’ABORD C’EST HYPOLITE KANAMBE alias « joseph kabila », ensuite LES TRAITRES DE NOTRE PAYS, LES CUPIDES QUI SE DISENT ET CROIENT être la » classe politique ». IL FAUT FAIRE LA TABLE RASE. PROUVEZ AU MONDE DE QUOI VOUS ETES CAPABLE POUR VOUS DEFENDRE ET LIBERER VOTRE PAYS.
KUYANI Fidele
says:Nous comprenons que nos dirrigients fond certaine choses par immitation en oubliant que à un certain niveau ça peut se repercuter à leur personnalité