Jusqu’où la France veut aller dans son soutien militaire au régime de Kabila ?
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Cet article fait suite à notre article intitulé : « La Françafrique newlook de Macron au chevet de Joseph Kabila ? » dans lequel nous avons détaillé une série d’informations confidentielles, démontrant comment la France tente d’apporter un subtil soutien diplomatique à Joseph Kabila qui ne manifeste aucun signe apparent de quitter le pouvoir, malgré l’expiration de son mandat présidentiel constitutionnel le 19 décembre 2016.
Dans la présente analyse, nous allons particulièrement nous intéresser aux aspects économiques et sécuritaires que recouvre cette nouvelle alliance atypique entre la France et le pouvoir congolais dirigé par un président illégitime depuis le 19 décembre 2016 et qui s’efforce par tous les moyens de se cramponner au pouvoir au mépris de la constitution congolaise.
L’objectif est d’attirer l’attention de l’opinion publique internationale et nationale, particulièrement la diaspora congolaise d’Europe, de faire pression sur la France pour qu’elle cesse de soutenir un régime antidémocratique et répressif dont le fonctionnement est aux antipodes des valeurs universelles de la démocratie et des droits de l’homme incarnées par la France.

Tout commence avec la rencontre secrète de Lubumbashi entre les émissaires de Macron et Joseph Kabila
A peine élu le 7 mai 2017, le nouveau président français, Emmanuel Macron, a dépêché le 20 juin à Lubumbashi, ses émissaires auprès de Joseph Kabila, en vue d’engager un dialogue, sur fond de crise politique en RDC. C’est Franck Paris, le conseiller Afrique de l’Élysée, et Rémi Maréchaux, le directeur Afrique du Quai d’Orsay qui composaient la délégation. Dans cette délégation, il y avait également la présence d’Alain Rémy, l’ambassadeur de France en RDC, Néhémie Mwilanya Wilondja, directeur de cabinet de Kabila, et Léonard She Okitundu, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères[1]. Cette rencontre a eu lieu après un entretien téléphonique de deux jours auparavant entre Emmanuel Macron et Joseph Kabila. Le président français avait remercié, sur un ton cordial, les autorités de Kinshasa d’être intervenues dans la libération d’un otage français à l’est de la RDC.
Selon des informations confidentielles que DESC s’est procurées, les contacts initiés par la Cellule Elysée et la présidence congolaise trouvent leur fondement dans la fin de mandat présidentiel de Joseph Kabila. Pour l’entourage du président Kabila, les opportunités économiques et sécuritaires qu’offre la RDC à la France peuvent être troquées par un soutien politique et diplomatique très appuyé de la France au sein des instances internationales. C’est évidemment autour d’un new deal économique que le rapprochement entre les deux pays s’est opéré, auquel s’est ajouté un volet sécuritaire.
Réinvestissement économique des multinationales françaises en RDC : le deal pétrolier Total et Kabila à l’est de la RDC
Les échanges sur ce point ont principalement porté sur des pistes de prospection et l’intensification des intérêts économiques des entreprises françaises en RDC, notamment dans les secteurs miniers, des hydrocarbures et des télécommunications. Le premier signe positif de ce deal d’intérêts était la reprise du signal de RFI durant une période où les médias et les réseaux sociaux subissent de plein fouet la censure et les atteintes graves aux libertés de presse du régime congolais.
Dans notre article : « La Françafrique newlook de Macron au chevet de Joseph Kabila ? », nous avons énuméré un certain nombre de projets initiés par les entreprises françaises en RDC. C’est le cas par exemple du rachat en avril 2016 par Orange France de l’opérateur Oasis qui opérait sous le label de Tigo. On parle aussi du projet de la chaîne de télévision Canal+ qui, à travers sa succursale Canal Olympia, veut installer des salles de cinéma en 2018 à Kinshasa et dans les grandes villes du pays. Dr même, le groupe Bolloré, Castel, CFAO confortent progressivement leur implantation en RDC.
Quant à la filiale française de la firme hollandaise Gemalto, qui a remplacé Zetes pour la fourniture de matériel d’enregistrement des électeurs et du fichier électoral dans le cadre d’une procédure d’offre réfractaire aux lois et les règles sur les marchés publics, il est pointé par certaines sources internes de la CENI d’être responsable des retards enregistrés dans le processus électoral. C’est l’une des raisoné pour lesquelles le gouvernement français s’abstient jusque-là de critiquer ouvertement le processus électoral. Entretemps, Gemalto vient d’être racheté par Thales Communications qui fournit déjà des matériels des communications cryptés aux sécurocrates de Kabila.
Un autre enjeu stratégique latent derrière le contrôle du fichier électoral par les français de la Gemalto consiste en la capacité des services français de contrôler la base de données biométriques de la population majeure congolaise dans une finalité multistratégique liée notamment à l’immigration clandestine en France, au terrorisme et au crime organisé. La lutte contre le terrorisme et de l’immigration clandestine sont les grandes priorités du président français, Emmanuel Macron. Il les a déclinées ce mardi 29 août 2017, lors du traditionnel discours du chef de l’État français aux ambassadeurs et représentants diplomatiques de France dans le monde[2].
L’un des plus gros poissons de ce partenariat stratégique franco-congolais concerne l’expansion des activités du Groupe Total en RDC, où le Groupe est présent depuis les années 2000 dans la distribution et depuis 2011 dans l’exploration. Il s’agit particulièrement de la prolongation de la licence d’exploration du pétrole du site pétrolier Bloc III Graben Albertine situé à la plaine du Lac Albert dans la nouvelle province de l’Ituri, censée expirer initialement en janvier 2018. Mais Total ne compte pas en rester là, il veut étendre son domaine d’exploitation au-delà de la rivière de Semuliki et du poste frontière de Burasi. Toutes ces tractations se font pendant que la RDC est redevable d’une dette de 100 millions de dollars. Et si Total exige le remboursement de cette dette, le pays ne sera plus en mesure de s’approvisionner en carburants.
Selon une source présidentielle congolaise, une forte délégation du top 5 de Total-France a séjourné en début décembre à Kinshasa où elle a eu des entretiens à très haut niveau du sommet de l’Etat. Alors que Total a investi 3,5 milliards de dollars US en Ouganda dans la construction d’un pipe-line, ses dirigeants craignent que la majorité des blocs pétroliers du Grabben congolais soient attribués à d’autres firmes qui seraient tentées de construire leurs propres pipe-lines du côté congolais. Ce qui serait un manque à gagner pour Total qui ambitionne d’avoir le monopole dans l’exploitation du pétrole du Lac Albert des deux côtés de la frontière entre la RDC et l’Ouganda.
A en croire le magazine confidentiel Africa Energy Intelligence, N°807, du 19 décembre 2017, sous le titre très révélateur, Total and Kabila play the long game on eastern frontier (Total et Kabila jouent le long jeu sur la frontière orientale), Total a organisé une série de rencontres avec Efora (anciennement Sacoïl), Dig Oil et le gouvernement congolais, ses partenaires pour le block III. Les pourparlers ont eu lieu au siège de Total dans le quartier de La Défense à la périphérie de Paris. Le ministre congolais des hydrocarbures, Aimé Ngoy Mukena, a voyagé en personne à Paris, accompagné par son conseiller technique, Tony Chermani. Selon ce magazine, Total devait forer un premier puits sur le bloc en 2017 suite à un levé sismique 2D réalisé par le groupe américain Tesla mais indique depuis des mois qu’il est incapable de terminer l’exercice à la fin de la phase d’exploration en cours, prévue pour 26 janvier 2018. Cette phase avait déjà été prolongée de deux ans en 2016 et Total a l’obligation contractuelle de la forer avant son expiration.
Le président de l’unité de la RDC, Hélène Dantoine, et vice-président adjoint de l’exploration pour l’Afrique humide et centrale, Raffaele Luce, a présenté une demande de prolongation pour compléter l’exercice.

Selon le même article : « La France est actuellement en bons termes avec l’administration de Joseph Kabila et Mukena ne devrait pas s’opposer à l’extension du permis de Total dans l’est du Congo-K. Depuis 2010, ces permis sont exploités par deux des sociétés israéliennes du diamantaire Dan Gertler, Caprikat et Foxwhelp. N’ayant pas adhéré à son programme de travail contractuel, Gertler s’est retrouvé à naviguer dans les eaux politiques troubles de Kinshasa. Ses diverses tentatives pour inciter Total et toute autre grande compagnie pétrolière à acheter les blocs I et II, sont jusqu’ici tombées dans l’oreille d’un sourd ». Selon un expert français en géopolitique de l’énergie contacté par DESC, Caprikat et Foxwhelp étant récemment sanctionnées par le Trésor américain, cette situation devrait arranger les français et conforter la position de Total. Et le magazine de conclure : « Total espère que son jeu à long terme portera ses fruits et que l’Etat congolais reprendra bientôt ces permis très prisés. L’entreprise pétrolière serait alors en mesure de traiter directement avec l’État sur un accord futur. Pour que cela se produise cependant, la situation politique actuelle du pays doit d’abord se stabiliser. Le mandat du président Kabila est expiré il y a un an, mais il n’a toujours pas démissionné », conclut le magazine.
Enjeux sécuritaires : La France impliquée dans la militarisation du régime de Kabila
C’est ici que l’investissement français est inquiétant et intrigue ses partenaires au sein de l’Union européenne. Depuis l’élection de Macron, on signale un renforcement de la coopération sécuritaire bilatérale entre les deux pays.
Aujourd’hui, sur base des informations de première main parvenues à DESC, on peut affirmer tout haut que la France est explicitement le plus grand soutien occidental du régime de Joseph Kabila sur le plan sécuritaire. Les premiers effets de la visite à Lubumbashi de Franck Paris et de Rémi Maréchaux, se font déjà sentir dans la réactivation de la Françafrique made in Macron.
C’est ainsi que l’ANR, le service de renseignements civils congolais, est considéré par les experts français de l’Elysée comme étant le pilier du régime de Kabila. Pour la renforcer, les agents de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure de la France) ont conclu un partenariat avec l’ANR . Cet accord vise la formation, en France, des agents de renseignements congolais aux techniques d’espionnage et d’opérations undercover de shadowing d’infiltrations des milieux hostiles du régime de Kabila et de filature des personnes dérangeantes du régime. Paris est devenu le poste stratégique avancé du dispositif des renseignements du régime de Kabila au sein de l’Union européenne.
D’autre part, la France et la RDC sont en passe de finaliser un nouveau partenariat de formation et d’entrainement des éléments de la LENI (Légion nationale d’intervention, ex-Police de réaction rapide : PIR) sur le modèle de la Gendarmerie nationale française et de la GIGN, son unité d’élite d’intervention spéciale.
L’autre aspect de la consolidation des relations sécuritaires entre la France et la RDC consiste à la formation et l’équipement des troupes de réserve de la Garde républicaine[3], la formation et l’équipement des unités navales des FARDC. C’est le cas par exemple du financement par la firme pétrolière franco-britannique PERENCO[4] d’un programme de modernisation de la marine militaire congolaise. Cette entreprisse qui exploite le pétrole à Moanda, a financé la réparation et la remise à niveau, par l’entreprise MW AFRITEC SPRL,[5] de 8 escorteurs de fabrication chinoise du type 062 Shanghaï 2 stationnés à Boma et à Banana. PERENCO a récemment financé l’acquisition de 2 vedettes rapides RPB-20 par la marine militaire congolaise. Ces navires sont déjà opérationnels à Banana. Les forces navales françaises ont également construit et équipé une station de surveillance maritime ultra moderne avec une variété de radars de surveillance maritime à Yema, dans la périphérie de Moanda. Ce centre de surveillance maritime est opérationnel depuis octobre 2016, nous renseigne une source experte de la force navale congolaise.
Faut-il le rappeler, déjà en mai 2014, via un intermédiaire militaire européen en poste à Kinshasa, la présidence congolaise avait conclu un contrat de 3.000.000 d’euros avec la firme SYT Technologies basée à Nîmes. Le contrat concernait l’achat d’un lot d’un système de surveillance et de détection électronique infrarouge « Tarys » (courte et moyenne portée) et « Séraphin » (longue portée), au profit des FARDC. Cette entreprise, dirigée par Mehmed Yilmaz, est particulièrement innovante dans le domaine de la vision appliquée aux secteurs de la prévention sécurité civile, de la recherche et du militaire[6].
Dans le domaine sécuritaire, en 2016, la firme française Thales Communications & Security[7] et le service de communication de la présidence congolaise dirigé par le colonel Alexis Mutombo, surnommé « Mobile One », ont conclu un partenariat pour la dotation d’un groupe très restreint de proches collaborateurs[8] sécuritaires de Joseph Kabila des téléphones de type Tetra[9] avec de nouveaux numéros cryptés pour éviter d’être écoutés par la NSA américaine.
La réouverture en septembre 2017 du signal du RFI en RDC, au moment où le régime de Kabila accentuait la pression sur l’espace médiatique, est un autre indice troublant qui montre le nouveau jeu des coulisses que joue la Françafrique en RDC. Cette ouverture a été le premier geste posé par le régime de Kabila aux exigences de la France. Depuis sa réouverture, RFI adopte désormais une ligne éditorialiste équilibriste, très prudente et assez modérée pour ne pas trop heurter le régime de Kabila.
Les Français de l’ONU et de la MONUSCO deviennent les bras armés occidentaux de Kabila en RDC
C’est un autre volet, beaucoup plus subtil, du renforcement militaire du régime congolais par la France. En effet, dans ce registre, la France compte tirer profit de son influence au sein des organisations de l’ONU pour apporter un double soutien diplomatique et militaire au régime congolais.
Pour comprendre cette subtilité, il y a lieu de rappeler que selon notre compréhension du fonctionnement de l’ONU, il ressort le constat selon lequel le Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU, communément appelé DPKO (Departement of Peacekeeping Operations), est une sorte de domaine gardé de la France au sein de cette organisation. Ce département, créé en 1992, est dirigé par des Français sans discontinuer depuis 1997. C’est encore le Français Jean-Pierre Lacroix qui a succédé à Hervé Ladsous, surnommé le « chef de l’armée du monde au poste de Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l’ONU.

D’autre part, il se fait que le commandant adjoint de la Force de la MONUSCO en RDC n’est autre que le général de division français Bernard Commins. Ce dernier s’est fait distinguer au Sud-Kivu le 28 septembre 2017 lorsqu’il a commandé directement, sans respecter les consignes internes ad hoc d’engagement des troupes de la MONUSCO dans la bataille, les opérations terrestres et aériennes contre les maï-maï de Yakutumba, qui avaient attaqué les positions des FARDC par voie lacustre à bord d’embarcations. Les maï-maï Yakutumba, qui revendiquaient le départ de Kabila et visaient exclusivement les positions militaires et non les populations civiles, étaient en passe de prendre le contrôle de la ville d’Uvira aux FARDC. Les forces de la MONUSCO, commandées directement par le général français Commins, ont repoussé les éléments de Yakutumba. Les troupes de l’ONU avaient utilisé lors de ces affrontements les armes lourdes qui ont détruit ces embarcations. Alors que la MONUSCO a pour mission de protéger les populations civiles congolaises qui n’étaient pas directement la cible de l’attaque de Yakutumba.
Voici d’autres témoignages recueillis auprès de Marcellin Cikwanine, un des responsables de la résistance maï-maï au Sud-Kivu, durant les attaques des positions des FARDC au Sud-Kivu en septembre 2017 :
4 septembre 2017 : « Depuis ce matin, d’impressionnants renforts se convergent vers Sud-Sud (Uvira-Fizi). 7 chars de combat, trois hélicoptères de combat et un avion de chasse ont commencé les manœuvres ainsi que 4 régiments de plus. Ces forces sont appuyées par les batteries d’artillerie, les hélicoptères et les drones de la Monusco. Ce dispositif aérien consiste surtout à attaquer nos positions dans la presqu’île d’Ubwari qui est, en grande partie, tombée sous notre contrôle. Nos hommes sont aujourd’hui positionnés à Kazamia, prêts à lancer un assaut sur la ville de Baraka, troisième ville du Sud-Kivu, où avant hier nos éléments ont fait une incursion dans la nuit et y sont restés en veilleuse après un court échange de tirs. Uvira, l’objectif secondaire de cette campagne, est aussi cerné depuis quelques jours. Nos forces y ont fait incursion hier pour récupérer des matériels. Sentant l’étau se resserrer sur les FARDC, la Monusco déploie les moyens conséquents pour appuyer le dictateur Kabila ».
29 septembre 2017 : « BUNYAKIRI, en territoire de Kalehe, Province du Sud-Kivu, est tombé entre les mains de nos résistants après plusieurs heures de combat qui ont débuté ce matin vers 5 heures. À présent les forces de la résistance se dirigent vers l’aéroport de Kavumu et Bukavu. Plus rien ne pourra désamorcer la détermination des résistants à mettre fin à ce régime corrompu. Les FARDC et la MONUSCO, sa force supplétive, ne sauront pas par où commencer ! »
Cette action cavalière unilatérale de la France est une première et a suscité des réactions très négatives à New-York. Cet agissement inapproprié de la France s’écarte des dispositions de la Résolution 2348 du conseil de sécurité qui veut que le gouvernement congolais soit le premier responsable de la sécurité et de la protections des congolais, a créé un malaise profond des partenaires de la France (dont l’Angola, la Belgique et les Etats-Unis). Cette action en solo ne fait que ternir l’image de la MONUSCO, déjà impopulaire auprès des Congolais, qui devient une sorte d’hydre de Lerne[10], de plus en plus incontrôlable depuis New-York, du fait des intérêts divergents des pays fournisseurs de troupes dans l’envoi de leurs soldats en RDC.
D’après des sources militaires de la MONUSCO, il semble en outre que le général Commins est en train de négocier et de convaincre la France pour qu’elle envoie un bataillon homogène des unités spéciales françaises au sein de la MONUSCO. Cette unité évoluerait en toute autonomie des autres unités de la MONUSCO, en agissant notamment contre toute tentative de renversement du régime de Kabila.
Par ailleurs, depuis la suspension de la coopération militaire entre la RDC et la Belgique[11] et le retrait des instructeurs angolais de la RDC[12], la France et la RDC sont en train d’élargir leur accord de coopération pour suppléer ce départ. L’objectif est de renforcer la présence militaire de la France en RDC en reprenant l’encadrement de la 31ème brigade de la force de réaction rapide à Maniema et l’instruction des militaires congolais à Kindu (autrefois formées par la Belgique) et Kitona ainsi que l’instruction des policiers de la LENI à Kasangulu dans le Kongo-Central (autrefois formés par les Angolais).

Enfin, selon une source experte militaire à Entebbe, les récentes opérations militaires de l’UPDF, l’armée ougandaise, à l’est de la RDC, sont motivées entre autres par les enjeux géoéconomiques franco-ougando congolais mentionnés dans cet article. Question pour l’Ouganda de sécuriser cette zone d’importance économique stratégique première pour lui. Pour rappel, le 17 juin 2016, l’ambassadrice de France en Ouganda, Sophie Makame et le président ougandais Museveni ont assisté à un exercice de formation militaire des troupes ougandaises dans la région de Rwenzori, frontalière à la RDC où Total exploite le pétrole. Cet exercice a été mené par un détachement français venant de Djibouti où les troupes françaises sont stationnées en permanence. Le général-major de l’armée de l’air, Philippe Montocchio, commandant des forces militaires françaises à Djibouti est venu spécialement pour assister à la formation. Le président ougandais a inauguré ce centre de guerre d’alpinisme qui vise à permettre aux unités de l’UPDF de développer les compétences nécessaires pour combattre et survivre dans un environnement montagneux caractérisé par des conditions climatiques hostiles et un paysage dangereux. Sophie Makame a assuré que la France continuerait à soutenir la mise en œuvre de ce programme d’entraînement aux tactiques de guerre d’alpinisme[13]. Cette formation fait partie de l’extension du partenariat militaire entre les deux pays, initié depuis 2007, qui inclut également le renforcement des capacités de l’UPDF ainsi que la lutte contre le terrorisme[14].
Cette zone est convoitée en même temps par le Rwanda qui tend à étendre son influence vers le Grand Nord du Nord-Kivu où les empreintes de sa main noire restent visibles dans la série de massacres qui secoue la région de Beni-Lubero depuis octobre 2014. Une aubaine pour la France et l’Ouganda qui veulent laver les affronts subis respectivement dans la région en 1994 lors de l’opération Turquoise et en 2000 après la guerre des six jours à Kisangani. La tension est assez vive entre le Rwanda et l’Ouganda, selon plusieurs sources à Kigali et à Kampala. Et l’affaire de l’arrestation de l’opposant congolais Antipas Mbusa Nyamwisi, par un officier ougandais apparenté aux tutsis de l’oligarchie rwandaise autour de Kagame est un indice qui montre que la RDC pourrait à nouveau être le théâtre d’une confrontation indirecte entre le Rwanda et l’Ouganda. En tout cas, le Rwanda s’y prépare sérieusement selon une source militaire qui était en contact avec James Kabarebe en début décembre 2017.
A l’instar de la fin du régime de Mobutu, Kabila recourt à l’expertise française en matière de mercenariat
C’est le dernier volet du soutien français au régime de Kabila qui recourt à la filière de l’ancien mercenaire Christian Tavernier, le Bob Denard belge décédé depuis, qui avait tenté d’aider en vain le régime Mobutu par le recrutement de mercenaires originaires des Balkans lors de la guerre d’agression du Zaïre en 1996[15]. Selon les informations parvenues à DESC, ces mercenaires recrutés, en majorité serbes, seraient plutôt chargés d’assurer l’évacuation des proches membres de la famille biologique de Kabila au cas où la situation tournerait en sa défaveur. Malgré sa nationalité belge, Christian Tavernier opère surtout pour le compte français grâce aux relations qu’il entretient de longue date avec Jacques Foccart et ses héritiers de la Cellule Elysée pour les affaires africaines. Une partie de ces mercenaires serait logé actuellement à Kalemie et agirait en toute autonomie de la hiérarchie militaire congolaise.
Ce recours semble justifié par des informations transmises par les renseignements militaires congolais, Ex-Démiap, selon lesquelles plusieurs éléments de la GR pourraient s’en prendre directement au président Kabila et à ses collaborateurs dans le cadre d’une mutinerie car insatisfaits de leur situation. La Démiap a évalué ce risque de mutinerie à environ60 % de probabilité de sa survenance si le climat politique se détériore autour et après le 31 décembre 2017. D’autant que la majorité des militaires congolais sont désarmés et que les événements du Zimbabwe feraient des émules au sein de certains cercles militaires en RDC.
Dans un autre registre de soft power plus stratégique, il y a lieu de rappeler que la France vient d’ouvrir le 20 octobre 2017 un nouvel Institut Français pour la région des Grands Lacs, à Goma, au Nord-Kivu, dénommé Halle des Volcans. La localisation de ce centre culturel à Goma, ville stratégique pour le trafic des ressources naturelles de l’Est du Congo, ne serait pas innocente aux ambitions géostratégiques régionales du nouveau réinvestissement de cette région par la France, chassée par les Anglo-Saxons. Dans le domaine diplomatique, ce sont souvent les services étiquetés « culturels » qui servent d’antennes de renseignements de leur pays d’origine. Lorsque l’on sait la convoitise que suscitent les matières premières du Congo, il y a lieu de se poser de réelles questions sur les motivations sous-jacentes de ce nouvel activisme français en RDC.
Conclusion
Dans cet article, nous avons énuméré plusieurs éléments factuels étayant le rapprochement diplomatique atypique entre la France et le régime de Joseph Kabila. Ce dernier, illégitime depuis le 19 décembre 2016, tente de survivre en exploitant le dysfonctionnement de la communauté internationale, incapable d’adopter des mesures coercitives fermes contre ses entraves aux droits humains et son obsession à se maintenir au pouvoir par le recours disproportionné à la force.
L’article met particulièrement en évidence la posture éhontée de la France vis-à-vis du peuple congolais qui aspire à une alternance démocratique sans Joseph Kabila. Mue par les intérêts économiques, certes à court terme, la nouvelle cellule africaine du président Macron est décidée de donner, à contre-courant, comme sous Mobutu et sous Blaise Compaoré, un nouveau souffle de vie à un régime oppressif et autocratique dépourvu de toute légitimité et légalité. Ce, aux mépris des valeurs traditionnelles de démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit véhiculé par la France à travers le monde.
Autant Hollande ambitionnait d’enterrer la Françafrique, qu’il a vite déchanté avec la realpolitik africaine au Mali, le poussant à dealer avec le dictateur sanguinaire Deby et autres. De même, Macron, qui dit ne nourrir aucun complexe dans ses rapports avec l’Afrique, se lance sans état d’esprit à remodeler la Françafrique en fonction des réalités géostratégiques du moment en soutenant l’une des pires dictatures atroces africaines du moment. Honte à la France !
Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC
Références
[1] http://africtelegraph.com/dialogue-secret-entre-france-rdc/.
[2] http://afrikinfos.net/2017/08/29/alerte-les-priorites-de-macron-pour-lafrique/.
[3] JJ Wondo, Françafrique newlook de Macron au chevet de Joseph Kabila ?- DESC – 6 septembre 2017 – http://afridesk.org/fr/diplomatie_francafrique_newlook_de_macron_au_chevet_de_j_kabila_doc_special/.
[4] http://multinationales.org/Perenco-en-RDC-quand-le-petrole.
[5] http://www.mwafritec.com/products.
[6] JJ Wondo, Françafrique newlook de Macron au chevet de Joseph Kabila ?- DESC – 6 septembre 2017 – http://afridesk.org/fr/diplomatie_francafrique_newlook_de_macron_au_chevet_de_j_kabila_doc_special/.
[7] Groupe : Thales Communications, spécialisée dans les produits et systèmes d’information et de communication sécurisés pour les forces armées et de sécurité.
[8] Les généraux Didier Etumba (Chef d’état-major général des FARDC), Damas Kabulo (Secrétaire général au ministère de la Défense), François Olenga (Chef de la maison militaire du Président) , Jean-Claude Yav (Adjoint du Général Olenga au sein de la maison militaire et chef fonctionnel des renseignements militaires), Célestin Mbala Musense (Sous-chef d’EMG chargé de l’Administration), Dieudonné Banze (Chef d’état-major de l’armée de terre), Ilunga Kampete (Commandant de la Garde Républicaine), Delphin Kayimbi (Chef d’EM des renseignements militaires), Gabriel Amisi Tango Four (commandant de la 1ère Zone de défense), Charles Bisengimana (Ancien chef de la police), Dieudonné Amuli Bahingwa (nouveau Commissaire général de la Police), les colonels Alexis Mutombo, John Kabila (Officier d’ordonnance de Kabila), Pierre Bahati (Directeur de la sécurité présidentielle), Mpanga Mukutu (Commandant du Régiment Sécurité et Honneur de la GR, l’unité chargée de la protection rapprochée de Kabila), Charles Deschrijver (Responsable du charroi et de la logistique militaire de la présidence), Hassan (Dttr : chargé des transmissions de la GR), le lieutenant-colonel Dieudonné Kisula (directeur adjoint de la sécurité présidentielle) ; Didier Kazadi Nyembwe (Conseiller de Kabila) et Georges Monga dit Estimé (Directeur ANR/Intérieur) sont parmi les proches collaborateurs sécuritaires de Kabila qui possèdent ces téléphones Tétra cryptés.
[9] La norme Radio Tetra (Terrestrial Trunked Radio), est une norme de l’ETSI (European Telecommunications Standards Institute). Les réseaux privés radio TETRA se différencient des systèmes publics de téléphonie mobile, tels que le GSM ou l’UMTS, par la rapidité d’établissement des communications, les appels prioritaires et de groupe. De plus, l’utilisation du mode optionnel DMO (Direct Mode Opération) permet à deux terminaux de communiquer à la façon d’un talkie-walkie donc de poste à poste, sans passer par une station de base ou par une infrastructure relais. In http://www.sysoco.fr/nos-offres/technologies/tetra/.
[10] L’Hydre de Lerne (en grec ancien Λερναία Ὕδρα / Lernaía Húdra) est une créature de la mythologie grecque, décrite comme un monstre possédant plusieurs têtes qui se régénèrent doublement lorsqu’elles sont tranchées, et l’haleine soufflée par les multiples gueules exhale un dangereux poison, même pendant le sommeil du monstre. In https://fr.wikipedia.org/wiki/Hydre_de_Lerne.
[11] http://afridesk.org/fr/la-decision-insensee-du-regime-de-kabila-de-suspendre-le-partenariat-militaire-avec-la-belgique-jj-wondo/.
[12] La présence militaire angolaise en RDC se limitait à un dispositif de 150 officiers et sous-officiers instructeurs angolais à Kitona auxquels s’ajoutent 70 officiers et sous-officiers instructeurs de la police angolaise à Kasangulu et les officiers de liaisons à l’EMG des FARDC. Il s’agit d’un total de 300 hommes au maximum http://afridesk.org/fr/pourquoi-cette-subite-agitation-securitaire-de-langola-a-la-frontiere-congolaise-jj-wondo/.
[13] https://ug.ambafrance.org/Military-partnership-in-the-Rwenzori-1860.
[14] http://chimpreports.com/france-to-deepen-its-military-training-collaboration-with-uganda/.
[15] Christian Tavernier était le chef des mercenaires dans l’est du Zaïre, engagés par le président Mobutu pour reconquérir l’Est du pays tombé en octobre 1996 aux mains de rebelles de l’AFDL. Le colonel Tavernier avait installé entre Kisangani et Watsa, dans l’ex-Province Orientale, le gros de ses recrues, quelque 280 Serbes, Croates, Russes, Polonais, Belges, Italiens et Français. Tavernier est un ancien du Katanga, du temps de la tentative sécessionniste de Moïse Tshombé et de la «force belge» payée par l’Union minière.
3 Comments on “Jusqu’où Macron veut aller dans son soutien militaire au régime de Kabila ? – JJ Wondo”
Nathalie Zemgbo
says:Très enrichissant.
ILUNGA MPOY Jean Louis
says:Superbe site d’informations.
kongoman
says:la france en force avec la nomination de l algerienne cheffe de la mission onusienne en rdc riche en petrole
GHOST
says:@Kongoman
Vous devriez sans doute verifier l´état des relations entre la France et l´Algerie… L´Algerie ne fait pas partie de la « France-Afrique » á cause d´une guerre d´indépendance qui a laissée des souvenirs politiques… Militairement parlant, l´Algerie s´équipe en Russie avant tout et les rares pays de l´UE sont l´Italie et la Grande Bretagne. L´Algerie n´est pas sous influence de la France, ni économiquement, ni militairement et pire pas du tout diplomatiquement.
L´algerienne risque de nous surprendre.