Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 02-12-2016 09:00
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L’armée et la police congolaises : le rempart ultime contre la violation de la Constitution – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

L’armée et la police congolaises : le rempart ultime contre la violation de la Constitution

Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu

La répression sanglante des manifestations contre la non convocation du corps électoral par la CENI, les 19 et 20 septembre 2016 à Kinshasa, montre à quel point l’armée reste au centre des enjeux politiques en RDC, en particulier, et en Afrique, en général. Une armée se conçoit comme une structure organisée et élaborée conjointement à un système d’armes en vue d’assurer la défense de l’intégrité territoriale, des institutions de l’Etat ainsi que la protection des populations. Pourtant, cette simple évocation de la fonction régalienne de l’armée est à elle seule sujette à caution en Afrique.

La présente analyse vise à inviter les hommes en armes à avoir une autre conception de leur fonction et à comprendre le rôle républicain que la Constitution leur confère dans l’exercice de leur fonction. En ce sens, ils sont appelés à être les derniers remparts contre la violation de la Constitution.

L’armée africaine, faute d’existence de menace réelle externe, s’est dévoyée de sa fonction républicaine

L’Etat apparaît souvent quand se constitue une structure militaire, en dehors des réseaux traditionnels de la société globale[1]. Lors de leur accession à l’indépendance, faute de réelles menaces extérieures du fait notamment du respect du principe de souveraineté des Etats coulé dans la charte de l’ONU en 1963, la fonction régalienne de l’armée s’est trouvée amputée de sa mission de base. L’armée est alors allée à la quête d’une nouvelle fonction politique tournée vers l’intérieur pour légitimer son existence[2]. A l’indépendance, il n’y a pas eu, à quelques exceptions près, comme tel de contestations des territoires fixés à la Conférence de Berlin en 1885. L’article 4 de la charte de l’OUA, actuellement UA, parle de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Ce qui réduit également les risques des conflits armés pour cause du tracé des frontières. On peut donc avancer que l’on pouvait même se passer des armées africaines car il n’y avait pas à proprement parler un besoin de défense nationale. D’une manière générale, à quelques exceptions[3] près, le processus de décolonisation en Afrique fut le résultat d’un compromis politique[4]. La conflictualité majeure a donc été essentiellement intra-étatique ; car pour la plupart des régimes africains, la principale menace ne se situe pas aux frontières mais bien à l’intérieur du pays, au sein de la population. Mais aussi du fait de l’absence de conflits armés contre d’introuvables ennemis extérieurs, l’armée s’est donc tournée vers la politique pour y jouer un rôle de premier plan.

Les éléments de la Garde républicaine de la RDC
Les soldats de la Garde républicaine de la RDC en maintien de l’ordre avec des armes létales

La menace principale réside, pour ces hommes politiques civils et militaires africains, dans toute atteinte supposée ou réelle contre leurs prérogatives et celles consenties au cercle de la famille, de l’ethnie, des fidèles, des représentants d’intérêts divers. Toute appartenance à ce clan devient une arme d’oppression ou de chantage contre les non-membres, c’est-à-dire contre la grande majorité de la population. Dans ce contexte, la mission première de l’armée qui est de défendre la patrie est détournée, dénaturée, voire dévoyée vers des finalités politiques. Les fonctions de sécurité et de maintien de l’ordre public n’ont plus pour finalités la défense de l’État et la protection des citoyens, mais celle du régime autoritaire en place.

L’armée, tantôt instrument du pouvoir et favorisée, contribue bon gré mal gré à cette situation, tantôt suspectée et humiliée par ce même pouvoir, se voit concurrencée et même remplacée par des forces de l’ordre proches du chef de l’Etat par et des forces paramilitaires (gardes présidentielles, milices politiques, mercenaires[5].

Dans la plupart des régimes politiques africains post-indépendance, les dirigeants politiques, avides de pouvoir, installés durant des décennies au sommet de l’État, vont alors tenter d’assurer leur longévité au pouvoir et leur survie politique par l’usage de la force[6] et grâce au soutien des forces armées et de sécurité. Les forces de sécurité se transforment alors en machines de répression politique et sociale à l’encontre des militants de l’opposition (ou supposés comme tels) et de manifestants contre l’oligarchie au pouvoir.

La distorsion du rôle de l’armée fait donc qu’en Afrique, l’armée est en général au service du conservatisme de l’ordre politique. Dans ce sens, l’armée est souvent utilisée pour défendre l’ordre politique ancien en réprimant les populations au cours des révoltes populaires[7]. C’est le cas de récents massacres des manifestants à Kinshasa, commis principalement par les éléments de la Garde républicaine (GR), la garde prétorienne du Président Kabila.

L’armée républicaine comme fondement de l’Etat

La Loi organique portant organisation et fonctionnement des forces armées de la RDC du 11 août 2011 définit en son article 2 l’armée républicaine comme étant « celle qui, respectueuse des lois et des institutions de la République, est soumise à l’autorité civile ». Mais cette loi n’explique pas en détails les principes sur lesquels se fondent le caractère républicain d’une armée. Elle définit par ailleurs l’armée apolitique comme « celle dont les membres ne participent pas aux activités politiques. Elle n’affiche aucune opinion politique ou partisane et se caractérise par sa neutralité ».

Le qualificatif « armée républicaine » indique un changement d’échelle correspondant à deux innovations : d’une part, il ne peut y avoir une armée dite républicaine que s’il existe déjà une république dont elle est le porte-étendard ou le bras armé. Secundo l’armée républicaine est un service public de sécurité et de défense de la démocratie (valeurs et institutions), des droits de l’homme, des droits du citoyen, des droits des peuples, de la diversité culturelle et ethnique, des personnes et des biens de l’intégrité nationale, distinct des hommes et des femmes[8]. Et pourtant, en tant que service public, l’armée ne peut défendre les autres institutions que si et seulement si elle s’érige elle-même en (supra)-institution. Cela est confirmé par le paradigme systémique d’un (méta-) système englobant d’autres sous-systèmes. Les sociologues avancent que « les institutions sont des piliers de l’ordre en politique, des structures qui assurent l’intégration du système politique, qui facilitent ses opérations de routine, et qui garantissent une continuité face à des forces déstabilisatrices potentielles[9]. » Ainsi, en tant que pilier, l’armée est républicaine parce qu’elle est pensée, constituée et employée conformément aux lois, comme le dernier rempart de la démocratie de proximité et de la république post-nationale. A ce titre, elle est une des institutions les plus nobles de la république post-nationale, chargée de garantir la paix civile[10] et la défense territoriale.

Une armée/police dite « républicaine » est appelée à être le garant de l’ordre républicain ». En ce sens, l’armée ne peut pas pour le compte d’un homme ou d’une catégorie de la classe politique utiliser sa force au nom de l’équilibre social en devenant le bras répressif d’un pouvoir oppressif contre les populations dont elle est censée protéger et assurer la sécurité. C’est une armée dont l’action et l’engagement contribuent à l’éclosion et à la consolidation d’un véritable Etat de droit qui garantisse la sécurité et les pratiques démocratiques pour le peuple congolais.

Ainsi, le militaire ou le policier est d’abord un citoyen au service de sa patrie, la République démocratique du Congo. Ses obligations et ses droits sont d’abord ceux du citoyen et de tout serviteur de l’Etat. Citoyen, agent du service public, l’armée/la police, le soldat/policier, dans sa particularité qui explique notamment un certain cantonnement juridique, est avant tout un serviteur de l’Etat, un prestataire du service public au profit de la communauté nationale, c’est-à-dire les populations congolaises.

D’où la nécessité pour le militaire/policier congolais d’arborer haut cette double appartenance républicaine et nationale non ethnique, en forgeant un esprit de corps, aussi bien à l’intérieur de l’Institution militaire qu’à l’égard du groupe social externe, la nation, pour lequel il est mandaté de défendre une identité collective et les valeurs nationales communes et d’en assurer la sécurité. Cet esprit de corps va permettre de cimenter la cohésion animique avec l’ensemble de la population congolaise à travers nos valeurs identitaires, sociétales et culturelles collectives et au moyen de l’héritage de notre passé commun, qui constituent le socle d’une nation. Cet esprit de corps n’est possible que si, dans sa composition, l’armée/la police reflète l’équilibre entre les provinces et les ethnies. Sans cet esprit de corps indispensable à la cohésion nationale, c’est non seulement le règne d’une armée hétéroclite de milices qui s’installe, mais surtout la crainte du dépérissement de toute une nation qui risque de s’opérer.

En effet, une armée de milices ne travaille pas pour la défense de la nation mais se bat pour défendre les intérêts privés de ses chefs et des intérêts de sa communauté ethnique. D’où l’extrême nécessité de doter la RDC d’une Armée Républicaine et Nationale, conçue impérativement comme un service public devant puiser son énergie dans l’ordre social démocratique et républicain qu’elle devra garantir son apolitisme et sa neutralité[11].

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La discipline et l’obéissance militaires à l’épreuve de la consolidation de l’Etat de droit

Dans une démocratie et un Etat de droit, le principe fondamental régissant les militaires est celui de l’« obéissance » à tous les ordres manifestement légaux. Le devoir sacré et suprême de tout militaire est celui de défendre l’Ordre Constitutionnel, l’ordre républicain et de protéger les populations et leurs biens contre toute agression et toute violation de l’intégrité territoriale de son pays ainsi que contre toute transgression des valeurs fondamentales garanties par la Constitution et les lois de la République. Ainsi, par la voie logique de conséquence, l’armée se trouve dans l’obligation de barrer la route aux individus qui se maintiennent illégitimement au pouvoir par la force ou au-delà de leurs mandats constitutionnels conférés par la Loi Fondamentale de l’Etat ou qui contreviennent aux principes fondateurs d’un Etat de droit.

C’est ici que la notion d’armée républicaine revêt tout son sens et son essence, voire sa noblesse. En effet, le rôle de l’armée est de servir avant tout et uniquement les intérêts de la nation, et non des individus qui qu’ils soient. Sinon, on a affaire à une milice. L’institution militaire reçoit certes ses ordres de l’exécutif et se doit d’obéir afin de servir UNIQUELMENT les seuls intérêts de la nation qu’elle a pour mission de protéger et non de tirer sur les populations comme en janvier 2015 et en septembre 2016.

La discipline et l’obéissance militaires s’arrêtent là où commence la violation de la loi ou de la Constitution

Dans l’armée, la discipline et l’obéissance militaire, ne doivent pas être aveugles. Il y a des situations qui exigent de trancher, donc un positionnement clair du militaire/policier. Dans les armées, la discipline n’est obligatoire qu’à partir du moment où le chef a pris sa décision, chacun étant, en principe, libre de s’exprimer avant qu’elle ne devienne effective. L’obéissance est un acte concret, de terrain, qui doit prendre en compte le contexte et la situation parce que distinction est faite entre obéissance formelle et intellectuelle, la mission devant être exécutée dans son esprit avant de l’être dans sa lettre[12].

L’obéissance militaire atteint ses limites là où le savoir, la conscience, le bon sens, le discernement, l’éthique, la responsabilité et surtout le patriotisme interdisent d’obéir aux ordres.  Si par principe le soldat est tenu d’obéir aux ordres de ses supérieurs, il existe néanmoins dans le code et l’éthique militaires des exceptions sacrées : « lorsqu’il se sent blessé dans sa dignité humaine, il a le droit de refuser d’exécuter l’ordre ; lorsqu’on lui demande d’enfreindre la loi, la constitution ou de défendre un acte politique anticonstitutionnel, il a non seulement le droit de refuser mais il a l’obligation de ne pas obéir »[13].

Selon le général en retraite français Jacques Seara, intervenant en qualité d’expert militaire pour le compte de la défense dans l’affaire Jean-Pierre Bemba Gombo à la CPI, le 14 août 2002, la discipline pour tout soldat c’est : « La discipline personnelle. C’est celle qu’on s’impose à soi-même et qui correspond à une éthique dans le comportement. La recherche de l’exemplarité dans tous les domaines et le respect des autres en sont les moteurs. La discipline intellectuelle qui consiste à pouvoir donner son avis mais à ne pas contester les ordres reçus et d’accomplir la mission au péril de sa vie sauf si ces ordres sont contraires aux règlements militaires, à l’application des lois et aux conventions internationales traitant de la guerre »[14].

Lors de notre passage devant le jury de fin de formation à l’Ecole d’application de l’Ecole Royale de Gendarmerie à Bruxelles, une des questions qui nous a été posée était de commenter en droit pénal et dans le cadre du cours sur les statuts du gendarme la question suivante : « Un officier doit-il ou non obéir à un ordre manifestement illégal ? » Ce sont là deux notions existentielles et éthiques qui ont drillé notre formation d’officier du début à la fin. Une réalité sans doute pas anodine ni fortuite, mais une preuve que les questions de discipline, d’ordre et d’obéissance restent centrales dans les armées modernes[15].

Dans une excellente analyse, Bandeja Yamba, expert en droits humains, avance ce qui suit : « En principe, les juges, les fonctionnaires et les agents de sécurité sont investis d’un devoir d’obéissance et de loyauté envers l’État. Mais ils ne doivent pas obéir aveuglement aux ordres dénués de bon sens malgré le contexte non démocratique. Le subordonné ne doit pas exécuter un ordre prescrivant d’accomplir un acte manifestement illégal. Les actes commis au nom de l’État sont une responsabilité individuelle au plan international. En effet, la CPI mentionne que la personne qui exécute un ordre d’un supérieur, civil ou militaire, ou d’un gouvernement reste pénalement responsable d’un crime qu’elle commet. (..) Dans cette logique, le travail de la CPI au Congo n’est pas terminé. Quand le régime politique congolais actuel aura disparu, la théorie des baïonnettes intelligentes s’étendra notamment aux membres de l’entourage du chef de l’État, aux ministres mais aussi à la police, à l’armée, aux services de sécurité, aux magistrats et aux juges de la Cour constitutionnelle. C’est ainsi que les ONG’s demandent aux citoyens congolais de conserver des témoignages et des pièces à conviction de sorte que, au moment venu, ils constitueront des preuves de la participation de leurs oppresseurs à des crimes contre l’humanité pour rester au pouvoir. Les oppresseurs seront accusés soit, en tant que responsables hiérarchiques, soit en tant que responsables individuels de leurs crimes. »[16]

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Vers un changement de paradigme dans la conception de la fonction d’armée en Afrique : Le devoir républicain sacré de l’armée est de barrer la route aux violeurs de la Constitution

Les changements politiques qui se sont produits en Afrique subsaharienne au cours des trois décennies qui ont suivi les indépendances des années 1960 – une soixantaine de coups d’Etat, quelques accessions à l’indépendance par la lutte armée, des insurrections, des sécessions, des guerres civiles – ont consisté essentiellement en des prises de pouvoir par des militaires. Entre 1960 et la fin des années 1980, 40 % des régimes africains avaient une origine militaire[17]. L’Afrique de l’Ouest et médiane constitue l’épicentre de ce phénomène. Elle est la partie du continent africaine où l’on recense le plus grand nombre de coups d’État ou tentatives de coups d’Etat[18]. A quelques rares exceptions, le Burkina Faso, la République centrafricaine, la RDC, le Congo-Brazzaville et le Rwanda sont des pays qui recensent le plus des alternances politiques à la suite des putschs militaires ou des assassinats des présidents.

Cependant, ces dernières années, l’Afrique, particulièrement sa partie occidentale, semble entrer dans une nouvelle conjoncture politique où les militaires s’inscrivent de plus en plus dans une perspective de gouvernance sécuritaire et démocratique basée sur le respect des normes constitutionnelles et légales. Jerry Rawlings au Ghana, Amani Toumani Touré au Mali, le Général Kouyaté en Guinée, Salou Djibo au Niger, le chef d’état-major des armées du Burkina Faso, le général Pingrenoma Zagre ainsi que le lieutenant-colonel Isaac Zida du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) burkinabé, ont chacun joué un rôle majeur dans la dynamique démocratique de leurs pays respectifs. Cela devrait servir d’exemple positif et de jurisprudence aux militaires/policiers congolais en cette période cruciale de fin de mandat du président Kabila. La position prise par l’armée lors de la révolte populaire d’octobre 2014 au Burkina Faso devrait inspirer les militaires congolais et les interpeller sur leur rôle de gardiens des valeurs républicaines scellées dans la Constitution, socle de notre pacte social et citoyen.

A ce propos, les juristes congolais, réunis en colloque pour célébrer les 10 ans de la Constitution, recommandent notamment aux forces de sécurité[19]:

  • Veiller à la protection des droits des citoyens quelle que soit leur appartenance ou leur obédience politique étant donné que l’armée, la police, et les services de sécurité sont d’abord au service du peuple.
  • Refuser d’obéir à tout ordre hiérarchique qui serait inconstitutionnel et les amènerait à violer les droits des citoyens lors des opérations de maintien de l’ordre public.
  • S’abstenir de toute violation des droits et libertés fondamentales, particulièrement lors des manifestations pacifiques, conformément à la Constitution.

Par ailleurs, nous attirons l’attention des militaires et des policiers sur la jurisprudence Bemba relative au principe de « responsabilité de commandement »[20] et la théorie des « baïonnettes intelligentes »[21] qui imposent au militaire de refuser d’exécuter un ordre manifestement illégal.

Les évènements d’octobre 2014 au Burkina Faso doivent interpeller la conscience de chaque militaire et de chaque policier congolais. De la Guinée au Niger, du Mali au Burkina Faso, le temps des présidents-Généraux ou ex-Généraux-Présidents qui troquent leurs treillis militaires aux costumes présidentiels tout en restant aux commandes de l’armée et d’une garde prétorienne instrumentalisée est en train d’être révolue. Il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement en RDC. Ce qui est valable pour le Burkina Faso le sera aussi et inévitablement pour la RDC.

Pour un soldat, la désobéissance est parfois un devoir mieux un comportement éthique dans des situations très singulières de par leur nature et de par la probabilité de leur occurrence. Ainsi, lors des révoltes tunisienne et burkinabè, les refus respectifs des chefs des armées, le général Rachid Ammar, chef d’Etat-major de l’armée de terre tunisienne et le général Pingrenoma Zagre, chef d’état-major des armées du Burkina Faso, de faire intervenir l’armée pour mater l’insurrection populaire ont incontestablement été déterminants dans l’évolution de ces deux pays vers les régimes démocratiques.  L’armée tunisienne et les forces armées nationales Burkinabè ont adopté une posture « républicaine » de non-ingérence dans les affaires politiques intérieures et de défense des valeurs démocratiques.

Ceux qui se servent de l’armée à des fins politiciennes doivent retenir qu’aucun endoctrinement idéologique ne peut indéfiniment laver le cerveau des militaires pour les éloigner de leur environnement social naturel et les opposer aux valeurs républicaines nationales auxquelles ils s’identifient. Les événements de juillet 1960 au camp Léopold (Kokolo aujourd’hui) ou les actes de pillages de 1991 et 1993 où l’armée, excédée par sa clochardisation, s’est mutinée et est descendue dans la rue pour revendiquer ses droits sociaux de base, faisant même vaciller le régime du maréchal Mobutu, sont là pour nous rappeler que cette armée peut être un couteau à double tranchant pour des tyrans[22].

Conclusion

Dans une république qui se veut « démocratique », l’armée reste le dernier rempart et recours quand des dirigeants bafouent et piétinent la dignité de leur peuple, violent et tripatouillent les dispositions constitutionnelles pour se maintenir indument au pouvoir.

Lorsqu’un être humain, qui plus est un soldat ou un policier, est sciemment privé de ses droits à un travail bien rémunéré, à la santé, à la formation, à disposer d’un logement décent ainsi que de son droit à l’accès aux besoins sociaux de base (eau, électricité, nourriture…) et qu’il n’a plus aucun de ces droits du fait de la perte de toute dignité humaine ; il lui reste alors le dernier droit qu’on ne peut lui ôter : le Droit de s’opposer à toute forme d’avilissement politique en refusant d’exécuter tout ordre manifestement illégal . Ce droit, pour les hommes en armes, passe notamment par une sorte de rébellion passive, organisée, structurée, maligne et intelligente, où la force réside dans le refus d’exécuter les ordres illégaux de réprimer des civils qui manifesteront contre le coup d’état constitutionnel de Josep Kabila à l’échéance de son mandat prévu le 19 décembre 2016. Il s’agit là pour l’armée et la police de faire preuve d’une lutte pour une cause juste, républicaine et patriotique. En effet, les femmes et les hommes qui remplissent les rangs des FARDC, de la GR, de la Police nationale et de l’ANR ne sont-ils pas tous et d’abord citoyens Congolais et membres d’une même nation, la RDC, et victimes des mêmes injustices sociales que leurs concitoyens civils, dont ils sont l’émanation ?

C’est ici que DESC invite les militaires et les agents des forces de sécurité, en tant que citoyens congolais, à tout mettre en œuvre pour sceller l’alliance Armée/Police – Nation en vue de la sauvegarde de la Constitution, ce socle commun qui unit tous les Congolais du nord et du sud, comme de l’ouest et de l’est.

Au regard de deux indicateurs de démocratie généralement pervertis en Afrique que sont le mode d’accession légitime, juste et pacifique au pouvoir ; et, les légitimes mécanismes de gestion de la conservation du pouvoir, le professeur Phambu Ngoma Binda estime que, « dans la mesure où l’arène politique africaine a été et demeure dominée par le militaire, il faudrait, à la limite, faire appel au militaire pour faire respecter et sauver la démocratie[23] ».

La récente résolution du parlement européen contre les généraux Kalev Mutond (chef de l’ANR), John Numbi (Ancien chef de la police mais qui continue d’avoir le contrôle sur des unités d’élite des FARDC), Célestin Kanyama (responsable de la police à Kinshasa), Ilunga Kampete (commandant de la Garde républicaine) et Amisi Tango Four (Commandant de la 1ère Zone de défense à l’Ouest de la RDC) est un signal adressé à d’autres membres des forces de sécurité qu’ils seront comptables de leurs actes ou des répressions commises par les unités placées sous leur commandement et hiérarchie. Cela doit les interpeller de privilégier la sauvegarde de la jeune démocratie congolaise qui arrive à la croisée des chemins.

En effet, aujourd’hui partout en RDC, les Congolais de toutes catégories sociales et professionnelles intègrent avec force et conviction l’idée qu’un régime démocratique reposant sur une Constitution écrite et que la primauté de la loi doit prévaloir sur le fait des gouvernants ou du Président. Et cette Constitution, en son article 64, donne le droit aux militaires et aux policiers, en tant que premiers défenseurs du Congo et protecteurs des Congolais, d’assurer sa survie et son strict respect. La Nation congolaise toute entière vous attend chers militaires et policiers congolais. Elle vous observe et surtout elle compte sur vous dans le cadre d’un pacte national et républicain!

Article 64 : « Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution.
Toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la nation et l’État. Elle est punie conformément à la loi.”

Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC

Références

[1] Thierno Moutcar Bah, Architecture militaire traditionnelle en Afrique de l’Ouest. Du XVIIè aà la Fin du XIXè siècle, L’Harmattan, Paris, 2012, p.13.

[2] P. Boelens-Bouvier, Régimes Politiques des Pays en Voie de Développement, Syllabus 1ère et 2ème licences, Sc. Politiques, 1ère Edition, PUB, Bruxelles, 1993-1994/15, p.203.

[3] Guerres de libération au Kenya, dans les colonies portugaises de Guinée Bissau, D’Angola et du Mozambique, en Rhodésie du sud (Zimbabwe) et en Namibie.

[4] Thierno Moutcar Bah, op. cit., p.20.

[5] Dominique Bangoura, « Etat et sécurité en Afrique », Politique africaine, n°61, Besoin d’Etat, mars 1996, pp.39-53,

 http://www.gemdev.org/publications/cahiers/pdf/24/cah_24_Bangoura.pdf.

[6] Dominique Bangoura,  ibid.

[7] Mustapha Benchenane, Les régimes militaires africains, Publisud, Paris, 1984, p.150.

[8]  Mwayila Tshiyembe, Le défi de l’armée républicaine en République Démocratique du Congo, L’Harmattan, Paris – 2005 ; 129-130.

[9] K. Orren & Skowronek, cités par Fweley Diangitukwa in Gouvernance, Action Publique et démocratie Participative.  Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, Saint-Légier (Suisse), 2011, p.21.

[10] Mwayila Tshiyembe, Le défi de l’armée républicaine en République Démocratique du Congo, L’Harmattan, Paris, 2005, p.90.

[11] http://afridesk.org/fr/pourquoi-faut-il-re-creer-une-armee-a-vocation-nationale-en-rdc-jj-wondo/#sthash.Q76hX8CF.dpuf.

[12] http://afridesk.org/fr/larmee-republicaine-entre-obeissance-et-desobeissance-les-cas-tunisien-egyptien-et-burkinabe-jj-wondo/#sthash.J5azLQEU.dpuf.0

[13] http://afridesk.org/larmee-republicaine-entre-obeissance-et-desobeissance-les-cas-tunisien-egyptien-et-burkinabe-jj-wondo/#sthash.rRyXsgdU.dpuf.

[14] JJ Wondo O., Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Ed. Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, Suisse, Avril 2013, p.341.

[15] Ibid., p.341.

[16] Bandeja Yamba, La condamnation de Jean-Pierre Bemba : Messages ambigus de la Cour pénale internationale ?, 16 octobre 2016. In http://afridesk.org/fr/la-condamnation-de-jean-pierre-bemba-messages-ambigus-de-la-cpi-bandeja-yamba/.

[17] Crawford Young, The postcolonial State in Africa, The University of Wisconsin Press, 2012, p.197.

[18] P.F. Tavares, Pourquoi tous ces coups d’état en Afrique ?, Le Monde Diplomatique, Janvier 2004.

[19] http://afridesk.org/fr/les-juristes-et-scientifiques-congolais-plaident-pour-le-respect-de-la-constitution-ewumela/#sthash.ne8vqWlM.dpuf.

[20] http://afridesk.org/fr/le-proces-bemba-aux-confins-de-la-justice-et-de-la-politique/.

[21] http://afridesk.org/fr/rd-congo-kabila-population-larticle-64-et-les-baionnettes-intelligentes-b-musavuli/#sthash.s3MZ0d2y.dpuf.

[22] http://afridesk.org/larmee-republicaine-entre-obeissance-et-desobeissance-les-cas-tunisien-egyptien-et-burkinabe-jj-wondo/#sthash.rRyXsgdU.dpuf.

[23] Ngoma Binda, Démocratie, Femme et Société civile en Afrique, L’Harmattan, Paris, 2012, p.24.

1

One Comment “L’armée et la police congolaises : le rempart ultime contre la violation de la Constitution – JJ Wondo”

  • GHOST

    says:

    DEUX IMAGES PARADOXALES ?

    En lisant la réflexion de mr JJ Wondo, nous avons devant nous deux images « paradoxales »*
    La première image est celle des militaires et policiers gambiens dans les mêmes files que les électeurs « civils » entrain de voter* Image forte certainement !
    ¤
    ¤La Gambie démontre une chose importante: les militaires et policiers sont des « citoyens » qui possedent les mêmes droits que leurs compatriotes « civils »*
    Au Congo, les militaires et les policiers n´ont pas votés en toute violation de la constitution ! Comment alors faire de l´armée et de la police des institutions qui vont défendre la constitution quand ses membres sont privés de leur droit constitutionnel sans état d´âme de la part du Parlement et du Gouvernement ?

    La seconde image est encore plus paradoxale que la première. Quelle est la réaction des policiers et militaires congolais quand ils sont entrain de lire les informations sur les sanctions contre des généraux congolais de la part du Parlement de l´UE?

    Ces « sanctions » devraient certainement poser les bases d´une armée « républicaine » où ses membres prêtent serment devant la constitution chaque matin.

    ¤ LA GARDE REPUBLICAINE ?

    Encore une observation insolite… Dans l´accord de la cité de l´OUA, on ne trouve pas mention de la dissolution ou de l´avenir de la Garde Républicaine* Étrange, ce que l´accord sembler poser les bases de la fin du mandat de l´actuel président sans pour autant aborder le devenir d´une « garde pretorienne » dont le futur président n´aura pas besoin ou pire n´aura aucun contrôle.

    C´est comme si l´experience du Burkina n´a pas été consultée par ceux qui « dialoguent » au Congo..Même dans les propositions du Rassemblement, on évite soigneusement de parler de la Garde Républicaine qui doit cesser d´exister en cas d´alternance..

    Cette Garde Républicaine qui est un « État dans un État »..est pourtant l´une des menaces importantes pour l´alternance politique et pire de la stabilité de la constitution au Congo.

    Des militaires qui doivent voter, des responsables militaires qui une fois sous les sanctions internationales doivent être en toute logique être revoqués de l´armée, une « Garde Républicaine » encombrante…Le chemin vers une armée républicaine est á tracer..

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Depuis trois décennies, la RDC est le théâtre de l’un des conflits armés les plus meurtriers et les plus longs… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 23 Sep 2025 06:23:58| 1191 0
L’ombre structurante de Heritage Foundation sur la RDC : Une paix minée par des intérêts stratégiques et personnels
Résumé: Cet article examine l’accord tripartite signé le 27 juin 2025 entre les États-Unis, la République démocratique du Congo (RDC)… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK