Jean-Jacques Wondo Omanyundu
ÉCONOMIE & DÉVELOPPEMENT | 05-02-2015 01:30
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Le projet Transaqua : antidote au terrorisme de Boko Haram ou projet du moyen-âge ? – Sinaseli Tshibwabwa

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

 Le projet Transaqua : antidote au terrorisme de Boko Haram

ou projet du moyen-âge ?

Sinaseli TSHIBWABWA
Expertise en Biodiversité des Poissons d’eau douce d’Afrique /
Écologie des Eaux Continentales

sinaseli@hotmail.com

C’est sous le titre «Le projet Transaqua : Antidote au terrorisme de Boko-Haram» que le journaliste Miles Amoore, correspondant pour l’Afrique du quotidien Sunday Times de Londres a publié son article ce 18 janvier 2015 pour sensibiliser le public britannique du bienfondé du projet Transaqua. (Lire sa traduction française sur le lien suivant : http://m.solidariteetprogres.org/transaqua-antidote-terrorisme.html; version anglaise sur demande). Nous invitons nos compatriotes à lire ou relire aussi notre analyse de ce projet publiée en 2014 sous le titre «Transfert d’eau du bassin du fleuve Congo au Lac Tchad : éléments pour une prise de décision éclairée» (Cfr. Lephareonline du 26 mai 2014, Assomar.org du 29 mai) afin de comprendre ses graves conséquences pour le bassin du Congo, sa biodiversité et sa population advenant sa réalisation.

Le journaliste Miles Amoore établit dans son article un lien entre le transfert de l’eau du bassin du fleuve Congo au Lac Tchad et le groupe djihadiste «Boko Haram». Commentant l’article de ce journaliste, M. Lawrence Freeman, rédacteur à «Executive Intelligence Review», lobbyiste du projet Transaqua et vice-président du comité scientifique de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) a écrit « Il n’y a aucune chance pour que ce problème de terrorisme soit résolu par des moyens militaires. Le canal est l’un des moyens permettant de contrer Boko Haram. Si vous placez les gens dans des situations désespérées, ils vont chercher des moyens désespérés pour survivre. C’est ce que l’on voit dans la région».

Ce lien est-il réel, attesté ou s’agit-il d’un amalgame destiné à faire accepter le projet Transaqua par la population britannique ? Que peut-on lire entre les lignes de cet article ? Quel message les Congolais et les Centrafricains doivent-ils décrypter à travers ses lignes ? Pourquoi cette sortie à Londres et non pas dans les pays africains concernés ? Quel est notre point de vue sur un transfert éventuel de l’eau du fleuve Congo vers un pays étranger ? Comment équiper la RDC d’un instrument de gestion responsable, efficace et capable de faire face aux nombreuses convoitises de notre or bleu ? Autant de questions auxquels nous allons tenter de répondre dans cet article.

Existe-t-il un quelconque lien entre Boko Haram et l’eau du bassin du Congo ?

Pour certains médias, «Boko Haram» est un mouvement salafiste djihadiste du nord-est du Nigéria. A ses débuts, il n’était qu’un mouvement religieux contestataire qui tentait de combler le vide créé par l’incurie des partis progressistes. Pour d’autres médias, ce mouvement aurait vu le jour suite à une prise de conscience des populations du Nord du Nigéria de l’absence d’une équitable justice distributive des richesses du pétrole dans leur pays. En effet, les douze États composant la ceinture nord de la fédération (aux frontières du Niger, du Tchad et du Cameroun) sont les moins développés du pays. Les dirigeants nigérians ayant fermé et les oreilles et les yeux, ce mouvement de revendication grossit et se radicalisa avec la contribution de certains partis politiques nigérianes notamment le Parti démocratique du peuple (People’s Democratic Party, PDP), le Parti de tous les peuples du Nigeria (All Nigeria People’s Party, ANPP) et les milieux militaro-sécuritaires qui conseillent le Président Goodluck Jonathan.

Aujourd’hui, «Boko Haram» vise d’appliquer la charia par la force au Nigéria, commettant de nombreux enlèvements, des massacres et attentats à l’encontre des populations civiles (jeunes hommes, filles et enfants, etc.) au Nord du Nigéria et du Cameroun. Derrière cet islam radical, il y a un profond ressentiment qui anime ces populations qui s’estiment abandonnées par les élites, le pouvoir central et les policiers fédéraux, corrompus et brutaux (Cfr. Muhammad Nur Alkali, Abubakar Kawu Monguno et Ballama Shettima Mustafa, « Overview of islamic actors in Northeastern Nigeria » (PDF), Nigeria Research Network, University of Oxford, janvier 2012.). Le comportement meurtrier de «Boko Haram» a été décrié par tous les peuples épris de paix, de justice et du respect de la vie humaine. Ce qui conduisit le Conseil de Sécurité des Nations-Unies à classer ce groupe dans la catégorie des dangereuses organisations terroristes.

Le mode de recrutement de ce groupe semble donc être un enrôlement de force au vu des dernières atrocités que toutes les télévisions du monde entier ont rapportées (les dernières atrocités datant de ce 24 janvier 2015). Il n’y a donc en toute logique aucune relation à établir entre l’assèchement du Lac Tchad, les revendications du groupe «Boko Haram» et le projet de transfert de l’eau du fleuve Congo pour remplir ce lac.

Il est surprenant de lire les propos tenus par le journaliste Miles Amoore dans Sunday Times de Londres : «…Le transfert de milliards de mètres cubes d’eau dans un lac africain en voie de disparition peut sembler être une drôle de solution pour affaiblir l’un des groupes terroristes les plus brutaux de ce monde. Certains experts estiment pourtant qu’un projet ambitieux de construction d’un canal de 1500 km de long au cœur de l’Afrique, pour inverser l’une des pires catastrophes écologiques des temps modernes pourrait aussi freiner l’influence de Boko Haram. Au cours des cinquante dernières années, le lac Tchad, anciennement le troisième plus grand lac d’Afrique, a vu sa superficie réduite de 90%, détruisant la vie des 30 millions de gens qui en dépendaient par différentes activités dont la pêche, l’agriculture et le pâturage. Des experts affirment que ceci a contribué à transformer les anciennes rives du lac en terres fertiles de recrutement pour Boko Haram, le groupe djihadiste meurtrier qui a entrepris de se créer un califat dans le nord-est du Nigéria…De nombreux experts militaires pensent qu’une intervention militaire va échouer et qu’une solution à long terme basée sur le développement des régions affectées par la rébellion est nécessaire. Indiquant peut-être une tentative désespérée de trouver une solution, la remise à l’eau du lac Tchad apparaît comme une proposition de plus en plus séduisante».

Il y a lieu de se demander comment le transfert de l’eau du bassin du Congo au Lac Tchad pourrait constituer un moyen de mettre fin aux atrocités imposées aux populations du nord-Nigéria par ce groupe djihadiste. Non seulement les revendications de ce groupe sont diamétralement opposés aux objectifs du projet Transaqua mais elles ne concernent pas tous les riverains du Lac Tchad. Cette proposition est une véritable «tentative désespérée» des promoteurs du projet Transaqua pour arracher l’adhésion du public européen. Quand bien même on opterait pour le remplissage du Lac Tchad avec l’eau du bassin du fleuve Congo, on ne voit pas comment cela règlerait les problèmes internes du Nigéria notamment la justice distributive des richesses.

En outre, il y a plusieurs groupes djihadistes en action à travers le monde entier (se rappeler les assassinats du Canada et de France, la guerre de l’État islamique ou encore les assassinats des journalistes revendiqués par ces groupes). L’eau du bassin du fleuve Congo n’est pas et ne pourra jamais être une solution à ce courant djihadiste qui déferle sur le monde.

Amoore a encore affirmé que « Certains experts estiment pourtant qu’un projet ambitieux de construction d’un canal de 1500 km de long au cœur de l’Afrique, pour inverser l’une des pires catastrophes écologiques des temps modernes pourrait aussi freiner l’influence de Boko Haram». Quels sont ces «experts» qui proposent une telle solution à la crise au nord du Nigéria ? M. Amoore ne donne aucune référence. Comme nous l’avions déjà clairement expliqué dans notre article précité, le Lac Tchad se trouve présentement dans une phase ascendante de son cycle naturel, c’est-à-dire la phase d’augmentation de sa superficie. En 2014, deux représentants de la revue «Executive Intelligence Review (EIR)» (revue faisant la promotion du projet Transaqua) accompagnés d’un géologue travaillant pour la CBLT depuis 2004, avaient constaté de visu que la fin de la saison des pluies et les inondations de 2012 avaient fait passer la superficie du lac de 2000 km² à 4500 km². (Lire Solidarité&Progrès en ligne du 22 novembre 2014 : Le débat sur la remise en eau du Lac Tchad relancé).

Le cas du Lac Tchad n’est plus «l’une des pires catastrophes écologiques des temps modernes». Que dira M. Amoore de la mer d’Aral en Ouzbékistan qui est aussi menacée de disparition à cause du changement climatique (Cfr. Fig. 1) et de la Mer Morte (dont le bassin versant est partagé par l’Israël, la Jordanie, la Syrie et le Liban) qui, depuis les années 60, a vu sa superficie passer de 950 km2 à 637 km2 et son niveau tomber de 29 m ? (http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/04/08).

Figure1Amoore a aussi affirmé que : «De nombreux experts militaires pensent qu’une intervention militaire va échouer et qu’une solution à long terme basée sur le développement des régions affectées par la rébellion est nécessaire. Indiquant peut-être une tentative désespérée de trouver une solution, la remise à l’eau du lac Tchad apparaît comme une proposition de plus en plus séduisante». Quels sont ces «experts militaires» qui pensent qu’une intervention militaire dans le nord du Nigéria est vouée à un échec ? L’auteur ne les cite pas non plus. Si l’intervention militaire ne peut réussir à arrêter le groupe «Boko Haram», alors que font les militaires de la coalition Europe-Amérique et alliés en Syrie et en Irak où se trouvent également des djihadistes plus redoutables militairement que «Boko Haram» ? N’est-ce pas pour mettre fin aux activités meurtrières de ces mouvements djihadistes ? On ne peut pas envisager de créer des nouveaux maux pour en guérir d’autres.

Le transfert au Lac Tchad de l’eau du bassin du fleuve Congo va engendrer de nombreux problèmes que nous avions déjà relevés dans notre publication citée ci-dessus (Cfr. Lephareonline du 26 mai 2014 ; Assomar.org du 29 mai 2014). Le journaliste Miles Amoore a été, selon M. Lawrence Freeman, correspondant de guerre auprès des troupes britanniques déployées en Afghanistan et en Libye. Il semble très sensible à la situation des habitants riverains du Lac Tchad et plus particulièrement à celle des habitants du nord-Nigéria. Loin de nous l’intention de solliciter sa compassion ni le culpabiliser, nous voulons juste lui demander s’il avait jamais écrit pour condamner les auteurs des 7 millions de morts congolais à l’Est de la RDC ou les groupes armés qui sèment la mort et déstabilisent la RCA, régions désignées pour la construction du canal devant amener l’eau au Lac Tchad respectivement par le projet Transaqua et le projet Oubangui ?

Au sujet du groupe djihadiste «Boko Haram», de nombreuses questions se bousculent dans l’esprit de nombreux africains : Qui finance «Boko Haram» ? Qui fournit les armes de guerre et les munitions à ce groupe ? Qui fournit les moyens de transport de sa milice et les moyens de communication modernes ? Comment peut-on, avec tous les satellites qui surveillent le monde entier aujourd’hui prétendre que ce groupe est inaccessible ? Comment le gouvernement du Nigéria, un des pays africains dits émergents, semblait jusqu’il y a peu, incapable et peu soucieux de mettre un terme aux activités meurtrières de ce groupe ? Advenant la victoire de l’armée régulière nigériane sur ce groupe implanté dans le nord du Nigéria, en quoi celle-ci résoudra-t-elle les problèmes de pauvreté des populations à l’origine de ce mouvement et comment l’eau du bassin du Congo pourrait-elle être une solution à cette terrible crise ?

C’est en tenant compte de ces nombreuses questions malheureusement sans réponses aujourd’hui que la déclaration de M. L. Freeman inquiète les Africains. En effet, il a écrit « Il n’y a aucune chance pour que ce problème de terrorisme soit résolu par des moyens militaires. Le canal est l’un des moyens permettant de contrer Boko Haram. Si vous placez les gens dans des situations désespérées, ils vont chercher des moyens désespérés pour survivre. C’est ce que l’on voit dans la région». Comment peut-il affirmer que «Il n’y a aucune chance pour que ce problème de terrorisme soit résolu par des moyens militaires» ? À moins d’être un prophète, sur quels éléments (ou études) base-t-il une telle prédiction ? Il ne l’a malheureusement pas dit. Les États-Unis d’Amérique, le Canada, la France, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Allemagne, etc. ont engagé d’importants moyens militaires pour résoudre le problème de terrorisme non seulement sur leur territoire respectif mais aussi dans le monde entier. Peut-on oser, un seul instant, prétendre que les experts militaires de ces pays se sont trompés ? Au journaliste M. Amoore et à M. L. Freeman d’y répondre. On peut seulement douter de l’expertise des experts consultés par ces deux journalistes.

En ce qui concerne la promotion du projet Transaqua, M. L. Freeman se trouve en situation de conflit d’intérêts. D’une part, il est un membre important du groupe qui tente par tous les moyens de vendre le projet Transaqua aussi bien en Afrique que dans toutes les tribunes en Occident, et d’autre part, il est vice-président du Comité scientifique de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT). Quelle valeur, dans ce cas, devra-t-on accorder aux résultats, conclusions et recommandations des études scientifiques partisanes, non indépendantes sur les causes et les pistes de solution aux maux du Lac Tchad ? Les canaux étaient à la mode au Moyen-âge en Occident, chaque ville tenait à avoir ses canaux. Ceux qui ont visité Londres, Amsterdam, Paris, Bruges, Venise, Saint-Pétersbourg, etc. sont émerveillés par ces vieilles constructions. Les Experts congolais avaient proposé en matière d’exportation de l’eau du bassin du fleuve Congo une solution innovante, avant-gardiste et digne du XXIe siècle (Lire le paragraphe «Peut-on envisager d’exporter les eaux du fleuve Congo ?» ci-dessous).

Pourquoi cette sortie à Londres et non pas dans les pays africains concernés ?

Parmi les ONG qui militent contre la réalisation du projet Transaqua, on peut citer le WWF, une ONG internationale de protection de la faune, de ses habitats et de la nature d’une manière générale. Le WWF a été fondé en 1961 par le Prince Philip du Royaume-Uni et les biologistes britanniques Julian Huxley, Peter Markham Scott, Guy Mountfort, Max Nicholson et Luc Hoffmann. Le Prince Philip a été président du WWF de 1961 à 1982. Son frère, le Prince Charles, lui a succédé depuis 2011 à la tête du WWF-Royaume-Uni. Les promoteurs du projet Transaqua ont toujours redouté le WWF qu’ils considèrent comme un «lobby écologiste anti-humain du Prince Philip d’Édinbourg et qui s’oppose activement à tout grand projet de transfert d’eau pour revitaliser le lac (Tchad), se posant ainsi en grand promoteur du désert» (Cfr. Solidarité&Progrès en ligne du 22 nov. 2014). On comprend dès lors pourquoi l’article a été publié à Londres. Cibler le public britannique de Londres, siège du WWF qui s’oppose, pour d’excellentes raisons, au projet Transaqua semble désormais une priorité et un objectif à court terme du lobby de ce projet. Si ses promoteurs réussissaient à éliminer la résistance du WWF à Londres, le projet pourrait avoir quelques soutiens à la Commission européenne à Bruxelles (Cfr. Notre analyse, op. cit.). Vous comprenez aussi pourquoi M. L. Freeman avait été «sollicité» (?) par la BBC pour une courte interview sur la sortie de l’article de Miles Amoore dans le Sunday Times de Londres.

Quel est aujourd’hui notre point de vue sur le projet Transaqua ?

Notre point de vue exprimé dans notre article publié en mai 2014 n’a pas changé. Ce projet présente de nombreux inconvénients pour le peuple congolais et pour sa riche biodiversité. Ce point de vue est aussi celui soutenu par l’ancien ministre congolais de l’environnement, M. José Endundo en octobre 2014 pour qui : «Sans garantie, ce projet est à recalerIl nexiste pas à ce jour, d’études convaincantes et globales plaidant pour la réalisation sans risques de ce projet ». (http://www.congogreencitizen.org/index.php/component/k2/item/271-transfert-des-eaux-de-la-riviere-ubangi-pour-le-lac-tchad ).

En avril 2014, relevant les risques collatéraux éventuels du projet Transaqua, M. François Misser alignait les points de vue suivants (Cfr. http://www.risques-internationaux.com/acceslibre/articles%20acces%20libre/afriqueauavril14.htm ) :

Lors de la conférence sur les «Défis de l’eau et de l’adaptation au changement climatique en Afrique» tenue en 2012 à Bangui, les hydrologistes avaient fait état d’une «diminution du tiers du débit de l’Oubangui » (mis en italique par nous) entre 1951 et 2004 ;

– La SNEL, Société Nationale d’Électricité de la RDC, estimait que «le détournement prévu» qui correspondrait à un peu du dixième du débit du fleuve Congo au niveau du site d’Inga, «aura un impact négatif sur son potentiel» (mis en italique par nous). Déjà en amont, au Katanga, des baisses de niveau importantes du niveau des barrages avaient contraint la SNEL à importer de l’électricité de Zambie pour satisfaire les besoins de l’industrie minière ;

– En 2011, l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) français remarquait que les populations riveraines du lac (Tchad) s’étaient adaptées aux fluctuations de son niveau. Les anciens pêcheurs se sont transformés en cultivateurs de maïs, de riz ou de «niebe» (pois noirs). «Dans pareil contexte, ré-inonder leurs cultures serait un désastre pour eux» (mis en italique par nous) ;

-. En août 2013, le Commissaire européen au Développement, Andris Piebalgs, «avait rejeté catégoriquement le projet Transaqua, brandissant des études selon lesquelles sa réalisation entrainerait des risques majeurs pour l’environnement » (mis en italique par nous) ;

– Quinze jours avant la conférence de Bologne (du 4 au 5 avril 2014), le Ministre des Transports du Congo-Brazzaville, Rodolphe Adada, exprimait sa préoccupation concernant «la réduction de la navigabilité sur l’Oubangui qui est passée de 11 à 8 mois par an» (mis en italique par nous). [Signalons que le projet Oubangui (Fig. 2) et le projet Transaqua (Fig. 3) visent le même objectif : transférer l’eau du bassin du Congo (par la rivière Oubangui pour le premier et par les affluents de l’Est et du nord-est du fleuve Congo pour le deuxième). Cette conférence de Bologne était présidée par un autre membre influent du lobby Transaqua, M. Romano Prodi, ancien Président de la Commission européenne, ancien Président du Conseil italien et ancien Envoyé Spécial de l’ONU pour le Sahel et grand défenseur du projet Transaqua comme l’un des moyens de prévenir l’émigration vers l’Europe de millions d’Africains];

Fig2Fig3– Sur le plan géopolitique, aucun transfert d’eau au Lac Tchad ne pourra se faire sans le consensus de tous les pays membres de la CICOS (Commission Internationale du Bassin Congo-Oubangui-Sangha), c.-à-d. les deux Congo, la Centrafrique et le Cameroun. Mais, il faut aussi compter avec l’Afrique du Sud, qui s’est déjà déclarée acheteur de plus de la moitié de l’électricité qui sera produite par Inga 3. Ce pays ne sera pas enchanté par le projet de transfert d’eau au Lac Tchad qui risque de porter atteinte à sa capacité d’approvisionnement en électricité, donc atteinte à son économie.

Enfin, notre point de vue est aussi celui qui était déjà exprimé en 2009 dans un document d’une très grande importance produit par M. Clément Boute-Mbamba, ex- Conseiller en Communication de l’ancien Président de la RCA, le Général A. Kolingba. Nous invitons les Congolais des deux Congo, les Centrafricains et les Camerounais de lire ou relire ce document sur le lien suivant : (http://www.sangonet.com/ActuDo/trib/LTD1_CBM.pdf ). Le paragraphe suivant emprunté à cet auteur exprime les craintes d’une élite avisée, visionnaire et soucieuse des intérêts de son pays et des intérêts de la région : «un projet d’une telle envergure, capable de générer d’importants impacts écologiques, économiques, socio-culturels, ne saurait être le domaine réservé de quelques technocrates. L’Oubangui est plus qu’un lien, il est aussi notre destin. Il nécessite un débat national ou même régional. Il mérite un référendum au niveau des pays qui l’ont en partage (souligné par nous). C’est pourquoi j’interroge, au nom des populations centrafricaines, de l’Équateur (RDC) et de la Likouala (République du Congo), afin que les suggestions du moment ne condamnent pas le futur de nos territoires». M. Boute-Mbamba aligne dans son argumentaire des photos (Fig. 4 à 6 ci-dessous) qui montrent des écosystèmes qui sont déjà en difficulté suite à la diminution de la pluviosité en RCA et qui pourront tout simplement disparaître suite à la construction du canal de transfert de l’eau de l’Oubangui au Lac Tchad. Ces photos ne sont qu’un petit échantillon qui montre le genre d’atteinte à l’environnement et à sa biodiversité auquel on devrait s’attendre avec le projet Oubangui en RCA (Voir les cartes des parcs de la RDC qui seront touchés par le projet Transaqua dans notre article déjà cité ci-dessus).

Fig4

Fig5 Fig6En 2014, M. Modeste Mutinga Mutuishayi, auteur de «La République des inconscients» avait publié un petit livre sous le titre «Le fleuve Congo et ses affluents : un château d’eau convoité. La guerre de l’eau aux portes de la RDC». M. Mutinga est Sénateur, donc siégeant dans l’un des organes de décision en RDC. On se serait attendu à trouver dans son livre la position officielle des décideurs congolais. Hélas, on peut y lire : «…on ne comprend pas le silence, pour ne pas dire l’indifférence de la République Démocratique du Congo, pourtant observateur régulièrement invité….». L’auteur interpelle ensuite l’élite nationale sur ce projet sans prendre lui-même position. Nous même sommes surpris par son silence sur l’accord donné par la «hiérarchie» portant sur ce projet. En effet, Roger-Sylvestre Simy-Towa révélait dans un article intitulé « La guerre de l’eau aura-t-elle lieu ?» publié dans la revue Lesplumesdercaonline du 10 décembre 2014 (http://www.lesplumesderca.com/guerre-leau-aura-t-lieu/) ce qui suit : «…En fait, c’est le Président Ange Félix PATASSE qui, lors de son arrivée au pouvoir en 1993, a ressuscité ce projet, prioritaire pour lui, dans son rêve de créer une République du Logone.

C’est finalement en 2005, sous la pression d’Idriss DEBY ITNO (alias IDI, l’actuel Boss d’Afrique Centrale), que les Présidents François BOZIZE de la RCA et Joseph KABILA de la RDC ont donné leur accord pour la réalisation de ce projet.» Si le Président J. Kabila a déjà donné son accord, pourquoi tenir cet accord secret depuis 2005 sans en informer le souverain primaire, propriétaire des richesses du sol et du sous-sol de tout le territoire congolais ? A-t-on ignoré que dans pareil cas la Constitution de la RDC exige un referendum, conformément à l’article 214 al. 2 qui dispose que «Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans l’accord du peuple congolais consulté par voie de référendum» ?

Peut-on envisager d’exporter les eaux du fleuve Congo ?

La réponse est oui, mais, aux conditions du peuple congolais, préalablement consulté par voie référendaire, après décision prise en Conseil des ministres sur base des résultats des Experts congolais de toutes les disciplines concernées par le sujet. Nous avons découvert lors de nos recherches que ces Experts s’étaient déjà prononcés, il suffirait de revisiter les résultats de leurs études et leurs recommandations. En effet, le projet d’exportation des eaux du bassin du Congo avait déjà fait l’objet des études par la Cellule Technique Pétrolière du Département des Mines & Énergie et la Société Nationale d’Électricité (SNEL). Les Experts congolais de ces deux services étaient arrivés dans les années 90 aux recommandations que nous résumons ci-dessous :

1.- Construire sur certaines des 32 chutes situées sur le fleuve Congo entre Kinsuka et Inga des barrages hydroélectriques capables de fournir assez d’électricité pour satisfaire aux besoins en énergie de la RDC d’abord et ensuite de nombreux pays africains et du Moyen Orient ;

2.- Construire une ligne de transport du courant alternatif avec des stations de redressement, de captage et de distribution dans notre pays et dans les autres pays traversés par la ligne. Sous cette ligne, on ferait passer un pipeline dans lequel on pomperait de l’eau douce du fleuve Congo captée à une station de pompage à construire en aval de Boma, peu avant qu’elle se soit mélangée aux eaux salées de l’Océan Atlantique et avant leur déversement dans cet océan. Ce pipeline était dénommé «Pipeline de Salomon» en mémoire des célèbres «Opus signinum» ou «Citernes de Salomon» de la Bible (Lire aussi Le Phare du 11 novembre 2010) ;

3.- Construire une autoroute qui longerait le pipeline et la ligne de transport du courant alternatif et formerait le premier grand réseau routier reliant de nombreux pays d’Afrique et du Moyen-Orient ;

4.- Construire un chemin de fer à double voie pour des trains de grande vitesse qui suivrait le même tracé.

Ce scénario proposé par des Experts congolais aurait peu d’effets perturbateurs sur l’écologie, l’environnement du bassin hydrographique de la cuvette congolaise et sa biodiversité. Il fournirait un excellent instrument de mesure de la quantité d’eau fournie à chaque pays bénéficiaire et un instrument de fixation du prix par km3 d’eau pompée. Ce qui rapporterait un peu plus d’argent à l’État congolais et permettrait la création de nombreux emplois en RDC et dans les pays traversés par ces infrastructures.

Contrairement au projet de transfert d’eau par canal (comme celui proposé par le projet Transaqua et le projet Oubangui), le système de transport par pipeline minimise au maximum les pertes d’eau par évaporation. Le surplus d’eau pourrait être déversé dans des lacs ou dans de grands réservoirs aménagés à cet effet dans les pays bénéficiaires. Avec ce projet, la RDC se placerait ainsi en tête d’un projet futuriste, innovateur, adapté à ce siècle à savoir, «le transport de l’eau douce par pipeline pour subvenir aux besoins des pays qui en manquent». Comme on le constate, la RDC pourrait aider ces pays mais en privilégiant d’abord ses propres intérêts : satisfaire à tous ses besoins internes en eau sans endommager ses écosystèmes ni hypothéquer l’avenir de sa population ni celle de sa riche biodiversité ni compromettre son propre développement industriel et économique.

Nous ne le dirons jamais assez : le projet de construire un canal pour transférer l’eau du bassin du Congo au Lac Tchad tel que proposé dans les deux projets précités (Transaqua et Oubangui) est «une solution du Moyen-âge», générateur des conflits, destructeur de l’environnement, «hypothéqueur» de l’avenir des populations de nos pays respectifs. On ne construit plus des canaux aujourd’hui, on construit plutôt des autoroutes, des TGVs, des oléoducs, des tunnels sous la Manche, sous le Saint-Laurent, etc.

De la nécessité de créer un ministère des ressources en eaux en RDC

Sans minimiser les travaux de la Commission interministérielle de la problématique du transfert de l’eau du bassin du fleuve Congo vers le Lac Tchad en RDC et compte tenu des nombreuses convoitises de l’eau du territoire congolais, nous suggérons la création d’un ministère dédié exclusivement aux ressources en eaux (Fig. 7). Un tel ministère aura l’avantage de centraliser toutes les informations sur les eaux intérieures et les eaux frontalières et développer une grande expertise dans ce domaine devenu très sensible. Il pourra recenser toutes nos ressources en eaux, évaluer nos besoins présents et futurs en eau, évaluer le degré de pollution engendrée par l’exploitation minière aussi bien industrielle qu’artisanale (Cfr. Notre conférence intitulée : «Impact de l’exploitation minière artisanale du diamant sur l’environnement dans les provinces du Kasaï : Pistes de solution» ; Ottawa, juillet, 2014) et former des technocrates dans les différents domaines de l’eau capables de défendre, en connaissance de cause, les intérêts de la RDC dans les rencontres internationales, etc.

Fig7Fig.7 : Organigramme du Ministère des Ressources en Eaux à créer (Source : S. Tshibwabwa, 2014).

  Conclusion

De notre point de vue, il n’existe aucun lien entre le projet Transaqua et le groupe terroriste «Boko Haram», excepté dans l’imagination de deux auteurs dont il a été question ci-dessus. Il s’agit ici d’un malheureux amalgame, qualifié par le premier auteur lui-même de «solution désespérée» pour faire accepter le projet Transaqua et ce, malgré les nombreuses et désastreuses conséquences pour la biodiversité et la population congolaises d’aujourd’hui et de demain. L’établissement d’un tel lien apparaît comme un mépris à l’endroit du peuple congolais et devrait susciter notre grande méfiance envers le projet Transaqua. Cherche-t-on à plonger encore la RDC dans une autre guerre ?

Si la RDC souhaite vendre son eau par pipeline aux pays nécessiteux, le pompage serait recommandé en aval de la ville de Boma, peu avant que les eaux douces du fleuve se soient mélangées aux eaux salées de l’Océan atlantique. Le scénario proposé par les Experts congolais de la Cellule Technique Pétrolière du Département des Mines&Énergie et de la Société nationale d’Électricité est à privilégier et à traiter ensemble avec nos suggestions faites en mai 2014 in lephareonline.

Enfin, nous suggérons, organigramme à l’appui (Fig. 7), la création d’un ministère destiné exclusivement à l’eau, l’or bleu du XXIe siècle et ce, à l’instar du Ministère des Hydrocarbures. Ce ministère centraliserait toutes les informations sur l’eau, développerait une grande expertise et traiterait de toutes les questions portant sur cette ressource en RDC.

Sinaseli TSHIBWABWA 

Ottawa/Canada

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