La relocalisation des FDLR à l’intérieur de la RDC
La stratégie d’inculturation du conflit rwandais en RDC
Par Jean-Jacques Wondo O.
Il a été récemment fait état par la MONUSCO, sur demande des autorités congolaises, du regroupement temporaire et relocalisation des FDLR rwandaises dans un camp militaire à Irebu à l’Equateur, en vue de les éloigner de la frontière en attendant d’être envoyés dans un pays d’accueil. Depuis la fin du mois de mai, environ deux cents rebelles rwandais ont volontairement déposé les armes dans les provinces du Nord et Sud-Kivu.
La question des FDLR, un enjeu politique pour le Rwanda et Kabila
La RDC et le Rwanda s’accusent mutuellement de se déstabiliser par rébellions interposées. Si la question M23 a été en résolue avec l’implication active de la communauté internationale et des pays de la sous-région, il doit en être de même pour la résolution du problème FDLR qui, en réalité, est un vrai faux problème qui arrange quelque part les acteurs de la région à justifier leurs objectifs politiques latents c’est-à-dire cachés de laisser une guerre de basse intensité persister en RDC. Il faut le rappeler que la guerre reste en tout temps la continuation de la politique par d’autres moyens. La guerre n’est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument politique, une poursuite des actions politiques, une réalisation de celles-ci par d’autres moyens. La guerre n’est jamais une fin en soi mais répond toujours à une finalité politique.
Il faut se dire que la relocalisation des FDLR à l’intérieur du Congo, notamment dans la province de l’Equateur, ne va pas résoudre définitivement la question de l’insécurité à l’intérieur de la RDC, mais va juste déplacer ce problème. En réinstallant les FDLR dans la province de l’Equateur, on augmente le risque de déstabilisation de cette province et ses alentours (Congo-Brazza, Cameroun) dans une région déjà confrontée à la crise centrafricaine et qui a connu précédemment l’insurrection des Enyeles et les conflits ethno-communautaires internes.
Cette instabilité pourrait également contaminer le Congo-Brazzaville où l’on ressent déjà une certaine tension politique à l’approche de 2016 qui est également une année politique à haut risque car marquant la fin de mandat constitutionnel du président Denis Sassou Nguesso.
Sur le plan militaire, la province de l’Equateur, notamment via la ville de Mbandaka, reste un axe militaire stratégique qui ouvre par le fleuve la voie vers Kinshasa. Sa déstabilisation engendrerait des conséquences dramatiques pour la capitale congolaise. C’est l’une des raisons pour lesquelles, lors de la deuxième guerre d’agression du Congo entre 1998-2002, Laurent-Désiré Kabila a érigé Mbandaka en une forteresse militaire stratégique.
La question que l’on doit se poser est de savoir quelle est la stratégie politique qui se cache derrière cette province réputée pour son opposition sociopolitique au pouvoir de Kinshasa ? Ainsi, dans le cadre de l’analyse stratégique militaire, contrairement à ce que l’on croit, l’on s’intéresse plus aux mobiles et aux objectifs politiques finaux poursuivis dans la résolution d’une crise à caractère armé que par ses effets militaires immédiats.
Ainsi en analysant, sur le plan de la politique nationale et stratégique de la RDC, rien ne justifie une telle option que je peux même qualifier d’absurde et d’inopportune qui ne peut que servir à d’autres objectifs liés aux calculs politiques, si pas politiciens, subjectifs de ceux qui seraient à la base d’un tel projet.
La province de l’Equateur est en outre confrontée à une situation sociale et économique alarmante, étant oubliée par les programmes des cinq chantiers et de la révolution de la modernité. Par conséquent, la relocalisation des FDLR dans cette province ne fera qu’exacerber des tensions et y aggraver des conflits sécuritaires aux conséquences politiques désastreuses.
Une autre observation à faire est qu’après la prise de Goma par le M23 en 2012, du fait de la restructuration, deux régiments proches l’ex-CNDP, donc à majorité tutsie, ont été déployés au nord de l’Equateur entre Yakoma et Zongo. Or c’est dans cette province que l’on veut réinstaller les Hutu des FDLR. N’est-ce pas vouloir créer dans l’avenir des tensions entre ces deux groupes ethniques et donc aggraver l’instabilité dans cette province qui politiquement est proche de l’opposition que du pouvoir, surtout dans une perspective assez brouillée et échaudée de 2016 ?
Enfin, comme plusieurs observateurs le savent, les FDLR sont devenues aujourd’hui un fond de commerce rentable et un alibi pour les agitateurs nationaux et régionaux qui veulent entretenir l’instabilité en RDC, certains membres de la MONUSCO y compris. Car les mobiles de la guerre à l’est de la RDC restent essentiellement mercantiles et économiques, donc politiques. Or ôter les FDLR du Congo c’est couper de l’herbe aux pieds de certains dirigeants politiques nationaux et régionaux qui instrumentalisent ces FDLR et en tirent des profits politico-financiers plantureux.
A titre d’exemple, un rapport de l’ONU du 12 décembre 2012 a accusé les «FARDC de collaborer étroitement » avec les FDLR si elles ne sont pas utilisées par certaines autorités militaires dans les exploitations illicites des mines à l’est du pays.
De l’autre côté, le même rapport et d’autres ont mentionné que les FDLR qui se sont rendus dans le cadre de DDRRR au Rwanda, ont été recrutés par les officiels Rwandais pour être versés parmi les combattants du M23 envoyés en RDC. Une autre branche des les FDLR/Mandevu, dirigée par le lieutenant-colonel autoproclamé Gaston Mugasa, dit Mandevu, constituée d’une cinquantaine d’hommes et a été, durant 2012 au moins, un allié actif du M23.
Par ailleurs, il faut faire remarquer que chaque fois que l’on essaie de résoudre le problème FDLR, paradoxalement c’est le Rwanda, censé en être le premier bénéficiaire sécuritaire ou politique qui s’interpose pour annihiler ces initiatives. C’est ce qui explique sans doute le récent regain de tension entre le Rwanda et la RDC ces derniers jours.
Enfin, une autre difficulté est d’ordre tactique dans la mesure où s’il a été plus facile de fixer et de combattre le M23 car constituant une cible unique, il n’en est pas le cas avec les FDLR qui sont dispersés sur quatre provinces : Maniema, les deux Kivu et le Katanga. Or pour les relocaliser, il faudrait d’abord les localiser, les neutraliser (d’abord militairement pour mettre la pression politique sur elles, puis envisager éventuellement leur localisation). Mais à mon avis, seul leur rapatriement au Rwanda, moyennant un certain nombre de garanties politiques permettrait de résoudre efficacement le problème.
Le vrai problème est ailleurs
Les mobiles de la situation sécuritaire permanente instable à l’est de la RDC restent mercantiles et plusieurs recherches l’ont attesté, notamment celle de Pierre JACQUEMOT (2009), Ex-ambassadeur français en RDC :
“L’enjeu des opérations «Umoja wetu» dans le Nord-Kivu et «Kimya II» dans le Sud-Kivu était la reconquête des sites perdus, un retour à la situation qui prévalait dans la région entre 1996 et 2002, avec la mise sous tutelle du « Petit Nord » (territoires de Rutshuru et du Masisi)”. Le choix des sites des opérations (terroirs riches en sous-sol et en pâturage) a conduit à conforter la thèse selon laquelle le Rwanda était effectivement venu consolider ses positions économiques dans l’est de la RDC. Ce, dans le but d’opérer une nouvelle redistribution de la carte économique (mines, terres de pâturage, forêts) ». « Le CNDP contrôle des zones minières bien plus importantes qu’auparavant. Il y a expulsé les exploitants artisanaux. Le CNDP y imposait un « impôt révolutionnaire » et y a installé une administration parallèle.
D’autres ONG : Global Witness, Eurac, ont rapporté que les opérations «KIMIA 2», ont permis aux éléments du CNDP de contrôler des carrés miniers, autrefois occupés par les rebelles rwandais des FDLR. Les rapports de l’ONU mentionnent que : « Le Rwanda constitue la plaque tournante du commerce illicite des pierres précieuses congolaises. »
Cela fait vingt ans que les FDLR sont censées être installées en RDC, à titre provisoire. Toutes les mesures prises de résoudre le problème FDLR en RDC depuis 1994 ont lamentablement échoué. Je pense qu’il est temps de changer de paradigme et d’envisager sans tabou la question du rapatriement des FDLR dans leur pays d’origine, le Rwanda. Cela exige un courage politique des dirigeants de la région et de la communauté internationale. L’accord-cadre d’Addis-Abeba constitue un cadre propice pour prendre le taureau par ses cornes.
L’on se rappellera qu’en 1996, lorsqu’une série d’initiatives politiques menées par la communauté internationale pour monter une opération militaro-humanitaire au Kivu afin de combattre notamment les FDLR, par le au vote de la résolution 1080 du 15 novembre 1996 du Conseil de sécurité des Nations unies autorisant la mise sur pied d’une force multinationale temporaire de quelques douze mille hommes, sous commandement canadien, pour venir en aide aux réfugiés dans l’Est du Zaïre. C’est à ce moment l’AFDL a mis en œuvre, de concert avec l’armée rwandaise, un plan en deux phases destiné à faire avorter cette intervention humanitaire en attaquant le camp de réfugiés de Mugunga.
Il ne faut surtout pas perdre de vue l’on ne doit pas perdre de vue qu’en 2010, Kigali a poussé Kinshasa à signer des accords permettant au Rwanda de poursuivre les FDLR partout où ils se trouvent en RDC. Le fait de les enfoncer davantage à l’intérieur de la RDC ne constitue-t-il pas une manœuvre supplémentaire visant à amener le Rwanda à ouvrir d’autres fronts à l’intérieur du Congo, autres que ses traditionnels fronts de l’est où il s’enlise jour après jour ?
Conclusions
Depuis que quelques groupes FDLR acceptent d’être désarmés en se livrant aux autorités congolaises, il y a une opportunité à saisir pour résoudre durablement cette situation qui serait à la base des justifications répétitives des incessantes interventions du Rwanda en RDC.
On ne peut pas résoudre ce problème uniquement avec la coopération de la RDC Congo/SADC/MONUSCO. Le Rwanda doit aussi s’impliquer dans cette résolution car c’est elle qui se plaint de la menace FDLR.
Pourquoi les populations congolaises doivent accueillir des démobilisés rwandais pendant que Kigali fait aucun effort? On a l’impression que la communauté internationale veut une solution ‘intermédiaire’ en RDC qui consiste à désarmer et intégrer les FDLR et leurs dépendants dans la société congolaise loin des la frontière avec le Rwanda.
D’autre part, qu’est ce qui empêche la diplomatie congolaise, qui ne cesse de se vanter son efficacité ces derniers temps, de faire un lobbying pour amener Kigali à prendre ses responsabilités vis a vis des ses groupes armés et de ces concitoyens.
La solution durable à la problématique des FDLR relève d’un triptyque :
1°) D’abord exercer une pression militaire sur les FDLR pour les désarmer, les démobiliser puis les rapatrier vers le Rwanda et impliquer activement les autorités congolaises à se désolidariser des FDLR ;
2°) Ensuite encourager Kigali à entreprendre des réformes politiques et un dialogue inclusif au Rwanda et
3°) Enfin : mener des actions judiciaires efficaces contre les responsables des FDLR, où qu’ils se trouvent des combattants jugés coupables de viols, autres crimes de guerre.
Une solution à court terme commencerait par une pression militaire exercée par les FARDC et la MONUSCO pour désarmer les FDLR, les isoler dans un territoire donné en poursuivant les criminels de guerre, en attendant leur rapatriement. Cela doit se faire en collaboration avec les autorités rwandaises.
Au lieu de les regrouper tous dans une province, une autre solution intermédiaire, que je n’encourage pas mais qui peut s’envisager est de répartir les efforts sur toutes les provinces en éparpillant les FDLR en petits noyaux de moins de 20 personnes sur l’ensemble des provinces de la RDC de sorte à diluer leur capacité de nuisance.
Tant que le Rwanda ne sera pas impliqué dans la résolution du cas FDLR, tout restera comme avant car en s’impliquant activement, il s’engagera également à respecter les prescrits de son engagement.
One Comment “La relocalisation des FDLR à l’intérieur de la RDC – La stratégie d’inculturation du conflit rwandais en RDC – JJ Wondo”
Timothée TSHAOMBO SHUTSHA
says:Votre analyse est objective et lucide. Elle ne souffre d’aucune invention. En effet, en ce qui me concerne, j’irai plus loin pour dire que Kabila, dans sa détermination de se représenter en 2016 et demeurer Président à Vie de la RDC, défiant ceux qui l’ont fait Roi du Congo, et conscient qu’il ne peut pas compter sur les FARDC, réellement Congolais pour la répression du soulèvement populaire imminent, il fait recours aux FDLR, pour compléter l’effectif de sa garde Républicaine. Pourquoi le choix de Mbandaka? Primo: Province de son principal ennemi Bemba, d’où était venu une insurrection des Enyelés, qui lui poussé de faire un massacre, un véritable carnage dont Floribert CHEBEYA avait même enquêté. Kabila fera recours aux FDLR qui n’ont pas de Cœur à MATER le soulèvement de l’Equateur. Or, chaque bateau qui va descendre de cette province, quelques groupes des FDLR vont infiltrer Kinshasa à l’approche des échauffourées à Kinshasa.
CALCUL POUR KABILA: Combien d’hommes en armes va-t-il aligner à Kinshasa face à 10 millions d’Habitants? Combien va-t-il dans les deux Kasaï et dans toute les autres provinces?
LA PRISE DE CONSCIENCE D’UN PEUPLE EST PLUS PUISSANTE QU’UNE BOMBE ATOMIQUE.
Enfin, comme vous l’avez souligné, cette question des FDLR doit être résolue avec la pression de la communauté internationale, qui doit d’une part faire des pression à Kigali d’ouvrir la table de négociation et d’autre part chercher entre-temps un pays d’accueil des FDLR présents sur notre sol, car ils sont aussi responsable d’environ 70% des exactions de toutes sortes commises sur les Congolais, sans parler des pillages des ressources minières. Donc aucune province en RDC n’est disposée à recevoir ces forces négatives, sauf si par défi comme Kabila cherche à le faire.