L’abandon des officiers congolais se poursuit pendant que Kabila suréquipe la Garde républicaine
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
« Ça ne va toujours pas M. Wondo au sein de notre armée« , m’interpelle un officier congolais, dépité, muté dans une unité des FARDC, l’armée congolaise. « Comment une réforme de l’armée prônée par les officiers supérieurs et généraux qui ne se soucient de l’avenir du pays et de sa sécurité peut-elle être crédible lorsqu’on abandonne les troupes?« , renchérit-il.
Pour les officiers qui viennent de terminer leurs écoles d’application à Kitona et à Mbanza-Ngungu, faute de planifier et de prévoir la suite de leurs carrières par les fonctions de management, cela fait 45 jours depuis qu’ils ont terminé les formations, aucune date de la cérémonie de clôture n’est programmée. Ceux de l’infanterie qui ont terminé leur stage et qui sont affectés dans les zones de défense, n’ont pas encore reçu leurs fonds de ménage de 500 000 francs congolais. Ils ne disposent pas de moyens pour rejoindre leurs lieux d’affectation, ils déambulent dans toute la ville de Kinshasa. C’est la cas des 71 sous-lieutenants affectés en Ituri. 20 seulement ont accepté leur affectation et les autres sont réaffectés frauduleusement à l’état-major général de Kinshasa, grâce à l’intervention ou aux recommandations de leurs parents, oncles ou frères. Et l’officier de se poser la question : « Qui iront alors se battre sur le terrain à l’intérieur du pays ? »
« Tout le monde veut travailler avec son fils ou son frère qu’il avait envoyé suivre la formation à l’académie en Tanzanie. Ce qui se passe au sein des FARDC est purement de l’anarchie, chacun privilégié ‘ses petits’ d’abord au détriment de la sécurité du pays. En plus les gens qui gèrent l’état-major général de l’armée sont des affairistes. Il font du business privé au lieu de se rendre au bureau pour traiter les problèmes liés à l’armée. En conséquence, cela occasionne les retards dans l’administration de notre armée, certains dossiers font plusieurs mois aucune solution par négligence dans l’exercice de leur fonction. Même les formations vantées par l’EUSEC-RDC[1] en vue de informatiser l’administration militaire congolaise pour la rendre optimale ne produiront aucun résultat concret. Cela n’intéresse pas les chefs ici qui voient dans cet appui un moyen de combattre leurs business ».
A ce propos, si avec une quarantaine de collaborateurs d’EUSEC-RDC, les résultats de cette mission ont été très mitigés, ce n’est pas avec une nouvelle mission plus réduite, débutée le 1er juillet 2015, pour une année, accompagnée d’un programme de développement sur six ans – PROGRESS[2] – qu’on atteindra des résultats spectaculaires. C’est de la poudre aux yeux car la volonté politique pour une bonne réforme de l’armée est quasi nulle chez Kabila et ses généraux. En effet, sans loi de programmation militaire attendue depuis 2012, avec un plan de réforme (2009) et sa feuille de route qui nécessitent une actualisation, à cela s’ajoute la corruption qui continue à avoir la peau dure au sein des FARDC, il ne faut pas en attendre des progrès réels dans cette nouvelle mission light de l’EUSEC-RDC, qui se veut juste se donner un sentiment de bonne conscience. Mais au fond tout le monde sait que c’est un échec annoncé.
Concernant certains jeunes officiers, les premiers à être relativement bien formés sur le sol congolais depuis plus de 20 ans, à la suite de la pression internationale sur Kabila[3], ceux qui ont échoué dans les écoles d’application travaillent déjà à l’état-major général des FARDC et obtiennent leurs primes régulièrement alors que leurs collègues qui ont réussi leur formation sont au combat aux environs de Beni au Nord-Kivu, sans RCA (Ration convertible en argent) ni prime. Ils sont d’ailleurs coupés de toute communication avec leur hiérarchie administrative. « C’est quelle armée ça qui gâte les incapables et démotive les compétents qui se battent sur le sur le terrain?, m’interloque l’officier sidéré.
En ce qui concerne les jeunes officiers de l »Ecole d’application de Mbanza-Ngungu, ils attendent, en vain, depuis le 15 juin 2015, la cérémonie marquant la fin de leur formation militaire. Entre-temps, une troupe, à majorité katangaise, d’infanterie blindée de la Garde républicaine, formée à Kibomango au lieu d’être formée à Mbaza-Ngungu avec le reste de leurs frères d’armes, va bénéficier d’une cérémonie de sortie de formation à la fin du mois d’août 2015. Il s’agit d’une « politique discriminatoire des deux poids et deux mesures que la hiérarchie instaure dans l’armée« , nous confie un responsable militaire congolais à l’état-major général des FARDC.
Il en est de même pour les autres officiers et sous-officiers retenus comme instructeurs à Kananga et Kitona dont les situations administratives dénoncées depuis 2014 n’ont jamais été régularisées.
Lors d’un entretien avec un ancien formateur de l’EUSEC, ce dernier m’a rapporté le cas d’une formation dispensée à un groupe d’officiers supérieurs à Kinshasa au sein duquel appartenait un jeune cadet du président Kabila. A la fin de la formation, ce dernier a été classé le dernier de sa promotion avec environ 30 % de la moyenne. Mais lors de la délibération, l’ordre est venu de la haute hiérarchie militaire pour qu’il puisse réussir avec satisfaction. Ayant appris cela, ses autres collègues qui avaient également échoué, avec des cotes meilleures que lui, ont exigé également de bénéficier de la même faveur. Quoi de plus logique ! En fin de compte, tout le monde a réussi.
Un autre fait rapporté par une connaissance FARDC qui venait d’être nommé major en 2013 et que je voulais féliciter. L’intéressé m’a manifesté sa déception en me disant : « Jean-Jacques, il me manquait seulement 500 $ pour que je sois nommé lieutenant-colonel » et il insiste en lingala « 500 dol ya pamba ndeko na ngai !» (seulement 500 dollars mon frère et le tour était joué!).
Moi qui aime à comparer l’armée à la médecine parce qu’elles sont censées protéger des vies humaines, qui accepterait de se faire soigner par un charlatan ? Voilà l’état d’une armée censée protéger la vie des Congolais et à quel point on joue sur la sécurité d’un pays d’importance stratégique mondiale. Et lorsque DESC révèle ces faits, il devient subversif pour la sécurité du pays et fait l’objet des cyberattaques de la part des renseignements militaires du pays.
Désespéré, un autre officier nous a confié : « Enfin, j’ai compris que pour se retrouver dans notre armée (nationale) il faut être pistonné par ton frère du coin, là c’est maintenant l’armée régionale ou des groupuscules d’armées privées. Chacun défend et protège, voire affecte seulement ses frères. Vérifiez l’information M. Wondo, vous me donnerez raison. Que l’Eternel Dieu des armées vous assiste dans tout ce que vous faites pour notre pays ».
Pour rappel, en 2014, grâce à la publication de DESC, plusieurs officiers-élèves de la 126ème promotion de l’Académie militaire de Kananga ont vu leur situation administrative être régularisée. Mais de courte durée car le président Kabila avait promis de leur octroyer une prime supplémentaire de 50 $ mensuelle durant leurs formations aux écoles d’application[4]. Aux dernières nouvelles, cette prime n’était plus payées depuis avril 2015.
Ce qui est inquiétant dans tout cela est qu’en même temps, le président qui gère le portefeuille de la défense au sein de son cabinet privé, la maison militaire, en violation flagrante de la constitution, continue d’utiliser l’argent du contribuable public pour payer des cyber-mercenaires et suréquiper la Garde républicaine[5], chargée de sa sécurité personnelle ou chercher à équiper vaille que vaille une armée[6], alors que le personnel – l’humain – qui va utiliser cet armement est laissé-pour-compte. En même temps, ces chars exhibés pour la plupart du temps lors des défilés militaires et des manifestations populaires, ne parviennent pas à arrêter l’hémorragie des massacres à Beni (https://www.youtube.com/watch?v=qiK3vl2aizA#sthash.M02ht05q.dpuf)ni à éradiquer la menace FDLR, malgré des déclarations mensongères du Gouvernement congolais (http://afridesk.org/chronique-de-desc-rdc-le-mensonge-detat-sur-le-nombre-des-fdlr/).
5 Comments on “L’abandon des officiers congolais se poursuit pendant que Kabila suréquipe la GR – JJ Wondo”
loic
says:PROGRESS à déjà 3 mois de retard…..EUSEC n’a pas de formateur, mais des conseillers en formation ( au moins sur papier, car depuis un an les belges présent dans ce pilier ont surtout un besoin d’être formé. Quand à la dernière année d’EUSEC , c’est le règne d’experts en tourisme…..avec le soutien des ambassadeurs belges (CO PSC et Kin)
ernest
says:chose surprenante est que depuis peu, les FARDC ont lancer une campagne de recrutement( avec spot publicitaire a la tele ), ca ma donner envie pendant plus d’1 seconde , puis, je me suis resaisi, et je me suis auto questionner:: est ce que ca vaut vraiment la peine d’intregrer les FARDC? mon solde sera t-il regulier?, ect..bref! je me suis rappeler de toute les analyses de DESC demontrant la mauvaise gestion au sein des FARDC. conclusion: je me suis decourager
Yes we can
says:Mr owando merci pour vos analyses moi je condamner ces militaires au lieu de se plaindre qu’ils utilisent leur armes contre leurs superieurs c’est tout merci
Toto
says:Qu’ils arrêtent de se plaindre et qu’ils réfléchissent sérieusement à comment nous débarrasser de Kabila.
Celui-ci a suffisamment prouvé que bâtir une armée moderne et efficace ne l’intéressait nullement !
Makutu Lidjo
says:Vous voyez comment l’incivisme, l’irresponsabilité, l’insouciance, l’immaturité mettent en danger à peu près 70 millions de compatriotes de l’intérieur. Lorsque l’on commencera à dire qu’au vu des faits ainsi relatés que Kabila est sûrement un non congolais, je vais me voir traité de xénophobe par mes compatriotes. Eh bien, quand le syndrome de Stockholm vous tient. Qui est l’artisan de la balkanisation de notre pays ?