L’opportunisme et le positionnement empoisonnent la démocratie au Congo-Kinshasa
Par Jean-Bosco Kongolo
En hommage au père du combat démocratique, Etienne Wa Mulumba Tshisekedi
L’opportunisme est une attitude qui consiste à agir selon les circonstances du moment afin de les utiliser au mieux de ses intérêts et d’en tirer le meilleur parti, en faisant peu de cas des principes moraux. En politique, l’opportunisme conduit à des changements fréquents de programmes ou de positions afin d’attirer un maximum de votes lors des élections. Cette adaptation aux circonstances s’effectue au détriment des principes doctrinaux.[1]
Le positionnement, qui est l’action de positionner ou de se positionner, est un terme plus familier en marketing lorsqu’il s’agit de faire la promotion d’un produit face à d’autres produits concurrents.
Faute pour la plupart des partis politiques congolais de pouvoir s’implanter solidement à travers tout le pays et de disposer des projets de société crédibles, l’opportunisme et le positionnement demeurent les seuls moyens dont disposent les leaders de ces partis politiques pour accéder ou se maintenir aux postes gouvernementaux. Comme on le verra plus loin, le recours à ces procédés pervers est, depuis l’introduction du multipartisme, à la base de nombreux blocages et d’échecs de l’exercice démocratique. En effet, depuis la Conférence Nationale Souveraine, en passant par le scandaleux et honteux régime 1+4 jusqu’aux concertations nationales et aux dialogues de la Cité de l’UA et de la CENCO, les politiciens congolais sont passés maîtres dans l’art de fonder des partis politiques ainsi que de créer et de défaire des alliances contre nature toutes les fois que, par leur faute, le pays s’est trouvé face aux enjeux menaçant son existence comme État. Dans toutes ces manœuvres, le peuple n’est utilisé que comme marchepieds et oublié une fois que les fameux leaders ont réussi à se caser. Pour éviter qu’une poignée d’individus continue de prendre tout un peuple en otage, notre analyse de ce jour a pour objectif d’exposer, grâce à quelques illustrations, les effets pervers de ces phénomènes (opportunisme et positionnement) sur l’exercice de la démocratie et de proposer des pistes légales et politiques pour les combattre et les supprimer du paysage politique congolais.
1. Le piège du multipartisme après 32 ans de dictature
Dans l’euphorie de l’annonce du multipartisme, en 1990, le peuple congolais jubile et croit le moment venu de se libérer définitivement du système de gouvernement qui avait favorisé une minorité de Zaïrois au détriment de la majorité silencieuse. Se ravisant et redoutant que l’UDPS, sortie de la clandestinité, prenne sa revanche en attirant à son discours révolutionnaire tout le peuple longtemps frustré, Mobutu fait un pas en arrière et propose de limiter à trois le nombre des partis politiques afin d’avoir le contrôle sur les deux autres. Sentant le piège, Tshisekedi et certains autres politiciens, libérés du monopartisme, rejettent cette proposition et exigent, sans penser aux conséquences, un multipartisme illimité. C’est dans ces conditions que démarrent les travaux de la Conférence Nationale Souveraine au cours desquels, à malin, malin et demi, chaque camp tombe dans le piège de l’autre en favorisant la création des partis politiques dits « alimentaires » qui ne représentaient que l’ombre de leurs initiateurs. C’était le début de la bipolarisation, avec d’un côté ceux qui se disaient favorables au changement et, de l’autre côté, ceux qui étaient taxés de vouloir maintenir le statu quo. Avec l’arrivée de l’AFDL, l’espace politique congolais se redessine. Des partis et personnalités politiques retrouvent leur liberté de soutenir le nouveau régime ou de demeurer dans l’opposition tandis que d’autres préfèrent observer afin de voir où leurs intérêts, surtout matériels, allaient être mieux garantis.
L’amateurisme de la gouvernance de Laurent-Désiré Kabila et sa décision de suspendre toutes les activités politiques1bis a eu pour effets d’accentuer les frustrations chez la plupart d’ex-mobutistes qui avaient choisi de s’exiler pour raison de sécurité personnelle et même chez ceux qui espéraient pouvoir mener le combat dans l’opposition. Les uns et les autres, habitués à la vie facile, ne pouvaient plus tenir longtemps en exil ou au chômage. D’où, la ruée vers l’Afrique du Sud où se négociait loin du souverain primaire, sous le règne de Joseph Kabila, le partage équitable du pouvoir. « Qui a bu, boira! »
2. Joseph Kabila commence son règne là où Mobutu avait terminé le sien
Après quelques années de transition à la tête du pays, dans des circonstances non élucidées jusqu’à ce jour et à la lumière d’âpres négociations organisées sous l’égide de la communauté nationale, Joseph Kabila découvre non seulement qu’il était complètement déconnecté des réalités politiques congolaises mais surtout aussi sa fragilité. Dans la perspective des élections qui se profilaient à l’horizon, il n’avait d’autre choix que de se rabattre sur tous les assoiffés du pouvoir et de l’argent facile, parmi les exilés de retour et autres opposants sans idéal ou d’anciens jeunes cadres sacrifiés par le régime du MPR, qui ne demandaient pas mieux que d’être contactés pour la création du parti présidentiel.
Rien d’étonnant donc qu’à l’image du MPR, ce parti, le PPRD, soit juste un amalgame de personnalités aux trajectoires aussi différentes que divergentes, sans idéal commun, aux ambitions souvent opposées et surtout qu’aucun élément historique ne peut objectivement mettre ensemble, si ce n’est que la soumission à la tutelle de Joseph Kabila, pourvoyeur des places à la mangeoire[2]. Peu au courant des combines politiciennes du régime précédent et préoccupé par sa seule survie politique et par l’embourgeoisement de sa famille biologique, ce dernier s’est laissé guider par ses instructeurs lui recommandant de multiplier à l’infini le nombre de partis politiques à regrouper, comme du temps de la défunte « Mouvance présidentielle », sous une méga plate-forme appelée d’abord AMP puis, MP. A la suite du PPRD qui en est la locomotive, la Majorité présidentielle est plus arithmétique que sociologique ou idéologique. Il suffit de parcourir la liste des formations politiques qui la composent pour s’en convaincre. On y trouve de tout, sauf l’unité d’ambitions et de projets de société. Ce qui fait que malgré leurs divergences indéniables, les membres (partis et personnalités politiques) et leur autorité morale ont mutuellement intérêt à cheminer ensemble pour conserver leurs acquis.
Un proverbe puisé dans la culture ancestrale Kanyok explique mieux cette situation : « Mu sah mwaa mufw’a mees, wakahit wuumbomw biaal », qui signifie « Dans la gibecière d’un aveugle, tout passant cherche à y plonger sa main ». A l’aide de ce proverbe, il devient facile de comprendre pourquoi, durant les seize ans de règne de Joseph Kabila, des ministres, mandataires et tous autres hauts responsables des services de l’État ont eu le privilège de bénéficier de l’impunité la plus totale malgré la gravité des crimes économiques commis par la plupart d’entre eux, impunité contrastant avec « la tolérance zéro » appliquée aux membres de l’opposition pour des délits mineurs. C’est cette situation qui explique également les luttes de positionnement auxquelles se livrent les membres de ce conglomérat abusivement appelé « Famille politique » du Chef de l’État et qui ne laissent pas indifférents tous les opportunistes embusqués dans l’opposition, elle-même aussi plurielle. Incapables de faire bloc contre un adversaire censé être commun, la plupart de ces opposants congolais sont en quête permanente d’une moindre opportunité pour traverser la frontière sans se préoccuper de leurs collaborateurs et de leurs partisans qui ont cru naïvement dans leur « combat ».
Les effets pervers de l’opportunisme et du positionnement sur l’exercice démocratique
Il est bien clair que dans les deux camps qui se disputent le pouvoir, il y a des hommes et des femmes, à compter au bout des doigts, qui se sont engagés de bonne foi dans des partis politiques avec espoir et détermination de contribuer au changement des mentalités. Parmi eux, certains, très déçus, n’ont pas hésité de tourner définitivement le dos à la politique politicienne congolaise. D’autres, toujours plus déterminés, ont tenté de faire l’expérience aux côtés d’autres leaders aux apparences crédibles tandis que d’autres encore ont carrément préféré créer leurs propres partis sans pour autant éviter le piège des alliances souvent contre nature au sein desquelles il est difficile d’introspecter les ambitions de chacun des partenaires.
A l‘instar des églises dites de réveil, qui désorientent chaque jour les fidèles, cette prolifération des partis politiques et des plates-formes complique et empoisonne l’exercice démocratique étant donné que bon nombre de ces opérateurs politiques redoutent d’affronter les électeurs. En effet, il y a d’une part ceux qui se complaisent dans le confort du pouvoir et qui entendent y rester, par défi, pour éviter la sanction populaire des urnes et, d’autre part ceux qui, majoritaires dans les deux camps, n’ont ni base réelle dans la capitale, ni représentations dans les provinces, ni moyens financiers adéquats pour mener une bonne campagne électorale. D’où, comme nous allons le démontrer ci-dessous avec quelques exemples tirés à la volée, les deux derniers dialogues ont ressemblé à des toilettes débordées qu’on a vidangées sur la voie publique. Quelle pollution!
A. Dans le camp du pouvoir
Dans le contexte des enjeux de l’heure, il faut entendre par camp du pouvoir la MP désormais élargie aux nouveaux partenaires, signataires de l’accord du 18 octobre 2016 à la Cité de l’UA. Dans leurs actes et déclarations, ils se positionnent à la fois pour soigner leur image auprès de l’autorité morale, Joseph Kabila, et pour désorienter le peuple en dissimulant leur vraie face. Après avoir exprimé leur totale satisfaction à l’égard de l’accord signé sous la facilitation d’Edem Kodjo, qualifié par eux d’inclusif, et surtout après avoir hermétiquement fermé la porte à toute éventualité d’un autre dialogue, certains cherchent maintenant à se laver les mains pour éviter de s’aliéner la réaction de l’opinion publique. D’autres trouvent toujours à redire chaque fois qu’un pas important est franchi vers la mise en œuvre de l’accord péniblement trouvé grâce à la sagesse et à l’impatience de la CENCO.
Atundu Liongo, au sujet du Sommet du 26 octobre à Luanda: « Pour la Majorité Présidentielle, cette position des chefs d’État est un couronnement des efforts consentis par les acteurs politiques congolais avec à leur tête le chef de l’État. Cela signifie que l’union Africaine a reconnu la qualité du travail abattu par le dialogue, la pertinence de cette initiative qui a abouti à un consensus avantageux sur le processus électoral notamment sur la refonte, sur la séquence et sur le calendrier. Deuxièmement c’est aussi la reconnaissance de mérite d’un homme : le président Kabila qui a su braver contre vents et marrées les vicissitudes pour aboutir à ce résultat aujourd’hui unanimement accepté», se réjouit André-Alain Atundu Liongo, porte-parole de la MP. Il affirme espérer que « le rassemblement entendra la voix de la conscience africaine, donnée à partir de Luanda».[3]
Pour mettre de l’huile sur le feu et sans en avoir reçu aucun mandat, Lambert Mende s’est fait curieusement avocat de l’opposition, qui n’est pas sa famille politique, pour déclarer ce qui suit à propos du dialogue de la CENCO : « Ce qui a été reproché à ce dernier accord, c’est un déficit d’inclusivité du fait de l’absence d’une partie de la classe politique. Force est de constater, et le gouvernement regrette, que ce grief fondamental fait à l’accord du 18 octobre n’a pas été rencontré au Centre interdiocésain, dans la mesure où une frange importante de l’opposition ainsi qu’une partie importante de l’opposition politique n’ont pas apposé leur signature dans le texte final. »[4] On connaît la réaction du MLC à ce sujet.
Steve Mbikayi : Ce monsieur « fait partie du groupe d’opposants qui ont signé l’accord de la cité de l’Union Africaine en octobre dernier. A la suite de cet accord, il a été nommé ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire dans le nouveau gouvernement. Comme d’autres opposants signataires de l’accord du 18 octobre, il avait dans un premier temps refusé le compromis politique du 31 décembre. Il affirme avoir finalement signé le dernier accord par « sentiment nationaliste ». «C’est le sentiment nationaliste qui motive ma démarche. J’ai pensé qu’il faut placer l’intérêt des Congolais au-dessus de tout intérêt, y compris l’intérêt de positionnement. »[5]
Jean Lucien Busa, Azarias Ruberwa, José Makila, Justin Bitakwira :
Se sentant marginalisés et craignant de tout perdre, ils ont fini par signer l’accord du 31 décembre 2016 pour lequel, contrairement à celui du 18 octobre, ils prétendaient vouloir consulter préalablement « leurs bases respectives ». Selon l’abbé Nshole, porte-parole de la CENCO : « Ils se sont montrés ouverts, ils ont demandé le temps d’échanger avec leurs bases. Nous espérons que, dans les heures ou dans les jours qui viennent, ils pourront nous rejoindre »[6]. Fait important à signaler, José Makila a même abandonné sa province du Sud-Ubangi dont il a été élu Gouverneur le 1r avril 2016, pour descendre à Kinshasa afin de mieux s’y positionner. En signant cet accord, ils ont par conséquent isolé leur Chef de file Samy Badibanga, qui, à son tour exigerait des garanties personnelles avant d’apposer sa signature. A ce sujet, le professeur constitutionnaliste André Mbata Mangu a rappelé que « Le Premier Ministre Samy Badibanga Ntita et l’ensemble des membres de son gouvernement sont réputés démissionnaires depuis le dimanche, 22 janvier 2017 pour violation de l’Article 99 de la Constitution en rapport avec le dépôt des déclarations écrites des patrimoines des membres du gouvernement. Le débat suivant lequel le Premier Ministre Samy Badibanga ne peut quitter ses fonctions qu’à la suite d’une démission volontaire ou d’un vote de censure ou de défiance par l’Assemblée nationale est désormais sans objet. On n’a même plus besoin de leur demander ou de les supplier pour qu’ils démissionnent parce que Monsieur Samy Badibanga et chacun des membres de son gouvernement sont réputés démissionnaires depuis le 22 janvier 2017 »[7].
- Téméraires et craignant de perdre à jamais leurs postes ministériels au sein du gouvernement Samy Badibanga, certains, avec le concours des avocats véreux et incompétents, ont poussé leur culot jusqu’à saisir la Cour constitutionnelle pour qu’elle se prononce sur cet accord ne relevant pas de ses attributions : « Attribuée à Willy Mishiki, membre de l’opposition politique signataire de l’Accord de la Cité de l’Union Africaine, une requête contre l’Accord politique et global du 31 décembre 2016 a été déposée le vendredi 20 janvier 2017 à la Cour Constitutionnelle. Selon la démarche de son initiateur, cette haute juridiction devrait disqualifier ce compromis politique au motif qu’il serait contraire à l’article 5 de la Constitution »[8]
Alors qu’avec toutes ces signatures prouvant l’inclusivité de l’accord de la CENCO, la famille politique du désormais Président de la Transition, est revenue à charge en tirant en longueur l’arrangement particulier destiné à répartir les postes au sein du gouvernement d’union nationale et en exigeant surtout du RASOP qu’il présente au Président de la Transition cinq noms de candidats premiers ministres parmi lesquels celui-ci aurait le droit discrétionnaire d’en choisir un, à nommer. En posant un tel problème, ces irresponsables oublient que l’accord de la CENCO, désormais unique source de légitimité, a désamorcé une bombe sociale aux conséquences imprévisibles sur le sort de toutes les institutions qui n’ont plus de mandat, le Président de la République en tête.
Vital Kamhere :
son estime populaire s’est trouvée sérieusement écorchée à cause de ses prises de position aussi bien contradictoires qu’inconstantes. Rusé et manipulateur, il rebondit et se repositionne dans une subtile déclaration tendant à rejeter la balle à la MP et au Rassemblement, pour juste apparaître dans l’opinion comme totalement étranger à tout ce qui arrive et au partage des postes pendant la période de transition : « Je voudrais ici interpeller la majorité et le Rassemblement pour qu’ils comprennent que le peuple ne peut comprendre que le pays soit bloqué à cause des problèmes de positionnement, c’est-à-dire de Premier ministre. On ne peut pas non plus comprendre que nous traînions le pas sur la question de responsabilisation de différentes composantes ».[9]
B. Dans le camp de l’opposition
Peu importent toutes les critiques que l’opinion est en droit d’adresser aux membres du G7 pour leur arrivée « tardive » au sein de l’opposition politique, il convient de reconnaître que leur défection de la MP a non seulement déstabilisé et fragilisé cette plate-forme mais aussi et surtout redonné à ce qui reste de l’opposition l’énergie qu’elle avait presque totalement perdue face aux adversaires dont la mauvaise foi a retenti jusqu’au-delà des frontières nationales. Grâce à ces nouveaux venus, qui affichent non seulement l’unité et la détermination, l’opposition a pu freiner l’élan antidémocratique de la MP qui, au moyen des espèces sonnantes et trébuchantes détournées des caisses de l’État et grâce à l’instrumentalisation de la justice, de la police et de l’armée, croyait avoir devant elle un boulevard sans obstacles vers l’exercice d’un pouvoir à durée illimitée. Grâce à ces nouveaux venus et à leur ouverture envers les autres, l’UDPS et son leader, Etienne Tshisekedi, ont retrouvé leur visibilité ainsi que la tonalité de leur combat par la création du Rassemblement. Grâce à cette plate-forme et aux nouvelles méthodes de combat apportées par certains de ses membres, des foules nombreuses ont été galvanisées pour la défense de la Constitution au point d’obtenir, pour la première fois, des sanctions de la part des partenaires extérieurs contre des principaux collaborateurs du Président de la transition. C’est ainsi, enfin, que la MP a été forcée de reconsidérer l’accord de la Cité de l’UA pour participer au dialogue organisé par la CENCO. Toutefois, cette unité de l’opposition n’est qu’apparente dans la mesure où personne n’est en mesure d’affirmer avec certitude que l’opposition est maintenant à l’abri des infiltrations, qu’il ne se cache plus un seul loup dans la bergerie pour que les Chefs « des troupeaux » se fassent mutuellement confiance.[10]
A titre de preuves, il y a lieu de relever d’abord que c’est toujours de l’ « opposition » que partent les transfuges qui grossissent les rangs du camp du pouvoir et que certaines maladresses ainsi que la lutte de positionnement donnent des arguments aux adversaires pour multiplier leurs assauts et mettre en difficulté la mise en œuvre de l’accord inclusif. Avec la disparition de Tshisekedi, leader incontesté de toutes les générations combattantes, il faut s’attendre à une nouvelle reconfiguration de la scène politique congolaise avec, d’un côté ceux que ce personnage gênait par sa seule existence et, de l’autre côté, l’écrasante majorité du peuple congolais désormais orphelin de père du combat démocratique. Paix à son âme!
L’opportunisme et la présence des loups à la peau d’agneau

La défection du Dr. Tharcisse Loseke Nembalemba, présenté comme l’un des fidèles compagnons d’Etienne Tshisekedi, n’a pas été beaucoup commentée par la presse. Pourtant, deux jours avant le dernier voyage de ce médecin de Belgique pour Kinshasa, l’auteur de ces lignes, Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend, a été surpris de recevoir son appel téléphonique alors qu’aucun lien ne les avait jamais unis auparavant. Le neurologue lui témoignait toute son estime pour la qualité, la profondeur, l’objectivité et le sérieux de ses analyses. Il exprimait en même temps son souhait de le rencontrer lors de son prochain voyage au Canada pour affermir le contact et discuter de la possibilité de mettre sur pieds une cellule de lutte pour une vraie justice et les droits humains. Avant de terminer cette conversation en nous informant qu’il descendait sur terrain (au Congo) pour y continuer le combat, l’ancien collaborateur de Tshisekedi a tenu à nous communiquer ses cordonnées téléphoniques personnelles[11] en vue de poursuivre régulièrement nos échanges. Quelle n’a pas été notre surprise lorsque trois jours après son arrivée à Kinshasa, nous apprenions par la voie de la presse sa suspension de l’UDPS alors qu’il venait d’être nommé Secrétaire national chargé des Relations extérieures! Malgré ses justifications non convaincantes sur sa rencontre amicale avec Samy Badibanga, il était nommé une semaine après, Vice-ministre aux finances alors que sa place aurait pu se trouver à la santé. Seul le démon de l’opportunisme pourrait mieux expliquer le cas Loseke.[12] De quoi se poser la question de savoir s’il peut avoir le courage de se présenter aux obsèques de son ancien ami, de regarder dans les yeux les membres de la famille de l’illustre disparu et d’y croiser les regards des combattants courroucés? Ceci n’est pourtant qu’un cas parmi tant d’autres, qui donnent du dégoût à bon nombre de Congolais, dont nous, de faire la politique dans le contexte actuel ou qui alimentent la méfiance et la suspicion entre les politiciens au sein d’un même parti politique ou d’une même plate-forme, toutes tendances confondues.
La multiplicité des partis et des plates-formes politiques
Pour le moment, l’opposition semble unie et parler un même langage, celui d’opérer une passation démocratique de pouvoir à l’issue des élections libres et transparentes. Au-delà de ces vœux pieux, on ne voit pas concrètement sur terrain comment cette opposition plurielle se prépare à assumer les charges étatiques en cas de victoire. D’abord très peu de leaders ont réussi à implanter leurs partis politiques sur tout le territoire national comme l’exige la loi. En même temps, aucun « leader » n’est suffisamment humble pour reconnaître la force des autres.
Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, Etienne Tshisekedi est devenu ou redevenu cette icône dont la seule invocation du nom permet à certains partis et à leurs leaders de se taper une publicité et une popularité gratuites. Cette multitude de partis et plates-formes politiques procèdent en réalité du même jeu de positionnement observé chez la quasi majorité de nos politiciens qui, redoutant les élections, se font valoir en montant des enchères afin de se faire remarquer alors que seuls, ils ne sont capables d’aucun résultat palpable sur terrain. C’est ce qu’on a vu récemment avec Madame Ève Bazaiba qui, bien son parti le MLC a été sérieusement affaibli depuis les élections de 2011 et les concertations nationales de 2013, s’est fait locomotive d’une plate-forme dénommée « Front pour la défense de la Constitution », avec des partis presque inconnus du grand public. Par maladresse, orgueil et volonté de se positionner, cette plate-forme a servi de prétexte à la MP pour évoquer le caractère non inclusif de l’accord obtenu difficilement par les évêques catholiques. A moins d’un sursaut d’orgueil et d’un patriotisme à nul autre pareil, toutes les raisons sont réunies pour que le peuple soit de nouveau désabusé. Que faire alors pour restaurer la dignité de la politique et rendre sain l’exercice démocratique?
C. Propositions politico-légales pour combattre l’opportunisme et le positionnement
La description qui vient d’être faite des politiciens congolais et de leurs modes opératoires pour accéder au pouvoir montrent à suffisance que politiquement et légalement, des mesures adéquates n’ont pas été prises pour mettre fin à une telle médiocrité de la classe politique. En attendant et en souhaitant qu’émergent des hommes et des femmes préoccupés par l’unité et l’intégrité du pays, la démocratie et le bien-être de la population, nous proposons des mesures politiques, à court terme, et des mesures légales, à moyen terme ci-après :
- Mesures politiques
Puisqu’à la lumière de tout ce qui précède, la MP a prouvé suffisamment sa mauvaise foi de vouloir mettre en échec la mise en œuvre de l’accord qui est pourtant l’unique source de légitimité du pouvoir dont se prévalent de ses membres, la CENCO court le risque de se faire discréditer en voulant obtenir coûte que coûte un résultat de plus en plus incertain. Plutôt que de traîner les choses en longueur pour qu’enfin le temps ne permette plus la tenue des élections prévues pour 2017, elle est invitée à constater sans atermoiement l’échec de cette mise en œuvre, aux seuls torts de la famille politique du Président de la transition. Dans leurs diocèses respectifs et à travers les commissions Justice et Paix, les évêques auront le temps de continuer l’éducation et la sensibilisation des masses sur le profil des candidats aux différents scrutins.
Puisque l’unique source de légitimité aura ainsi été sabotée par ceux-là même qui en tirent illégalement profit, les vrais opposants (s’il y en a encore) devront remobiliser les masses pour récupérer le pouvoir grâce à l’application légitime de l’article 64 de la Constitution. De même, les contacts devront reprendre avec les partenaires extérieurs pour l’élargissement et l’aggravation des sanctions à l’encontre de tous les ennemis de la paix et de la démocratie.
A l’appel de Jean-Jacques Wondo, l’armée et la police devront comprendre que le combat que mène le peuple les concerne aussi et qu’elles ont tout intérêt d’en faire partie, tout au moins en refusant d’obéir aux ordres manifestement illégaux.[13]
Mesures légales
La cacophonie qui s’observe sur la scène politique congolaise laisse à penser qu’il n’existe aucun texte légal pour réguler le fonctionnement des partis politiques. Tout ce passe comme dans la jungle, où les troupeaux se rassemblent selon les espèces et vont paître ensemble en n’ayant crainte que des plus féroces. Et pourtant si la Loi no 04/002 du 15 mars 2004 portant organisation et fonctionnement des partis politiques était simplement appliquée, plusieurs personnes réfléchiraient plus d’une fois avant de s’aventurer sur ce terrain très exigeant. En 2015, le nombre des partis politiques enregistrés au Ministère de l’Intérieur avoisinait le chiffre de 500, chiffre certainement déjà atteint ou dépassé au regard de la complaise des autorités de ce Ministère. « Sur les 477 partis politiques agrées en RDC, seuls le PPRD, l’UDPS, le MLC et l’UNC sont implantés sur 75% du territoire national. Le reste n’existe qu’à Kinshasa ou dans quelques chefs-lieux des provinces. Le constat est de la Commission africaine pour la supervision des élections (Case), qui a publié un rapport mercredi 18 mars à Kinshasa. Cette organisation estime, en outre, que le nombre élevé de partis politiques en RDC empêche la population de faire un choix judicieux du parti auquel adhérer »[14]. Selon le Vice-Premier Ministre et Ministre de l’Intérieur en fonction en 2011, « si on s’en tient à la loi, seuls trois partis politiques seraient en ordre pour se présenter aux prochaines élections. »[15] D’où la question de savoir pourquoi et dans l’intérêt de qui ce Ministère continue-t-il d’enregistrer des partis politiques et pourquoi ou dans l’intérêt de qui laisse-t-on fonctionner des partis qui n’ont jamais été en règle? Les réponses à ces questions lèvent le voile sur l’opportunisme et le positionnement dans lesquels excellent la plupart des partis politiques et qui ne permettent pas un exercice harmonieux de la démocratie dans notre pays.
Tout en invitant ceux qui le peuvent, de lire cette loi, quatre dispositions que nous reproduisons ci-dessous interpellent les futures autorités élues sur la nécessité de mettre de l’ordre dans ce domaine dont dépend une saine vie politique.
Article 5 :
« Dans leurs création, organisation et fonctionnement, les partis politiques veillent :
à leur caractère national et ne peuvent s’identifier à une famille, à un clan, à une tribu, à une ethnie, à une province, à un sous-ensemble du pays, à une race, à une religion, à une langue, à un sexe ou à une quelconque origine, ni instituer toutes discriminations fondées sur les éléments ci-dessus;
au respect du principe de l’alternance au pouvoir par la voie du libre choix du peuple;
la consolidation de l’unité nationale;
la préservation de la souveraineté de l’État congolais;
la préservation de la sécurité et de l’intégrité du territoire national;
au respect du caractère républicain, démocratique, social, laïc et indivisible de l’État congolais. Ils s’engagent à promouvoir la démocratie en leur sein, les droits de l’homme et les libertés fondamentales et à ne jamais recourir à la violence ni à la contrainte comme moyen d’expression, d’action politique et d’accès ou de maintien au pouvoir ».
Article 6 :
« Sous peine de dissolution, toute activité à caractère militaire, paramilitaire ou assimilée, sous quelle que forme que ce soit, est strictement interdite aux partis politiques ».
Article 7 :
« Aucun parti politique ne peut adopter la dénomination, le sigle, les symboles, et les autres signes distinctifs d’un autre parti politique déjà enregistré par l’autorité compétente sous peine des sanctions prévues par la loi. »
Article 21 :
« Chaque parti politique est tenu de :
- déclarer chaque année auprès du Ministère ayant les affaires intérieures dans ses attributions, au plus tard dans la quinzaine qui suit la date anniversaire de son enregistrement, les noms, professions et domiciles de ceux qui, à titre quelconque, sont chargés de l’administration centrale;
- déposer, chaque année, auprès du Ministère ayant les affaires intérieures dans ses attributions, au plus tard le 31 mars, le compte financier de l’exercice écoulé.
Ce compte doit faire apparaître que le parti ne bénéficie pas d’autres ressources que celles provenant des subventions éventuelles de l’État, des cotisations, dons et legs de ses adhérents et sympathisants, des opérations mobilières et immobilières et des recettes réalisées à l’occasion des manifestations ou publications.
Lorsqu’un parti politique ne se conforme pas aux prescrits du présent article, le Ministère ayant les affaires intérieures dans ses attributions le rappelle à l’ordre. A défaut d’obtempérer, le parti politique est suspendu jusqu’à ce qu’il se conforme. » Seule l’application sans complaisance de cette loi permettrait de mettre hors d’état de nuire tous ces opportunistes et d’ouvrir la voie à la paix et à l’exercice serein de la démocratie.
Conclusion
Qu’il s’agisse du camp du pouvoir comme de l’opposition, l’opportunisme et le positionnement se sont tellement encrés dans la politique congolaise qu’ils sont devenus les moyens par excellence d’accéder au pouvoir ou de s’y maintenir. De part et d’autre, ceux qui y recourent étouffent les hommes et les femmes ayant réellement à cœur l’intérêt général de la nation. Ce qui se passe actuellement à la CENCO n’est que la conséquence de la situation décrite dans cette analyse, faits précis à l’appui. Grâce à leur tact et à leur patience, les évêques catholiques ont donné l’occasion au peuple congolais de distinguer suffisamment le bon grain de l’ivraie. Il faut cependant être naïf pour ne pas voir que les tous incidents chaque jour réinventés par certains politiciens à mal d’opportunisme et de positionnement procèdent des manœuvres dilatoires tendant à faire endosser à tout le monde l’échec de la mise en œuvre de l’accord du 31 décembre 2016. D’où, il est important d’anticiper les évènements en constatant cet échec aux torts exclusifs des auteurs de ces incidents. Un adage dit : « On ne peut pas rattraper le temps perdu mais on peut arrêter de perdre son temps ». Le peuple, qui est suffisamment éveillé, achèvera le job en recourant à l’arme que la Constitution lui fournit dans l’article 64 de la Constitution.
Par Jean-Bosco Kongolo M.
Juriste &Criminologue
Références
[1] In http://www.toupie.org/Dictionnaire/Opportunisme.htm.
1bis Tshibwabwa, S., 1999. Les 12 erreurs politiques du Président LD Kabila. Vers un deuxième échec des progressistes congolais. Deuxième édition, 2015 In http://afridesk.org/wp-content/uploads/2016/01/LD_Kabila_12_erreurs_politiques.pdf.
[2] Lire Kongolo, JB, 2014. Quel avenir pour les parties politiques du Congo-Kinshasa, In http://afridesk.org/fr/rdc-radioscopie-des-partis-politiques-mode-demploi-et-prospective-jb-kongolo/.
[3] Radio Okapi, 27/10/2016, In http://www.radiookapi.net/2016/10/27/actualite/politique/conclusions-du-sommet-de-luanda-la-mp-satisfaite-lopposition-decue.
[4] BBC AFRIQUE, 03 janvier 2017, In http://www.bbc.com/afrique/region-38495424.
[5] Radio Okapi, 03 janvier 2017, In http://www.radiookapi.net/2017/01/03/actualite/politique/steve-mbikayi-signe-laccord-du-centre-interdiocesain.
[6] Télé 24 Live, 15 janvier 2017, In http://tele24live.com/?p=8221.
[7] Code 243, 26 janvier 2017, In https://www.facebook.com/code243news/?fref=nf&pnref=story.
[8] Congo Actuel, 27 janvier 2017, In http://www.congoactuel.com/2017-01/laccord-de-la-cenco-devant-la-cour-constitutionnelle-larticle-5-de-la-constitution-contre-le.
[9] Radio Okapi, 30/01/2017, In http://www.radiookapi.net/2017/01/30/actualite/politique/rdc-vital-kamerhe-appelle-la-majorite-et-le-rassemblement-faire.
[10] JJ Wondo, 2017. RDC : Vers l’implosion du Rassemblement ?, In http://afridesk.org/fr/rdc-vers-limplosion-du-rassemblement-jj-wondo/.
[11] Nous nous réservons le droit de les rendre publiques.
[12] dans la capitale, ni représentations dans les provinces,
[13] JJ Wondo, 2016, L’armée et la police congolaises : le rempart ultime contre la violation de la Constitution, In http://afridesk.org/fr/larmee-et-la-police-congolaises-le-rempart-ultime-contre-la-violation-de-la-constitution-jj-wondo/.
[14] Radio Okapi, 18 /03/2015, In http://www.radiookapi.net/actualite/2015/03/18/rdc-4-de-477-partis-politiques-sont-implantes-sur-75-du-territoire-national/
[15] Radio Okapi, 12/03/2015, In http://www.radiookapi.net/emissions-2/dialogue-entre-congolais/2015/03/12/rdc-477-partis-une-trentaine-de-regroupements-politiques-agrees-2/
4 Comments on “L’opportunisme et le positionnement empoisonnent la démocratie en RD Congo – JB Kongolo”
Sulatani la passion du congo
says:Une belle analyse Compatriote Jean-Bosco notre cher beaux pays les mots ont perdu leur sense l’élite congolaise dans sa majorité à l’exception de quelques une à desabuse de la confiance du peuple au point de faire perdre à ce dernier l’espoir de voir ce pays marcher comme l’ont rêvés Lumumba et tout recemment E.Tshisekedi dont je rend un vibrant hommage bref la politique telle qu’elle se fait tout bon Chrétien va s’abtenir car ne verra que la manifestation du diable pure et simple
wasenga
says:Beau travail cher compatriote, une question me vient est ce que ce gouvernement mérite d’organiser les obsèques de ce lui qu’ils ont tjrs combattu ?
Jean-Bosco Kongolo
says:Le caractère national des funérailles de Tshisekedi s’impose lui-même. On n’a même pas besoin que le gouvernement le décrétè, sauf peu-être à encadrer les foules pour éviter les débordements.
GHOST
says:DEMOCRATIE NAISSANTE
Cette « démocratie » vielle de 10 ans seulement doit faire son chemin* Depuis les années ´90, les congolais sont encore en « chemin » afin de materialiser ce concept de la démocratie* Il nous faut plusieures élections avant de « distiler » cette notion de la démocratie*
DEMOCRATIE DE LA REPUBLIQUE DE GOMBE
Si l´auteur de cette réflexion peut consulter les archives du Parlement et avec d´un système informatique pour mettre au point une recherche sur les propositions des lois par les parlementaires, les lecteurs seront très surpris de voir le nombre de ceux des parlementaires qui ont été très productifs.
C´est la « démocratie de la République de Gombe » où les parlementaires pauvres intellectuellement ou mentalement n´ont pas été capables de faire un travail parlementaire respectable*
Non seulement le nombre des propositions est très mince, pire le « contrôle parlementaire » de l´executif est defaillant !
Le nombre des opposants ou des membres de la majorité qui ont fait des propositions des lois fait ressortir les mêmes noms depuis 10 ans !
Tandis que les relations entre les parlementaires et leurs électeurs est tout simplement une catastrophe en terme de démocratie.
Non seulement, ils ne retournent presque jamais dans leurs bases électorales, mais pire ne savent pas que dire aux électeurs !
LES ELECTIONS REGULIERES, LA MEDECINE
La medicine reste des élections regulières.. Si la RDC est capable d´organiser les élections regulièrement, et mieux rendre possible les débats « démocratiques » entre les differentes factions politiques, ces opportunistes seront une race en voie d´extermination*
Ce que quelqu´un comme Atundu qui s´opposait á la tenue d´un dialogue « inclusif » continue quand même á s´exprimer en disant des idioties sur les » 5 candidats premiers ministres » que le Rassemblement doit selon fournir…Les « communicateurs » de la majorité continuent á acceder facilement aux medias étatiques sans que les journalistes puissent le renvoyer le dos contre le mur suite á leur « retropedalage »*
Des élections regulières et l´espace médiatique plus ouvert pour liquider cette race des opportunistes de la République de Gombe