Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 02-03-2015 15:11
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RDC – Apport négatif de la justice congolaise à l’état de droit – Jean-Bosco Kongolo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

 Apport négatif de la justice congolaise à l’état de droit

Par Jean-Bosco Kongolo

Lorsque le 24 avril 1990 le Maréchal Mobutu, surprenant ses collaborateurs et le peuple zaïrois, avait pris congé du MPR pour laisser place au multipartisme, la majorité des Zaïrois d’alors, surtout les politiciens, avaient précipitamment jubilé, se disant qu’enfin ils allaient expérimenter la démocratie et l’Etat de droit. A tort ou à raison ils avaient cru que la chute effective du régime de Mobutu et la prise du pouvoir par l’AFDL le 17 mai 1997 allaient suffire pour que la démocratie et l’Etat de droit s’instaurent dans le pays comme par baguette magique. Erreur. En effet, chaque jour qui passe montre que sans un pouvoir judiciaire qui s’assume comme contrepoids , c’est peine perdue que les armes ont été prises et continuent de faire des victimes innocentes, qu’à chaque session parlementaire des lois novatrices sont votées et promulguées, que des magistrats sont nommés et promus ou mutés pour remplacer ceux qui sont révoqués ou retraités et que l’opposition et la société civile continuent de réclamer des changements. Ceux, avocats ou justiciables, qui côtoient la justice congolaise et ceux qui consacrent un peu de leur temps à observer ce qui s’y passe, peuvent affirmer sans exagérer que le pouvoir judiciaire est devenu un obstacle majeur à l’avènement de la démocratie et de l’Etat de droit. A travers quelques faits, connus et/ou observés du dedans comme du dehors sur trois périodes (sous le régime du MPR, durant la longue période de transition 1990-1997 et depuis l’avènement du régime AFDL), nous allons essayer de retracer la marche à reculons du pouvoir judiciaire congolais dans la voie de la démocratisation et de l’Etat de droit. L’analyse étant destinée à la compréhension du commun des citoyens instruits, nous l’aborderons dans un langage plus pédagogique que scientifique.

Un mot sur les notions de démocratie et de l’Etat de droit

C’est facile de dire que la démocratie est le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. Tout le monde sait le dire mais on ne va pas suffisamment au-delà pour expliquer à ce même peuple que c’est lui, lors des scrutins libres et dont il doit exiger la transparence, qui choisit ses dirigeants et sanctionne ou renouvelle leur mandat selon que ses intérêts sont sauvegardés ou trahis.. Pour éviter que les gouvernants n’abusent du pouvoir qui leur est confié pour un temps, et pour réguler tous les autres conflits à naître des relations humaines, il est institué un organe appelé Pouvoir judiciaire qui doit être à la fois indépendant et impartial, qui s’interpose comme le garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens en n’obéissant qu’à l’autorité de la loi(Art. 150 al. 1er et 2è de la Constitution). A ce moment-là on se trouve dans un Etat de droit, où, à travers les décisions rendues chaque jour et qui ne minent pas la confiance que ce même peuple peut avoir en lui, le pouvoir judiciaire ne doit pas se trouver, dans les faits, au service des plus forts, politiquement ou socialement parlant. En est-il ainsi dans notre pays? En termes plus simples, l’Etat de droit signifie la force de la loi et non la loi de la force.

Aperçu du pouvoir judiciaire sous la deuxième République

Juges-de-la-cour-supreme-de-justice
Des lois restrictives

Sous ce régime, le pouvoir judiciaire, appelé Conseil judiciaire, était hiérarchiquement le cadet de tous les organes du MPR, unique institution à laquelle tous les organes étaient subordonnés. C’est au sein du Bureau politique d’abord et plus tard du Comité Central, considéré comme l’organe d’inspiration, de conception, d’orientation et de décision du parti que se formulait toute la politique du pays, y compris les reformes judiciaires.

Selon le rang occupé et les fonctions exercées, le code de l’organisation et de la compétence judiciaires garantissait aux plus hauts cadres du parti une sorte d’assurance impunité qui faisait subtilement d’eux des intouchables, car les Compagnons de la Révolution, les membres du Comité central, les commissaires politiques et les membres du Comité exécutif, les Commissaires d’Etat…) ne pouvaient être pénalement justiciables en premier et dernier ressort que de la Cour suprême de justice (art.98). En dehors du Comité de discipline de triste mémoire, il était difficile pour le commun des mortels de s’attaquer à ces grands citoyens sans mettre sa vie ou sa liberté en danger.

Les cadres subalternes du régime du MPR bénéficiaient eux aussi d’une certaine forme de protection à travers certaines dispositions du code de procédure pénale qui, en leur accordant des privilèges de poursuite, restreignaient considérablement le rôle des officiers de police judiciaire et du ministère public de rechercher les infractions et d’en traduire les auteurs présumés devant les juridictions compétentes. On peut lire à l’art.10 de ce code ce qui suit :« L’officier de police judiciaire ou le magistrat qui reçoit une plainte ou une dénonciation ou qui constate une infraction à charge d’un magistrat, d’un cadre de commandement de l’administration publique, ou judiciaire, d’un cadre supérieur d’une entreprise paraétatique, d’un commissaire Sous-régional, d’un commissaire de Zone, d’un Chef de collectivité ou d’une personne qui les remplace, ne peut, sauf cas d’infraction flagrante, procéder à l’arrestation de la personne poursuivie qu’après en avoir préalablement informé l’autorité hiérarchique dont dépend le prévenu». Cette disposition est complétée par une autre, celle de l’art.13 qui prévoyait que «Dans les cas prévus à l’article 10, la décision des poursuites est réservée au Procureur Général près la Cour d’appel. »

C’est ainsi que tous ces protégés pouvaient se permettre de commettre impunément des actes répréhensibles sans s’inquiéter de quoi que ce soit sachant que dans cette vaste jungle qu’est le Congo et où des moyens de communications étaient difficiles, atteindre le chef hiérarchique situé à des centaines de kilomètres ou surtout le Procureur Général près la Cour d’Appel, situé parfois à plus de 1000 km, devait prendre des semaines, voire des mois. Pendant ce temps, l’officier de police judiciaire ou celui du Ministère public, s’il ne réglait pas l’affaire à son niveau et à sa manière, se décourageait tout simplement au détriment des victimes.

Pour des dossiers impliquant les responsables politiques des organes du MPR, rien ne pouvait être entrepris sans se référer au Président du Conseil judiciaire, lui-même de droit membre du Comité central.

Comme tous les citoyens, les magistrats devaient avant tout faire preuve de militantisme : « Le magistrat doit servir l’État avec fidélité, dévouement, dignité, loyauté et intégrité.

Il doit faire montre en toute circonstance d’un engagement sans failles aux idéaux du Mouvement Populaire de la Révolution.»(Art.59 de l’Ordonnance-loi no82-018 du 31 mars 1982 portant statut des magistrats). Les chefs de juridictions et d’offices devaient en tenir compte dans l’évaluation des magistrats placés sous leurs ordres, comme c’est le cas dans le rapport ci-dessous établi à cette époque pour sanctionner la fin de stage d’un magistrat nommé à titre provisoire :

«  1.Militantisme : Pendant la durée de son stage, le substitut… a fait montre d’un bon militantisme. Il a notamment répondu à toutes les manifestations organisées dans le cadre du Parti-Etat et témoigne de sa disponibilité permanente à servir le Parti.

  1. Conscience professionnelle 

Le substitut…est très consciencieux. Il est ponctuel au service et grand travailleur. Il n’hésite pas à se porter sur le lieu, par exemple, à la prison pour exécuter un devoir exigé par l’instruction judiciaire d’un dossier. 

CONCLUSION : Il mérite d’être confirmé dans la carrière. » (Source: l’auteur de ces lignes).

Ce n’est pas pour rien que la formation pratique et professionnelle des magistrats nommés à titre provisoire en décembre 1988 et janvier 1989 se clôtura au Palais du peuple par un séminaire idéologique animé par des têtes couronnées du Comité central du MPR et de l’Institut Makonda Kabobi, à l’issue duquel le livre du Maréchal Mobutu intitulé «Dignité pour l’Afrique » leur fut distribué en plus d’un pagne de wax sur lequel était imprimé l’effigie de son épouse, affectueusement appelée « Maman Bobila Dawa ». En signe de reconnaissance et d’allégeance au parti et à son chef, certains magistrats, hommes et femmes, n’hésitèrent pas de faire confectionner des chemises, boubous ou camisoles en signe de reconnaissance pour « ce cadeau » du couple présidentiel.

Dans le cadre de l’unité de commandement, les magistrats étaient assujettis au droit de regard du Gouverneur de Région (actuellement Gouverneur de province), lequel était en même temps Président régional du MPR : « Le Gouverneur de Région peut constater toute faute disciplinaire commise par tout magistrat de rang égal ou inférieur à celui de Premier Président de la Cour d’Appel ou de Procureur Général près cette Cour » (Art. 43 al.2 du statut des magistrats).

Durant la même époque sous examen, il fut institué une juridiction exceptionnelle dénommée Cour de sûreté de l’Etat, qui échappait au contrôle juridictionnel de la Cour suprême de justice en ceci que non seulement son ressort comprenait aussi tout le territoire de la République mais que surtout ses arrêts n’étaient susceptibles que d’opposition et non d’appel. (art.44 et 97 du code de procédure pénale).

Parmi les infractions relevant de la compétence de cette juridiction, qui n’existe plus, il y avait notamment celle relative aux offenses au Chef de l’Etat, qui a fait récemment objet des débats à la CSJ lors du procès du député Ewanga. (art.96).

Devant cette cour, les arrêts d’acquittement étaient quasi inconcevables étant donné que pour plaire au Guide, qui les nommait et les révoquait, les juges n’hésitaient pas de distribuer des peines de mort ou à perpétuité, que seul le Président Fondateur du MPR, Président de la République avait compétence de commuer en de peines inférieures ou d’en gracier les auteurs au gré de sa magnanimité. Certains opposants de l’époque, encore en vie aujourd’hui, s’en souviennent. Le cas du théâtral et expéditif procès pour haute trahison de feu Ngunz a Karl i Bond peut aussi être cité en exemple.

Placés dans de telles conditions d’exercice, les magistrats de la deuxième République n’avaient d’autre choix que de protéger avant tout leur carrière en se rabattant sur les faibles, en application de l’adage selon lequel «La justice est comme un filet. Les petits poissons passent par les mailles sans se faire attraper, les gros poissons les cassent et seuls les moyens y sont étranglés ».

Toutefois, c’est sous ce régime que plusieurs textes de lois, encore en vigueur aujourd’hui, furent initiés et promulgués notamment en matière d’organisation judiciaire. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, l’ancien et tout premier Président du Conseil judiciaire et Procureur général de la République, Kengo wa Dondo, a laissé à la postérité des mercuriales de très haute qualité scientifique qui ont considérablement enrichi l’arsenal juridique congolais notamment en ce qui concerne les lois organiques. C’est également sous ce régime que des grands noms de la justice ont fait leur apparition et sont restés gravés en bien dans les annales judiciaires congolaises (Marcel Lihawu, Nimy Mayidika Ngimbi, Kalala Ilunga, Bayona ba Meya, Mutombo Kabelu, Mutombo Bakafwa Nsenda, Dibunda, Kalongo Mbikayi, Biango, Mwepu Mibanga, Kuku Kiese etc.) Grâce à leur dévouement et à leur compétence, ils ont su forger la jurisprudence zaïro-congolaise dans les bulletins des arrêts de la Cour suprême de justice. Signalons enfin que durant la période examinée, le parcours professionnel des magistrats était largement respecté car chacun exerçait sa carrière en gravissant un à un tous les échelons jusqu’à la retraite sans beaucoup de considération de sa région d’origine comme c’est malheureusement la règle aujourd’hui.

Période transitoire de 1990-1997

Les phénomènes sociaux étant totaux comme disent les sociologues, le vent de démocratisation politique venu de l’est de la planète et qui avait également soufflé sur le Zaïre n’avait pas manqué d’avoir des répercussions non moins significatives sur le fonctionnement de la justice congolaise.

Bien que plus affectés que leurs jeunes collègues par la longue hibernation dictatoriale, les plus hauts magistrats, comme pour se racheter vis-à-vis de l’opinion publique, annoncèrent les couleurs du changement dans quelques arrêts restés célèbres. La Cour suprême de justice, siégeant en matière administrative, n’hésita pas d’annuler des actes règlementaires parmi lesquels des ordonnances présidentielles prises en violation de la loi par le Maréchal Mobutu.

« Deux des arrêts d’annulation des actes réglementaires pris en violation de la loi prononcés par la Haute Cour méritent particulièrement d’être signalés en raison de l’impact qu’ils ont produits sur la perception du pouvoir de l’administration dans l’imaginaire collectif des Congolais, du moins pour les rares d’entre eux qui en sont informés.

Le premier est l’arrêt Témoins de Jéhovah.

Le 30 avril 1980, en vertu de son Ordonnance n°124, le président de la

République accordait la personnalité morale à cette association confessionnelle. Par une

autre ordonnance, l’Ordonnance n°86-086 du 12 mars 1986, il abrogeait cette ordonnance et ordonnait en même temps la dissolution de l’association concernée. Non contente de cette décision, celle-ci introduisit alors une requête en annulation de l’ordonnance litigieuse pour excès de pouvoir devant la chambre administrative de la CSJ. Celle-ci y fit droit dans son arrêt RA 266 du 8 janvier 1993. La motivation de cette décision mérite d’être citée in extenso : « La Cour suprême de justice relève que l’ordonnance dont l’annulation est sollicitée affirme simplement dans son préambule » Attendu que l’activité de cette secte menace de compromettre l’ordre public mais omet cependant d’indiquer des faits précis, actes ou activités jugés en l’espèce comme attentatoires à l’ordre public ou à la tranquillité publique pour retirer à cette association sa personnalité civile. Il s’ensuit que cette ordonnance n’est pas motivée et qu’il y a eu ainsi atteinte aux droits garantis aux particuliers par les articles 17,et 18 de la Constitution de 1976 telle que révisée, en vigueur à la date de la signature de l’ordonnance attaquée… » Tirant les conséquences de cette constatation, elle a annulé l’ordonnance litigieuse et alloué à l’association une somme d’argent en guise de réparation pour les préjudices subis.

Le second arrêt d’annulation des actes est l’Arrêt n° RA 182, 186 et 191 du 1er janvier 1990. Le 3 janvier 1986, le Président de la République a pris l’Ordonnance n°86/001   portant révocation d’un certain nombre de fonctionnaires de l’Etat, notamment Ngezi Nzombi Mokoba et consorts accusés d’avoir participé à la fuite des questionnaires de l’examen d’Etat pour l’édition 1984. C’est cette ordonnance déférée devant elle par les victimes que la CSJ a annulée au motif qu’ « aucune action disciplinaire n’a été ouverte à charge des requérants et (…) ils n’ont reçu aucune notification préalable des faits articulés contre eux de sorte qu’ils n’ont pas été en mesure de faire valoir leur justification ou moyen de défense comme l’exigent les dispositions de l’Ordonnance-loi précitée ».(Source : Kifwabala Tekilazaya, Defi Fataki Wa Luhindi, Marcel Wetsh’okonda Koso

‘’République démocratique du Congo, Le secteur de la justice et l’Etat de droit, Un Etat pointillé, Essai d’évaluation des efforts en vue de l’instauration de l’Etat de droit et perspectives d’avenir, Une étude d’AfriMAP et de l’Open Society of Souhthern Africa, Juillet 2013, pp.41-42)

En en juillet 1993 et à l’exemple de leurs aînés, les juges du tribunal de Grande instance de Kinshasa/Kalamu, siégeant au second degré en matière répressive, malgré les pressions « courtoises » des autorités ministérielles agissant sous couvert de leur hiérarchie, démystifièrent le Président du Parlement/Aile Palais de la Nation (le HCRPT issu de la CNS siégeait quant à lui au Palais du peuple sous la direction de Mgr. Mosengo), en la personne de Anzuluni Bembe qui, en plus de perdre ce procès fortement médiatisé contre un journaliste du journal La Référence Plus accusé de diffamation, fut également condamné, à titre reconventionnel, au paiement des frais de justice et des dommages et intérêts pour action téméraire et vexatoire. Ce jugement, accessible dans les archives dudit tribunal et du journal précité, fit l’objet du rapport annuel de l’Azadho adressé à la Commission internationale des droits de l’homme à Genève pour prévenir contre toute action punitive à l’encontre des juges concernés ou même contre toute éventuelle mutation dissimulée derrière une promotion, comme c’était l’habitude à l’époque.(Source : l’auteur même de ces lignes).

Deux ans plus tard, le même tribunal surprit de nouveau le public judiciaire de Kinshasa en exécutant volontairement et à l’insu des autorités judiciaires et gouvernementales son propre jugement de déguerpissement rendu contre la République du Zaïre qui l’avait installé illégalement dans un immeuble appartenant à un particulier et situé sur rue Luozi , A 39 au quartier Matonge, commune de Kalamu. Emu par cette décision surprenante et spontanée des juges « d’une autre génération », le propriétaire de l’immeuble, qui avait déjà épuisé toutes les voies de recours judiciaires et politiques, mit à la disposition du tribunal deux gros camions pour l’aider à déménager vers le Foyer social situé sur l’avenue du Stade, en face du marché Djakarta toujours au quartier Matonge. (Source : idem).

Avant de clore ce point, il est important de faire remarquer qu’au moment de la chute du régime de Mobutu il n’y avait presque plus de prisonniers ou détenus politiques ou d’opinions, les magistrats ayant compris que pour l’exercice harmonieux de la démocratie ainsi que pour décrisper le climat social, il fallait laisser les gens s’exprimer librement. C’est ainsi que certains politiciens qualifiés d’ « enfants terribles de l’opposition » n’ont pu devenir populaires que grâce aux propos irrévérencieux tenus à l’endroit du Président Mobutu et/ou de ses collaborateurs (qui ne s’en plaignaient plus) tandis certains journaux, aux titres pompeux mais aux contenus vides, ne s’étaient spécialisés que dans les satires et les caricatures pour mieux se vendre.

Jusqu’à l’avènement de l’AFDL, par ci par là des magistrats tant du parquet que du siège continuèrent de poser des actes permettant de croire que l’Etat de droit n’était plus une chimère dans notre pays. Certains avocats commencèrent même à parler des magistrats « acquis au changement ».

Qu’en est-il de la justice congolaise depuis l’avènement de l’AFDL à nos jours?

Contrairement à ce que l’opinion pourrait s’imaginer, les magistrats sont parmi les catégories de citoyens qui ont beaucoup souffert de la dictature mobutienne, surtout ceux de la Cour de sûreté de l’Etat et du parquet général près cette Cour, obligés parfois de motiver judiciairement une décision de condamnation prise ailleurs par des instances purement politiques. Avec les « libérateurs politiques » fraîchement débarqués en mai 1997, tous les espoirs étaient candidement permis pour que l’élan évoqué ci-dessus se poursuive et se cristallise. C’était sans compter avec l’amateurisme des nouveaux maîtres, complètement déconnectés des réalités du pays, particulièrement du fonctionnement de la justice.

En novembre1998, le Président autoproclamé L.D.Kabila frappa un grand coup en décapitant la Cour suprême de justice et le Parquet général de la République de tous les magistrats chevronnés qu’il envoya à la retraite alors qu’on avait encore besoin de leur expérience. Ne se limitant pas là, il balaya à tous les niveaux de la magistrature 315 collègues à qui il était indistinctement reproché la moralité douteuse, la corruption, l’incompétence et la désertion et ce, sans que dans aucun dossier il soit établi que chacun des magistrats révoqués était à la fois déserteur, corrompu, incompétent ou avait une moralité douteuse. D’aucuns diront que c’était une bonne chose qui soit arrivée pour redresser la justice congolaise mais en réalité cela n’a fait qu’empirer la situation jusqu’aujourd’hui. A notre avis, même si l’objectif était politiquement louable, il aurait pu être atteint le plus proprement du monde et en toute légalité en épargnant des innocents si seulement la procédure disciplinaire prévue à cet effet par le statut des magistrats avait été suivie et respectée.

Pour combler les vides ainsi créés, des promotions à odeur « coterique », ethnique et tribale furent massivement accordées, sous couvert d’une mise en place générale, à des bénéficiaires inexpérimentés recherchés dans tous les recoins du pays. Grâce à l’influence de la coterie, plusieurs d’entre eux enjambèrent plusieurs échelons pour se voir attribuer des postes de responsabilité auxquels ils n’étaient pas préparés ou pour lesquelles ils n’avaient aucun profil. Comme il fallait s’y attendre, la première gaffe judiciaire de la Cour suprême renouvelée à 90%, tomba par l’arrêt rendu le 26 septembre 2001, dans l‘affaire des magistrats révoqués, déclarant irrecevables les requêtes examinées, au motif que « les actes d’exécution de la politique de la nation pris par le Président de la République en qualité d’autorité politique, échappent au contrôle du juge administratif. »(Jean-Pierre Kilenda, ’L’Affaire des 315 magistrats de Kinshasa, Une purge néo mobutiste ‘’ Ed. L’Harmattan, Paris 2004, p.114).

Alors qu’ils auraient pu faire comme leurs prédécesseurs dans les cas évoqués ci-dessus (voir Témoins de Jéhovah…), les nouveaux occupants de la plus haute Cour choisirent de ne pas contrarier celui qui les y avait fait parvenir par raccourci, protégeant en même temps leurs nouveaux postes que certains n’auraient peut-être jamais eu l’occasion d’occuper par la voie normale.

Dans l’ouvrage précité, l’auteur dit ceci à la page 131 : « En venant aux commandes de l’Etat le 17 mai 1997, le régime actuel (celui du Président Kabila) a constitutionnellement promis de respecter les textes légaux antérieurs non contraires au décret-loi constitutionnel du 27 mai 1997 qui régit actuellement (au jour de la révocation) les pouvoirs institutionnels de la République démocratique du Congo. Or, aux termes de ce texte, le Président de la République est garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire; et il y est expressis verbis précisé le rôle que doit jouer le Conseil supérieur de la magistrature en matière de carrière des magistrats(le début comme la fin). » Comparant la situation des magistrats révoqués à celle des témoins de Jéhovah il ajoute : « Et la démarche herméneutique des magistrats victimes du séisme professionnel du 6 novembre 1998 est à tout point de vue identique à celle des Témoins de Jéhovah qui faisaient grief au Président de la République de n’avoir articulé aucun grief précis de trouble à l’ordre public. Sur le fondement de quels critères dès lors l’ordonnance no86/086 du 12 mars 1986 demeure un acte administratif encourant les foudres de la justice administrative et le décret no144 du 6 novembre 1998 reste soustrait des fourches caudines de l’annulation? Ici aussi, comme on le voit, ce sont des magistrats quasi libérés des gangues et des limbes du totalitarisme qui ont écrit l’Arrêt Ra 266 tandis que ce sont des magistrats au « garde-à-vous », asservis qui tentent de s’attirer les faveurs du régime Kabila naissant et se fortifiant qui ont rendu l’arrêt du 26 septembre 2001. » (Idem, p. 136). C’est seulement cinq ans plus tard, grâce à l’Accord global et inclusif signé À Sun City, que les magistrats survivants de cette purge reprirent le travail, certains d’autres étant décédés à cause des soucis ou faute de moyens pour se faire soigner tandis que des d’autres ont été abandonnés par leurs épouses non d’accord avec l’adage selon lequel on se marie pour le meilleur et pour le pire.

Malgré les progrès normatifs réalisés par le Parlement de la troisième République pour doter le pouvoir judiciaire des lois novatrices portant notamment organisation du Conseil supérieur de la magistrature et nouveau statut des magistrats, les autorités judiciaires, avec la complicité du ministère de la justice, continuent de contourner intentionnellement les règles établies en proposant à la signature du Président de la République des mises en place manifestement destinées à promouvoir et à caser des « frères, sœurs et amis » et des révocations sélectives non examinées et approuvées préalablement par le Conseil supérieur de la magistrature.

En juillet 2009, une autre vague de révocation des magistrats a emporté 96 pères et mères de famille sous couvert du Conseil supérieur de la magistrature. La copie dont nous disposons de ce rapport indique cependant moins de cinq magistrats qui avaient été proposés à cette sanction professionnelle suprême. Depuis lors, la Cour suprême de la troisième République ne justifie pas son refus d’examiner les requêtes en annulation introduites par les victimes pour leur permettre de présenter leurs moyens de défense.

Pas plus tard qu’en 2013, une autre falsification du rapport des travaux du Conseil supérieur de la magistrature a été commise, faisant signer au Président de la République des ordonnances portant mise à la retraite, promotion et révocation des magistrats civils et militaires, du siège et du parquet alors que certains membres de cet organe nous avaient déjà confié que le rapport de la sous-commission chargée de la carrière des magistrats n’avait pas été adopté par l’assemblée générale conformément à la loi. Le principal syndicat des magistrats, Synamac, s’en était même plaint : « C’est ainsi que conformément à la loi no8/013/2013 et au règlement intérieur du 19/06/2009, le Conseil supérieur de la magistrature est te nu de publier sans atermoiement toutes les résolutions adoptées lors de l’assemblée générale afin que tous les Magistrats en prennent connaissance et veillent à leur stricte application.

L’observance des textes juridiques ci-dessus aidera le Pouvoir judiciaire à conforter sa position comme garant des droits et libertés fondamentaux des citoyens et imprimera une image de noblesse et d’impartialité dans la gestion harmonieuse du corps judiciaire. » (Source : Congo News du 27 juin 2013). Et c’est dans cette ambiance mélangeant frustration des uns et arrogance des autres que les magistrats évoluent dans un corps censé pourtant souder tous les membres autour d’un objectif commun : servir de rempart contre les violations de la loi d’où qu’elles viennent.

Or, à cause de tout ce qui se passe, les magistrats ont majoritairement et à tous les niveaux choisi d’être les alliés des plus forts, minant la confiance que la population a placée en eux et trahissant le statut auquel ils sont soumis et dont voici un extrait de l’exposé des motifs :  

« Le statut actuel des magistrats fixé par l’Ordonnance no88/056 du 29 septembre 1988 ne cadre plus avec l’esprit et l’ordre institutionnels nouveaux qui proclament l’indépendance du Pouvoir judiciaire vis-à-vis des pouvoirs législatif et exécutif. Conformément à l’article 150 de la Constitution, il s’est avéré indispensable d’élaborer un nouveau texte de loi organique aux fins de rencontrer le vœu du constituant.

Cette indépendance édictée dans toutes les Constitutions que notre pays a connues jusqu’à ce jour, mais jamais suivie d’effets, doit, en cette période où la bonne gouvernance constitue le soubassement de toute action étatique, être comprise dans toutes ses implications conséquentes et traduite effectivement dans les actes.

Dans cet ordre d’idées, il devient impératif que le pouvoir judiciaire, en faveur du processus de démocratisation en cours, puisse réellement sortir du carcan dans lequel il s’est confiné pour retrouver ses lettres de noblesse. Ainsi, ses animateurs que sont les magistrats pourront accomplir en toute indépendance, en toue conscience et en toute dignité, leur noble mission de rendre une bonne justice sans laquelle il n’y a pas de véritable paix civile dans la société, facteur indispensable à la stabilité politique ainsi qu’au développement économique et social. »

Que voyons-nous dans nos palais de justice? :

-La Cour suprême de justice commettant des dénis de justice en refusant d’examiner les requêtes des magistrats illégalement révoqués en 2009. Il en est de même des fonctionnaires de l’Etat révoqués entre 2009 et 2010, parmi lesquels certains n’avaient jamais fait l’objet d’aucune action disciplinaire comme l’exige le statut du personnel de carrière des services publics de l’Etat ;

-La Cour suprême rendant ses décisions la nuit en l’absence des parties au procès comme s’il y avait quelque chose à cacher;

-Disparition miraculeuse, au greffe de la CSJ, du dossier de Me Firmin Yangambi et consorts alors qu’ils attendaient le prononcé de l’arrêt depuis octobre 2011;

-Des « Kuluna » envahissant aisément et en toute impunité le périmètre de la CSJ, scandant des slogans favorables au pouvoir et perturbant l’audience de la Haute Cour pour réclamer la condamnation du député Ewanga sans que le ministère public s’aperçoive que l’ordre public est troublé.

-Des « Bakata-machins » menaçant depuis plus d’une année l’intégrité du territoire national mais priés gentiment d’intégrer les forces armées sans que la justice enquête pour mettre hors d’état de nuire les vrais instigateurs. Pareil traitement aurait-il pu être appliqué aux probables « Bakata-Bandundu » ou «  Bakata-Equateur »?;

-Le Procureur général de la République n’appréciant pas à sa juste valeur l’opportunité des poursuites dans l’intérêt de la cohésion nationale et toujours prompt à mettre la main sur les opposants pour des cas mineurs et douteux pendant que ceux qui ont le sang des Congolais sur leurs mains ou qui sont cités dans le pillage des ressources naturelles du pays circulent librement et /ou sont amnistiés;

-Le Procureur général de la République prompt à collaborer avec la CPI pour une infraction qui relève de la compétence de la justice congolaise alors que le Rwandais Bosco Ntaganda, poursuivi par la même Cour pour des crimes graves et imprescriptibles se la coulait douce au vu et au su des toutes les autorités de la justice;

-Le Procureur général de la République qui se distingue par un mauvais exemple en refusant d’exécuter une décision de la Cour suprême de justice assignant à résidence surveillée un prévenu ou accordant à un autre (tous opposants) la liberté provisoire;

-De nombreux cas d’assassinat, d’enlèvement, de bastonnade et de tortures commis à l’endroit des journalistes et des leaders d’opinions qui demeurent non élucidés;

-Sur ordre du Procureur général de la République, des juges du Tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe furent jetés en prison en octobre 2009 pour avoir accordé la liberté provisoire à l’Administrateur délégué général de l’Ogefrem et à son Administrateur directeur technique alors que les faits mis à charge de ces mandataires n’ont jamais été établis jusqu’à ce jour;

-Des gestionnaires des entreprises du portefeuille de l’Etat impliqués dans les rapports d’enquêtes parlementaires mais jamais inquiétés par la justice;

-Des politiciens rendus célèbres par des discours distillant la haine tribale et ethnique au Katanga mais jamais interpelés par la justice;

-Le Conseil supérieur de la magistrature observant impuissant (aux dires de nos amis œuvrant dans cet organe) l’embourgeoisement scandaleux des magistrats devenus plus affairistes qu’hommes de lois sans qu’aucune action disciplinaire soit ouverte à leur charge conformément au statut des magistrats;

-Des magistrats du parquet se disputant l’attribution des dossiers civils demandés en communication juste pour monnayer leur avis. Le dernier cas en date a eu lieu au Parquet général près la Cour d’appel de la Gombe il y a plus ou moins 20 jours, etc.

Arrêtons-nous là.

Conclusion

Ces quelques cas, qui ne constituent que l’extrême pointe de l’iceberg, prouvent à suffisance que bonnes ou mauvaises, les lois d’un pays n’ont d’effet et de sens que ce qu’en font ceux et celles qui sont chargés de les appliquer, en l’occurrence les magistrats. Malgré le contexte institutionnel très restrictif dans lequel ils avaient évolué, nous avons vu comment sous la deuxième République les magistrats se sont surpassés tant bien que mal pour laisser à la postérité des références procédurales et jurisprudentielles faisant oublier celles de l’époque coloniale. Dès que l’ouverture démocratique a pointé à l’horizon, plusieurs magistrats ont posé des actes courageux destinés à libérer le pouvoir judiciaire des griffes de la dictature et indiquant, pour la troisième République, que cette institution allait s’imposer comme dernier rempart contre les violations de la loi d’où qu’elles viennent et comme garant des droits et libertés fondamentaux et de l’équilibre des institutions.

Alors qu’on est effectivement dans cette troisième République tant rêvée, les magistrats ont annihilé leur propre combat et craché sur les sacrifices, parfois humains, de tout un peuple pour l’avènement de la démocratie et de l’Etat de droit. En dépit des textes législatifs leur accordant plus clairement leur indépendance et la gestion par eux-mêmes du Conseil supérieur de la magistrature qui était jadis présidé par le Président de la République, ils ont cassé l’élan qui allait rendre à la justice congolaise ses lettres de noblesse. A ce jour, de la Cour suprême de justice et du Parquet général de la République jusqu’au tribunal de grande instance et du parquet de la République près ce tribunal, très rares (c’est vrai et vérifiable) sont les magistrats qui occupent leur grade ou qui exercent leurs fonctions dans le respect du cadre tracé par la loi. Allant ainsi à contrecourant de l’Etat de droit, ils se sont fait enfermer dans le piège de l’instrumentalisation politicienne de sorte qu’ils ne méritent plus de la confiance du peuple au nom duquel la justice est rendue (Art.149 al.1er de la Constitution). Ayant donc manifestement failli à leur noble mission, ils doivent s’attendre tôt ou tard à la vraie purge qui remettra les pendules à l’heure pour rebâtir, à partir des brebis non galeuses (heureusement, il y en a encore) une justice véritablement troisième pouvoir et digne d’un pays qui se veut démocratique.

L’histoire a ceci de particulier qu’elle finit toujours par rattraper ceux qui la défient.

Par Jean-Bosco Kongolo M.

Juriste&Criminologue

C A N A D A

 

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