Les opérations militaires Sukola 1 et 2 aux Kivu et les enjeux géopolitiques sous-jacents
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
D’entrée de jeu, le constat général qui se dégage de ce qui se passe actuellement au Nord-Kivu est que cette province est actuellement confrontée à un regain de violence, aux tenants et abi-outissants obscurs, qui ne dit pas son nom. Par voie de conséquence, on assiste de manière logique à l’enlisement des opérations Sukola 1 contre les présumés « ADF Nalu », débutée en janvier 2014 avec à la clé environ 700 civils sauvagement massacrés et de l’opération Sokola 2 débutée en février 2015 contre les rebelles rwandais des FDLR, que le Gouvernement congolais s’était empressé de déclarer, le 4 aout 2015, avoir neutralisés en réduisant leur nombre de 1500 à environ 390 (chiffre donné par le général Léon Mushale, Commandant de la 3ème zone de défense FARDC). Pourtant, le 22 Juillet 2015, le Vice-Ministre de la Défense Nationale avait, dans un rapport au Conseil supérieur de la défense, fait état de 216 combattants FDLR neutralisés par les FARDC agissant seules.
La présente analyse tente de démontrer, avec certains éléments des détails militaires sur les troupes et l’armement déployés dans ces deux opérations, l’inefficacité de l’armée congolaise dans la lutte contre l’insécurité à l’Est du pays. Cet échec est imputable en premier lieu aux hautes autorités politiques et militaires congolaises, qui ne parviennent pas à pacifier cette partie du pays instable depuis plus de 20 ans. Ce, au point même de les considérer comme étant politiquement complices si pas auteurs dans le maintien de l’insécurité dans cette région de la RDC.

1. L’opération Sukola 1 contre les présumés « ADF » à Beni
a) La Situation militaire dans le Grand Nord
Depuis le lancement de l’Opération Sukola 1 en janvier 2014, soit exactement 2 ans, dans la région de Beni au Grand Nord du Nord Kivu, aucune preuve objective concrète ni des autorités militaires congolaises ni des chercheurs indépendants ou des experts nations unies et encore mois de la société civile congolaise n’est parvenue à démontrer de manière irréfutable que la série de massacres qui se déroulent à Beni est l’œuvre de ceux que l’opinion tend à attribuer aux rebelles ougandais des ADF/Nalu. Le dernier rapport du GEC[1] n’est pas parvenu non plus à identifier clairement les assaillants de Beni, allant même à identifier certains régiments ex-CNDP parmi les assaillants des populations de Beni.
Nos recherches individuelles ne sont pas non plus parvenues à étayer cette hypothèse. Ainsi, pour des raisons de rigueur et de réserve méthodologique, nous emploierons la terminologie « présumés ADF ». Nos analyses antérieures sur cette question ont suffisamment étayé des éléments contredisant ou mettant en doute cette attribution des massacres aux ADF Nalu, privilégiant plutôt la complicité des hautes autorités politiques et militaires congolais[2].
1) L’effectif des ADF, évalués au départ à environ 750 combattants suivant le plan de manœuvre élaboré par le feu colonel Mamadou Ndala avant son assassinat, a été réduit à environ 300 hommes lorsque le feu général Bahuma a pris le commandement et mené les opérations Sokola 2 avec succès. Ces données ont été confirmées par plusieurs sources indépendantes et d’autres sources opérationnelles internes FARDC avec lesquelles j’étais en contact. En effet, lors de la visite des Chefs d’Etats-majors généraux des FARDC et de l’UPDF, l’Armée ougandaise, à Madina, l’un des quartiers généraux des ADF repris à l’époque par le Général Bahuma, les autorités militaires des FARDC avaient publiquement déclaré que les ADF ont été défaits. Il ne restait plus au moins que trois cents individus en errance. Et que le reste n’était qu’une affaire de la Police.
2) Curieusement, après le décès inopiné du général Bahuma, on a constaté subitement un regain de violence dans la région et en même temps un changement de discours dans le chef des autorités congolaises en charge actuellement de l’opération Sokola 2 selon lequel les « ADF conservent toutes leurs capacités de nuisance« .
3) Selon une source militaire congolaise, depuis le début des opérations contre les « présumés ADF », les FARDC ont perdu environ 700 soldats. Ces chiffres n’ont jamais été démentis par les officiels militaires congolais.
b) Structure et composition des unités déployées dans Sukola 1
Selon des informations recueillies des sources militaires opérationnelles FARDC sur les unités déployées dans la région, l’opération Sokola 1 à Beni comprend les unités suivantes (données de mars 2016) :
La 31ème brigade commando des forces de réaction rapide (FRR) commandées par le général Kalonda (311 & 312 bataillon Unités de réaction rapide : URR) venues de Nyiragongo dans la région de Goma. Le 311ème bataillon commando est déployé sur l’axe Mbau – Kamango et le 312ème bataillon commando opère sur l’axe Oicha – Eringeti sous le commandement du colonel Tipi Ziri Zoro qui est le coordonnateur de ces 2 bataillons commando. Une brigade comprend en moyenne entre 2500 hommes en effectif théorique.
5 régiments d’infanterie : 3302ème, 3310ème et 3304ème (venus du Sud-Kivu); le 1009ème régiment d’infanterie venu de Kinshasa, le 905ème régiment d’infanterie venue de Dungu dans l’ex province orientale. Un régiment comprend environ une moyenne de 1200 hommes suivant l’effectif théorique. Soit un ensemble théorique de 6.000 hommes.
4 Brigades d’infanterie: La 3402ème brigade d’infanterie (ex-805ème régiment d’infanterie) dirigée par le colonel Balinga et la 3408ème brigade d’infanterie (ex-809ème régiment d’infanterie) commandé par le colonel Freddy Kabalenga ; La 3413ème brigade d’infanterie (ex-1003ème régiment d’infanterie) commandée par le colonel Emile Baoza (tutsi banyamulenge) et la 3414ème brigade d’infanterie (ex-1006ème régiment d’infanterie) dirigée par le colonel Guillaume Tangazo. Soit en moyenne 10 000 hommes en effectifs théoriques.
Il y a aussi une unité d’appui-feux mixte de la Garde républicaine qui a la taille d’un régiment. Elle est composée d’un bataillon d’artillerie avec des unités de lance-roquettes multiples, des unités d’artillerie, des unités d’artillerie anti-aérienne avec des canons de DCA déployés principalement autour de l’aéroport de Beni-Mavivi et autour du domaine présidentiel de Kasebe près de Butembo en territoire de Lubero et Le régiment d’appui-feux mixte de la GR qui dispose d’une compagnie ou un escadron de blindés légers plus 1 escadron de combat motorisé avec 50 jeeps Toyota Land-Cruiser montés avec canons de DCA (Défense anti aérienne) et d’autres jeeps armées de mitrailleuses lourdes de 12,7mm russe de type DSHK et NSV (2000 hommes).
Avec cet impressionnant arsenal militaire, qui totalise environ 25.000 militaires FARDC en théorie contre 300 hommes, l’on est en droit de se poser la question sur l’efficacité de l’opération militaire en cours à Beni, sachant que les présumés ADF sont militairement réduits en effectifs. Aujourd’hui, le secteur opérationnel Sukola 1 enregistre plus de 700 massacrés à l’arme blanche majoritairement. Or les rares assaillants présumés ADF présentés par l’armée congolaise possédaient des armes à feu et ne disposaient pas d’armes blanches. Ce qui laisse dubitatif.

Depuis le 7 mai 2016, le QG du commandement de l’Opération Sukola 1, dirigé par le général Mbangu, est installé à Kasan, dans la banlieue d’Eringeti, pour mieux servir la population de Beniet des environs, selon le porte-parole des FARDC à Beni, le colonel Mak Hazukay.
Au-delà des aspects purement militaires, il y a lieu aussi et surtout à se questionner sur les mobiles politiques internes et géopolitiques latents qui sous-tendent la persistance de l’insécurité à Beni. Butembo et Lubero. La responsabilité d’assurer la sécurité du territoire et la protection des populations incombe en premier lieu aux autorités congolaises. Il semble logique, en termes de redevabilité, que cette autorité soit pointée du doigt lorsque les mesures qu’elle est censées prendre sont inefficaces.
2. L’opération Sukola 2 contre les FDLR
a) Forces et armement sur le terrain
L’opération Sukola 2 au Nord-Kivu comprend des forces de couverture avec 12 régiments d’infanterie (capacités opérationnel douteuse, sous-effectifs, armement d’appui en petit quantités, insuffisance de moyens de communications, insuffisance de charroi automobile).
b) Unités de sukola-2
L’opération Sukola 2 contre les rebelles hutus rwandais a été lancée en février 2016[3].
le 601ème régiment (Rutshuru-centre),
le 802ème régiment (Nyabibwe),
le 103ème régiment (ville-de Goma au camp Katindo),
le 410ème régiment (Rutshuru/camp de Rumangabo),
le 804ème régiment (Masisi-centre),
le 103ème régiment d’infanterie (Kibati dans le territoire de Nyiragongo),
le 810ème régiment d’infanterie stationné au nord de Goma, à Kibumba près de la frontière rwandaise,
le 104ème régiment d’infanterie stationné à Mubie en territoire de Walikale,
le 3413ème régiment stationné sur l’axe Wimbi-Kanyabayonga (au nord-est du territoire de Rutshuru),
le 803ème régiment d’infanterie (Kibua en territoire de Walikale),
le 806ème régiment d’infanterie stationné à Masisi-centre,
le 808ème régiment d’infanterie, des ex CNDP qui était déployé dans Grand Nord (Beni – Lubero) est actuellement stationné dans le Masisi (Kitchanga) ; – et
le 813ème régiment d’infanterie stationné à Sake, en Territoire de Masisi.
Comme forces de réaction rapide déployés sur le terrain, il y a :
les unités de la 31ème brigade commandos /URR du général de brigade Kalonda avec le 321ème bataillon Commando stationné à Mobambiro près de Goma et
le 322eme bataillon commando stationné au camp de Rumangabo en territoire de Rutshuru déployer en opérations contre les FDLR sur l’axe Vitshumbi – Tongo.
le 391ème régiment commando/formé par Africom mène les opérations contre les FDLR et les milices de Cheka dans le territoire de Walikale . Les forces de réaction rapide sont assez bien équipées, à peu près comme la Garde républicaine. Les unités de la Garde républicaine qui sont stationnées à Goma (camp Mobambiro, domaine présidentielle de Karibu et dans le domaine de Katale en territoire de Rutshuru) servent de forces de défense principale car lourdement équipées.
Ces unités disposent d’un escadron de chars de combats T-55 m2 russe et T-59 chinois armées de canons de 105mm+mitrailleuses lourdes NSV de 12,7mm (trentaine de chars) ; 2 escadrons blindés légers : avec des blindés des combats d’infanterie BMP/1 et BMP/2 avec canons de 73mm comme arme principale ainsi que missiles antichars AT-3 SAGGER russe comme arme secondaire. Toujours dans les 2 escadrons blindés légers : des VBR[4] type brésilien EE-9 Casacavel armée de canons de 90mm, des VBR serbes m-53/70 PRAGA armée de canons bi tubes de 57mm. Troisième composante de ces escadrons : les véhicules blindés de transports de troupes : BTR-50, BTR-60 PB, MT-LB, OT-64 modèles tchèque.
Ces deux escadrons ont près d’une cinquantaine de véhicules blindés. Un bilan complaisant c-à-d et très loin de la réalité alors que l’ONU parle de 1.700 combattants FDLR opérationnels, l’EMG FARDC parle de 500 FDLR actifs (chiffres faux selon mes sources).
La task-force GR dispose aussi des unités d’artillerie (17ème régiment d’artillerie du colonel Kayumba) qui est équipée de pièces d’artillerie automoteur 2s1 Gdvodika et 2S3 Akastiya, plus des pièces d’artillerie tractée-30 russe de 152 mm, d-20 de 122mm, des canons d-44 de 85 mm, des canons types-60 chinois de 100 mm.
Il y a aussi des mortiers de 120mm et de mortier de 160 mm de type m-43 et aussi des lance-roquettes multiples légers tractées type-63 chinois de 107 mm, des BM-14/16 russe de 140 mm.
Pour compléter l’artillerie déployée, il y a une dizaine de lance-roquettes multiples mobile BM-21 russe de 122mm, M-58 serbe de 140mm, et de type 81 chinois dit Yanan de 122mm.
Enfin, il y a environ 150 pick-up land-cruiser Toyota armées de mitrailleuses lourdes DSHK, NSV, KPTV de 12,7mm, des canons AA ZPU-4 quatritubes, des canons AA ZSU-23 bitubes, des canons sans recul SPG-9 de 82mm russes.
Toujours en appui a Sokola 2, il y a un détachement aérien de la forces aérienne /FARDC composé de 4 avions de combats Sukhoi-25K Frogfoot russe +4 hélicoptères de combats MI-24 /35V russes appelés Hind + 2 hélicoptères de transport MI-8/17HIP de marque russe.
Déploiement supplémentaire en appui aux unités de la GR au Nord-Kivu du 15ème régiment de la 10ème brigade spéciale d’infanterie GR stationnée habituellement à Kinshasa (camp CETA). Cette unité est dirigée par le colonel Yves Kibawa. Le détachement de la force aérienne/FARDC en appui aux opérations Sokola 1 et 2 est essentiellement stationné à la partie militaire de l’aéroport de Goma avec une équipe avancée à l’aéroport de Béni/Mavivi.
3. Des moyens impressionnants mais sans résultat concret sur le terrain
Plusieurs éléments peuvent expliquer cette défaillance des FARDC. On a parlé de soupçons de complicité internes et de la passivité des troupes au combat, confirmés par des sources militaires que nous avons contactées à Beni et le dernier rapport du GEC. Il y a de sérieux problèmes de ravitaillement en carburant qui est soit insuffisant ou cannibalisé dans certains cas. On parle du tiers de véhicules militaires immobilisés. Il y a aussi des insuffisances en munitions qui selon nos sources sont entrains d’être comblées et des problèmes de maintenance de l’armement.
On peut en outre relever des insuffisances en matériels radio (transmissions). Il se fait que l’ancien commandant de l’opération Sukola 1, le général Akili Mohindo, communément appelé : « Mundos », est mécontent de son éviction de son poste de Commandant des opérations Sokola 1. Il a par exemple démonté et emporté toutes les bases (émetteurs) de relais de communications militaires ainsi que la plupart des radios à Mambasa où il a pris le commandement de la 32ème brigade de défense principale. Ce sont des faits de sabotage punissables de haute trahison dans le cas des troupes en guerre. Mais l’intéressé continue de bénéficier du soutien du chef de l’Etat. L’actuel commandant des opérations, le général Marcel Mbangu, n’a trouvé aucun matériel de transmissions à sa prise de commandement ( en juin 2015).
Les unités (brigades, régiments, bataillons) déployées ne les sont que de nom. Leurs effectifs sont douteux.
La plupart des officiers qui composent les unités déployées dans le Secteur opérationnel du Grand Nord et de l’Opération Sukola 1 se sont octroyés eux-mêmes des grades d’officiers et d’officiers supérieurs depuis l’époque du Général Bahuma Ambamba Lucien. La régularisation de leur situation administrative risque de porter un coup à la poursuite normale de l’opération en cours.
Les matériels mobiles de combats, particulièrement les chars sont vite inopérationnels car achetés en occasion et sans entretiens réguliers.
La PNC ne dispose pas d’effectifs et du charroi automobile suffisants pour organiser des patrouilles diurnes et nocturnes dans la ville de BENI et ses environs en vue de dissuader toute infiltration ennemie.
L’appui de la MONUSCO, qui dispose des combattants, de charroi automobile, d’aéronef, des drones et autres appareils modernes de combat, s’avère indispensable au regard de la recrudescence de la violence dans le territoire de BENI.
En avril 2015, la radio Okapi qui relaie généralement les informations des services de renseignement de la MONUSCO, a déclaré que des officiers des FARDC pourvoiraient les présumés ADF en armes, munitions et rations de combat vient renforcer le soupçon de complicité de la hiérarchie militaire avec les réseaux des ADF.
Les chefs militaires, mal payés, profitent des opérations militaires pour remplir leurs poches notamment avec les fonds spéciaux de guerre, lla cannibalisation des carburants et des pièces de rechange. Il n’est pas exclu qu'(à certains endroits, ils entretiennent eux-mêmes cette situation pour justifier la continuation des opérations militaires.
On constate également le manque de discipline de feu ;l’indiscipline des militaires ; le décrochage ou désengagement non ordonnés ; la précipitation dans l’engagement de l’ Eni (Lire ennemi); l’incapacité à fixer ou à immobiliser l’Eni afin de l’engager ; le manque parfois de combativité ou d’agressivité dû au manque de motivation des troupes mal et irrégulièrement payées, le clientélisme de certains officiers ; le noyau du commandement est constitué des officiers issus d’une famille et du territoire ; etc. Le réseau de recrutement et de ravitaillement de l’ennemi étant toujours opérationnel, il y a lieu de se poser des questions sur l’efficacité des services renseignements militaires ou des connivences avec l’ennemi [5].
Un rapport de la mission parlementaire effectuée en octobre 2014 rapporte également les faits de complicité passive des FARDC. A chaque attaque, l’intervention des services de défense et de sécurité étaient informés préalablement mais venaient tardivement. Paradoxalement, lorsque les populations capturent les assaillants supposés être ADF, on voit arriver d’urgence les services de sécurité. C’est le cas de l’information que j’ai reçue de Beni dans la nuit du 31 décembre 2015 où un assaillant rwandophone a été capturé par la population et que l’armée et la police sont arrivés le prendre alors que la population attendait qu’il soit démontré au public par les autorités.
A Beni par exemple, plusieurs analyses et rapports de divers experts, voire de la mission parlementaire menée en octobre 2014 et même des témoignages que nous avons recueillis directement des sources militaires opérationnelles déployées à Beni, parlent de complicités internes au sein des FARDC, de leur passivité et d’une désorganisation du commandement et des troupes dans ce secteur opérationnel. On évoque aussi des mobiles politiques locaux et nationaux et géopolitiques régionaux latents derrière la violence qui sévit à Béni depuis le 2 octobre 2014, quelques mois après le décès inopiné du Général Lucien Bahuma, l’ancien commandant de la région militaire du Nord-Kivu et en même temps commandant de l’opération Sukola 1 qu’il a menée avec succès.
Pour ce qui concerne les FDLR, c’est un secret de polichinelle que d’affirmer qu’elles ont toujours bénéficié des soutiens des officiers de l’armée congolaise[6]. Plusieurs rapports d’experts des Nations Unies et d’autres recherches indépendantes ont été très explicites et détaillés à ce sujet. Cela explique en grande partie l’hypothèse de refus des autorités congolaises d’être appuyées par la MONUSCO de peur de se voir tirer une balle dans le pied et d’une manière générale au manque avéré de volonté politique de pouvoir prendre des mesures efficaces pour sécuriser la partie orientale du Congo en vue d’y restaurer effectivement l’autorité de l’Etat.
4. A qui profite l’enlisement militaire actuel à l’est de la RDC ?
Le constat que l’on peut relever, aussi bien dans le cas de l’opération Sukola 1 à Beni que dans l’opération Sukola 2 contre les FDLR, est celui de la grande responsabilité des autorités politiques, administratives et militaires congolaises, de l’échelon le plus élevé au niveau le plus bas de la prise de décision, dans l’échec avéré de ces opérations censées juguler l’insécurité dans cette partie du territoire congolais.
Quant à la thèse de l’existence présumée des ADF, un petit raisonnement analytique permet de démontrer pourquoi à, mes yeux, cette thèse me paraît fallacieuse.
Il faut se dire que d’une manière générale, toute rébellion qui mène une lutte armée s’arrange généralement pour opérer dans les zones frontalières afin de disposer donc d’une base-arrière de ravitaillement logistique au départ des pays limitrophes. C’est pourquoi, ces rébellions (AFDL, RCD, CNDP, M23, FNLC des Tigres katangais, etc.) ont toujours commencé leur rébellion ou agi dans les zones frontalières. Pour les rébellions qui agissent à l’intérieur du pays, ce sont généralement les complicités internes au sein des forces armées loyalistes qui les pourvoient en armes, comme ce fut le cas durant la rébellion de Mulele dans les années 1960. Or les ADF sont supposés être une rébellion contre le régime du président Museveni. De ce fait, ils ne devraient donc pas en principe bénéficier de l’aide de l’Ougande. Comment expliquer que ces supposés ADF survives et continuent à causer des centaines de morts, si l’on sait que, malgré tout l’arsenal militaire impressionnant des FARDC ci-haut détaillé plus un possible soutien militaire de l’Ouganda pour isoler les ADF, s’il s’agit réellement des ADF (car opposés au régime de Kampala), en étant longtemps encerclés et pris en étau par ces deux armées ? Je laisse aux lecteurs de tirer eux-mêmes les constats ou la conclusion qui peuvent en résulter…
Un autre constat qui découle d’une intuition criminologique qui veut que lorsque l’on se trouve en face d’une telle situation que l’on se pose méthodologiquement la question de savoir à qui profite le crime ? C’est-à-dire celle d’identifier qui sont les vrais bénéficiaires de cette situation, quels sont les mobiles (politiques et géopolitiques – internes ou régionaux – géostratégiques, géoéconomiques[7]) derrière le maintien de cette zone dans cette situation de conflit armé prolongé. En effet, il ne faut pas oublier, comme le répéte assez souvent : la guerre reste inévitablement une continuation de la politique par d’autres moyens et non une fin en soi. C’est-à-dire la guerre reste un véritable instrument politique, une réalisation des objectifs politiques. Ces objectifs peuvent être à la fois politiques, géopolitiques et même géoéconomiques. C’est-à-dire un moyen de faire la politique autrement ?
Ainsi, l’on peut avancer, sans être contredit, que la situation actuelle d’instabilité au Kivu, profite jusqu’à preuve du contraire, à tous les leaders politiques de la région. Ces derniers ont généralement tendance à s’exprimer par le recours à la violence pour assurer les équilibres politiques instables internes dans leurs pays respectifs et l’ordre ou le système politique géopolitique régional qui leur permettent de se maintenir au pouvoir et donc leur profitent bien.
Il s’agit d’un aspect très important qui mérite qu’on y accorde beaucoup d’attention en cette période échaudée de fin du mandat du président Kabila qui se présente comme étant le maillon faible du quatuor régional composé de Museveni – Kagame – Nkurunziza – Kabila. Un des principes de la systémique (étude des systèmes en sciences sociales) veut qu’un changement d’un élément du système peut conduire au bouleversement de tout un système. Malgré certaines rivalités internes entre ces dirigeants[8], tous savent et sont bien conscients que la chute du maillon faible Kabila peut entraîner la recomposition générale des paysages politiques internes dans leurs pays respectifs et opérer un chambardement du leadership régional comme en 1994 après l’assassinat du président Habyarimana dont l’avion a été abattu par un missile de FPR tiré par les rebelles du FPR, selon une confidence d’un ancien officier occidental.
C’est ce qui explique en grande partie le regain de violence à l’est en signe de mutualisation négative des efforts en faveur de Kabila en vue de déstabiliser la RDC. Une situation d’instabilité qui profitera plus à Kabila qu’à ses adversaires politiques congolais, lesquels soit ignorent ou n’intègrent pas suffisamment cette dimension géopolitique régionale dans leurs stratégies d’accession ou de conquête du pouvoir. Rien que cet aspect régional, outre les faits de criminalité économique et de graves violations des droits de l’homme imputables à Kabila et à son entourage, suffit pour expliquer son obstination à rester au pouvoir et à se comporter comme un kamikaze politique du type djihadiste. Joseph Kabila n’a plus rien à perdre en RDC, le pays qu’il dirige dans une situation d’otage politique de ses alliés régionaux pour qui le maintien à la tête de la RDC d’un pantin qu’ils ont façonné politiquement de toutes pièces est vital pour leur survies ethno-politiques personnelles.
Conclusions
On ne peut mener efficacement une opération militaire lorsqu’on ne définit ni ne décrit pas bien l’ennemi ou la menace. Actuellement, il semble de plus en plus évident que l’ennemi que l’on présente comme étant ADF ne semble pas être celui qui est le véritable responsable des massacres à grande échelle dans la région de Beni et Lubero. Ainsi, lorsque la nature de l’ennemi et l’évaluation de la menace sont biaisées, le reste de l’opération militaire risque logiquement d’être inefficace et contreproductif.
Il y a aussi inadaptation et désorganisation des unités de combat par rapport au mode opératoire des assaillants. Cela fait que l’on combat une menace asymétrique de type guérilla avec des moyens et des techniques militaires de guerre classique ou symétrique. D’où la nécessité de revoir la doctrine de déploiement et d’emploi des forces en opérations militaires, sinon on est parti dans un cycle d’insécurité, insidieusement entretenue, sans fin.
Enfin, il y a lieu de faire rapidement un petit constat du bilan de l’action du chef de l’Etat, commandant suprême des forces armées, dans le domaine de la sécurité et de la restauration de l’autorité de l’Etat qui a été une de ses grandes priorités depuis 2006, à la fin de ses deux mandats constitutionnels vu qu’il ne se représentera plus en novembre prochain. Ce constat est le résultat du travail réalisé par le Groupe d’étude sur le Congo : 70 groupes armés encore actifs à l’est de la RDC. Après 15 ans de pouvoir on est en droit de se poser objectivement la question de savoir si le président Kabila n’a pas atteint là la limite de son action politique. Il semble qu’on ne change pas l’équipe qui gagne, pourtant Kabila a brillamment perdu la bataille sécuritaire de l’Est. Qu’en adviendra-t-il en cas de son maintien au pouvoir par la force?
Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC
Références
[1] Rapport : “WHO ARE THE KILLERS OF BENI ?”, http://congoresearchgroup.org/new-report-who-are-the-killers-of-beni/.
[2] http://afridesk.org/fr/joseph-kabila-et-le-general-mundos-creent-ils-des-faux-adfnalu-jj-wondo/
[3] http://afridesk.org/fr/loperation-sokola-2-contre-les-fdlr-quand-le-bluff-tactique-tourne-au-ridicule-jj-wondo/.
[4] VBR : Véhicule blindé sur roue.
[5] http://afridesk.org/fr/inedit-situation-a-beni-analyse-operative-dun-expert-militaire-fardc-desc/#sthash.y2gXe9St.dpuf.
[6] http://afridesk.org/fr/loffensive-contre-les-fdlr-en-question-et-le-renoncement-insense-de-la-monusco-jj-wondo-o/.
[7] La géoéconomie fait de l’économie un des fondements de la puissance, à côté des forces militaires, diplomatiques et symboliques. Il parait évident que les intérêts économiques, les conflits autour de l’accès aux ressources et les pouvoirs liés aux contrôles des richesses sont des déterminants essentiels des rapports de force et des conflits. Les enjeux économiques sont au cœur de la géopolitique pétrolière, énergétique, environnementale et les captations des rentes sécuritaires, démocratiques, économiques fondent les jeux et les stratégies politiques. Philippe Hugon, Géopolitique de l’Afrique, 3è Ed., Sedes, Paris, Septembre 2012, p.104.
[8] http://afridesk.org/fr/la-crise-au-burundi-et-lattaque-de-goma-la-fin-de-la-triple-alliance-opportuniste-kagame-kabila-nkurunziza-jj-wondo/.
5 Comments on “Les opérations militaires Sukola 1 et 2 aux Kivu et les enjeux géopolitiques latents – JJ Wondo”
GHOST
says:¤ MASSIFICATION DES EFFETS*
Mr Wondo qui possede l´ouvrage « Révolution dans les Affaires Militaires » connait très bien ce concept militaire* En effet, le nombre des troupes sur le terrain ne signifie pas une superiorité militaire tant que ces hommes ne possedent pas une « superiorité logistique » ou pire une « superiorité informationelle »*
Mis á part l´aspect politique qui influence les performances des FARDC, il ya aussi ces deux aspects importants où le niveau de l´éducation des officiers de l´état major général des FARDC y compris ceux qui commandent les troupes au Kivu a un impact très negatif*
Mr Wondo qui possede plus de facilité pour verifier le niveau de tous ces officiers qui participent á cette operation va constater de lui même qu´il est difficile de retrouver les academies ou les écoles militaires qui avaient formés ces « colonels » et pire ces « généraux »
En cas d´alternance dans un futur proche, les congolais vont hériter d´une autre « Force Publique » où les officiers qui ne possedent pas une éducation militaire respectable vont commander l´armée congolaise*
¤ Superiorité logistique ?
Malgré l´arrogance du gouvernement congolais, les FARDC n´ont repris les operations que depuis que la mission militaire de l´ONU assure la logistique. Ce que l´armée congolaise ne possede même pas des rations alimentaires, ni un service medical de campagne capable de soigner les blessés, sans parler des moyens de transport dans cette guerre où le principe de « verticalisation » de l´offensive á l’aide des hélicoptères est plus efficace pour larguer les forces speciales non loin des objectifs*
C´est l´ONU qui assure la logistique et le transport…si pas pire la « planification »
¤ La superiorité informationelle
La mission militaire de l´ONU est certainement trés en avance sur ce plan, car disposant des images satelites, des drones de reconnaissance et des hélicoptères qui peuvent survoler les zones des operations*
Ainsi, les FARDC dependent plus de la planification de l´ONU qui dispose de toutes les informations sur les positions à « traiter », sur le dispositif des FARDC, même pour « contrôler » les tirs de l´artillerie via les drones*
Avec tout le respect pour nos grands frères ex FAZ qui constituent l´élite militaire au sein de l´état major général des FARDC, cette guerre n´est pas celle de la Guerre Froide qu´ils avaient appris dans les academies des pays membres de l´OTAN*
Les règles d´engagement des « forces speciales » par exemple sont basées sur la « massifications des effets »..Il s´agit pas d´occuper le terrain mais de rechercher les effets qui consistent á liquider le plus grand nombre possible des ennemis avec « precision »*
Une fois de plus, mis á part l´aspect politique…nous avons une autre Force Publique sur les bras..pour le meilleur et le pire !
DESC-Wondo.org
says:Cher Ami, vous avez vu juste. Les forces spéciales sont l’avenir de l’armée. Pendant que certains profanes anti-américains se plaisent à commenter la diminution du budget militaire américain, ils ignorent que c’est une diminution purement stratégique qui n’affecte en rien leur capacité d’action. Alors que le Pentagone est en train de supprimer des des dizaines des postes militaires sans valeur ajoutée sur le plan opératique, ils ont quasiment décuplé en 40 ans les effectifs de leurs forces spéciales dont le budget ne fait que progresser pour atteindre plus de 65 000 hommes aujourd’hui, avec un budget de plus de 10 milliards de $, qui a quadruplé en 10 ans. Ici je ne compte même pas les missions d’outsourcing effectués par les SMP (Société militaire privée).
Oui, la menace ayant muté, le temps des guerres napoléono-clausewitziennes est largement révolu.
Je reviens du salon international de l’armement de Paris, Eurosatory, où j’ai constaté de mes yeux l’accent mis sur les forces spéciales et leur logistique. En voici quelques liens : https://www.facebook.com/jeanjacques.wondo/posts/10209885744919130
https://www.facebook.com/jeanjacques.wondo/videos/10209905638096447/
ngamakasi
says:Erratum: je crois qu’un petit lapsus calami s’est glissé dans le texte, il n’y a pas de domaine de katale à Walikale, je crois que celui- ci se trouve dans le Rutchuru.
DESC-Wondo.org
says:Merci pour la précision, nous corrigerons le lapsus.
GHOST
says:¤ DOCTRINE D´USAGE DES FORCES SPECIALES, CERTAINS PAYS AFRICAINS SONT EN AVANCE…
Curieusement la RDC ne figure pas sur la liste des pays Africains qui beneficient d´une mise á jour des formations de leurs forces speciales.
Un article dans la revue MILITARY TECHNOLOGY Vol. XL. Issue 5 . 2016
L´article d´Andrew White (pages 12-19) SPECIAL OPERATIONS FORCES INTEROPERABILTY « The more we train together, the better we become together »** fait état d´ une exercise militaire « Exercice « Flintlock » Special Operation Across the Trans-Sahara Counter-Terrorisme Patnership*
tenue au mois de fevrier 2016* rassemblait les pays membres de l´OTAN et la « coalition » des pays Africains « patners »*
L´exercice avait été organisée par l´USSOCOM-Africa. L´article indique cette exercice se deroule chaque année avec les pays Africain du Nord-Est..
Cette exercice s´est deroulée au Senegal et les pays Africains suivant ont participés: * Algerie * Burkina Faso * Chad * Mali * Mauritanie * Maroc * Niger * Nigeria * Senegal * Afrique du Sud et Tunisie*
Les « sponsoring SOF units » étaient en provenance du Quartier Général des Forces Speciales de l´OTAN (NSHQ) avec la participation des forces speciales de l´Australie* les « KSK »de l´Allemagne, du Pologne, de l´Espagne, de la Roumanie et de la Grande Bretagne*
Cette exercice avait vu le jour en 2005 avec la formation des forces speciales du Nigeria.
La RDC qui continue á subir une guerre non-conventionelle au Kivu devait pourtant figurer parmis les pays qui beneficient de ces genres d´exercices afin de mettre á jour le niveau de ses officiers..et d´acquerir les nouvelles technologies militaires dans ce domaine*