Jean-Jacques Wondo Omanyundu
GÉOPOLITIQUE | 09-10-2017 12:20
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DESC Diplomatique : La Françafrique newlook de Macron au chevet de Joseph Kabila ? – Dossier spécial de JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

La Françafrique newlook de Macron au chevet de Joseph Kabila ?

Dossier spécial élaboré par Jean-Jacques Wondo Omanyundu

6 septembre 2017

Joseph Kabila a inauguré le 28 juillet à Kinshasa le Collège de hautes études de stratégie et de défense (CHESD), situé dans l’enceinte de l’ancienne base des réserves opérationnelles de l’ancienne Force publique, l’armée coloniale belge, sur l’avenue de Haut commandement. Cette inauguration vantée par plus d’un comme signe irréfutable de l’implication du président congolais à la réforme de l’armée recèle cependant des éléments interpelant qui nécessitent d’être mis en lumière. Cette école et plusieurs actions entreprises directement ou indirectement par la France en RDC ces derniers temps, illustrent sa nouvelle offensive géostratégique en Afrique. La France, une ancienne puissance tutélaire d’une grande partie de l’Afrique subsaharienne occidentale, voit son influence géopolitique progressivement s’évaporer dans son ancien domaine de chasse gardée, depuis l’avènement du nouvel ordre mondial américain (anglo-saxon) consécutif à la fin de la guerre froide. Ainsi, pour réinvestir le terrain perdu, la France n’hésite pas à montrer des signaux ambigus de soutien au président illégitime congolais, Joseph Kabila, dont le mandat a expiré depuis le 19 décembre 2016. C’est ce que nous allons tenter de décrypter au travers de cette analyse avec quelques illustrations factuelles et des informations confidentielles compilées par DESC.

Photo Themiis Institute‏ @_THEMIIS_ 28 juil. Themiis en #RDC : remise de diplômes aux officiers de la 2e session du CHESD, promotion Joseph Kabila Kabange. #Kinshasa

1. Le nouveau Collège des hautes études de stratégie et de défense, le retour stratégique de la France en RDC

1.1 Un projet de 2016 lorsque la pression de la communauté internationale commençait à s’accentuer sur Kabila.

Le CHESD est une initiative née d’une collaboration entre la firme de sécurité privée française, Themiis, et l’état-major général des FARDC. Installée à Paris depuis fin 2015, l’Ecole de sécurité privée Themiis (« The management institute for international security ») a signé un contrat avec la RDC avec pour objectif d’assurer la formation, à partir du 29 février 2016, de 150 généraux de l’armée congolaise, les FARDC dont le niveau moyen était jugé médiocre et loin en deçà des standards internationaux. Themiis est co-fondé [skpoy_banda_zipa]par Gilles Rouby, ancien général de corps d’armée français, en charge pendant une vingtaine d’années des dossiers de l’OTAN et de l’Union européenne au ministère français de la Défense, et Camille Roux, consultante en management du risque1 [skpoy_suka_zipa].

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Le général Etumba, chef d’état-major général des FARDC, précise la mission du CHESD en ces termes : « Ecole de guerre et de stratégie, le CHESD est, au terme de l’arrêté ministériel du 15 avril 2016 le créant, le plus haut établissement de formation des officiers généraux et colonels des FARDC. Son programme, largement inspiré du modèle des écoles de guerre de France, de Belgique, des Etats-Unis, de Chine, du Cameroun, et du Centre des Hautes Etudes Militaires français (CHEM), procure au CHESD ses plus belles lettres de noblesse et de notoriété internationale ». Il a également rappelé que les autorités congolaises ont « opté pour le coaching académique du CHESD par l’institut français Themiis, de réputation internationale« . Effectivement, le trio Camille Roux, Gilles Rouby et Peer de Jong pilote la formation académique mais les trois français rappellent que « l’initiative est congolaise sur fonds congolais », qu’elle est « accompagnée par Themiis en synchronisation avec la coopération française et en partenariat avec les acteurs internationaux qui agissent localement: Monusco (dont le commandant était présent à la cérémonie), UNICEF, UE, CICR etc »2.

« Depuis sa création et à la suite de nombreux conflits armés qui sévissent en Afrique, cet institut y a trouvé un terreau fertile pour fructifier son « business », en outsourcing ou sous-traitance des activités de l’armée française. C’est ce qu’a d’ailleurs affirmé Camille Roux, la cofondatrice de ce Themiis : « Nous avons un partenariat avec la DCSD du Ministère des Affaires étrangères, car nos cursus permettent à la France de rester active dans une zone stratégique. Lorsque l’on met sur pied des programmes de formation, on diffuse aussi des méthodologies, une certaine vision du monde, et bien sûr, cela favorise la francophonie. Tout cela à coût zéro pour l’Etat français. Sur tous les sujets de sécurité internationale, la France est unanimement reconnue. Notre connaissance du milieu, et, disons le crument, le fait que nous sommes les seuls européens a encore « faire la guerre », nous donne une crédibilité sur le long terme. En RDC, lorsque le Chef d’Etat-major Général des Armées Didier Etumba, visionnaire dans son approche, a approché THEMIIS pour monter un programme de formation pour ses officiers, il voulait clairement que ce soit des Français qui le fassent. Nous ressentons d’ailleurs dans tous les pays que nous prospectons en ce moment une forte demande de France. »3

Notons que THEMIIS sous-traite ses activités de formation via un partenariat avec une société basée à Bruxelles, Antigone Associates. Depuis un certain temps, de nombreux officiers militaires belges en retraite créent des entreprises de sécurité privée qui agissent particulièrement en Afrique, principalement dans les zones en conflit où la France est très active comme au Mali, au Burkina Faso ou en Centrafrique… Par ailleurs, selon le général Didier Etumba, la formation académique y est assurée par vingt généraux et cinq colonels français et d’autres experts du monde stratégique, pour une formation de 8 à 10 mois. Ce centre, rappelle le chef des armées de la RDC, n’a pas oublié le monde civil et de recherche. « Le CHESD organise des sessions spéciales ne dépassant pas 60 jours pour les hauts responsables civils ainsi que certains universitaires et chercheurs intéressés par le domaine de la défense et de la sécurité. Se fondant sur la vocation régionale et africaine de la République Démocratique du Congo, le CHESDE se donne une modeste ambition de servir de centre d’excellence, ouvert également aux auditeurs, généraux et colonels des pays amis, en commençant par ceux de la Communauté Economique des Etats d’Afrique centrale(CEEAC)», a déclaré le général Didier Etumba4.

Themiis Institute‏ @_THEMIIS_ 28 juil.
Grand jour pour Themiis : inauguration des nouveaux bâtiments du CHESD (Collège de Hautes Études de Stratégie et de Défense). #RDC #Kinshasa
Jean Baillaud et Vincent Goyet ن

 Antigone Associates : le sous-traitant de Themiis

Sur le site de Antigone Associates (http://antigone-associates.com/fr/) , on peut lire 

  • Nous proposons des solutions et stratégies de développement d’affaires sur les programmes de financements européens liés aux activités-clés de nos clients en Afrique et au Moyen-Orient.
  • Antigone Associates est un cabinet de conseil en affaires publiques européennes, indépendant, et basé à Bruxelles siège des institutions européennes.
  • Antigone accompagne les acteurs tant publics (Etats & Institutions, collectivités locales, ONG) que privés, dans leurs relations d’affaires avec l’Union européenne.

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1.2 Kinshasa investit des sommes faramineuses dans la formation complémentaire des officiers généraux et supérieurs alors que l’AcaMil de Kananga est laissée à l’abandon

C’est le paradoxe de la politique de défense des FARDC, opérée sans aucune vision réaliste. Parmi les contraintes qui rendent les FARDC inopérantes sur le terrain est l’absence de politique générale de formation et d’encadrement de l’armée5. Plutôt que de privilégier la formation bottom-up des militaires en investissant sur la base, les autorités congolaises, pour des raisons qui ne relèvent nullement du renforcement des capacités opérationnelles militaires humaines, optent pour la formation non opérationnelle destinée à une élite militaire dont une grande majorité ne dispose pas de prérequis pour devenir un officier de base et encore moins un background scolaire ou académique suffisant. Or, cela est important pour pouvoir suivre et comprendre le cursus enseigné au niveau des hautes études de stratégie et défense qui correspond dans le monde académique à un niveau d’études doctorales. Selon un rapport d’experts de l’EUSEC : « il est un fait que de nombreux officiers et gradés des FARDC ne disposent pas du niveau requis pour exercer les fonctions liées au grade duquel ils sont revêtus. Dans certains cas, les bases mêmes du métier militaire sont absentes »6. C’est à ces généraux semi-lettrés que l’on va dispenser des cours d’études stratégiques de niveau postuniversitaire.

En effet, l’une des difficultés auxquelles se heurtent de nombreuses forces armées africaines tient au fait que les connaissances scolaires et la formation au combat n’ont pas été considérées comme nécessaires pour l’avancement ou les promotions. L’éducation et la formation sont d’une importance cruciale pour la professionnalisation des militaires. C’est le cas par exemple de l’armée sud-africaine, la SANDF, qui a institutionnalisé un programme de formation de base pour tous ses soldats et une formation à trois niveaux pour ses officiers. La formation dispensée aux lieutenants comprend des composantes de socialisation (acquisition de l’esprit militaire), de formation au combat armé et d’éducation militaire (compréhension du rôle approprié des forces armées dans une société démocratique moderne). Pour parvenir au grade de colonel, les officiers doivent ensuite suivre un cursus de management des forces armées. Enfin, pour atteindre le niveau d’officier général, ils suivent un programme de cours axé sur l’environnement politico-militaire dans le cadre duquel ils se trouveront à ce niveau7. Le rôle de l’institution militaire dans le domaine de l’éducation peut également améliorer sa réputation e auprès du grand public. En offrant à tous leurs membres un accès égal à l’éducation, les forces armées peuvent présenter un exemple d’équité dans l’allocation des ressources publiques tout en donnant aux communautés un sentiment d’appropriation. Un secteur de la sécurité plus éduqué réussira mieux, selon toute vraisemblance, à faire preuve de retenue, de jugement et d’adaptabilité, qui sont d’une importance essentielle face aux menaces à base sociétale qui caractérisent de nombreux problèmes de sécurité en Afrique8. C’est donc au niveau de la base que la RDC devrait prioritairement investir des moyens pour constituer un corps militaire performant

Malheureusement, en RDC, depuis le départ de la mission d’assistance de l’UE à la réforme des FARDC, l’Académie Militaire de Kananga réhabilitée, censée assurer la formation de base du gros de l’élite militaire congolaise, est laissée à l’abandon, faute de volonté politique. La formation y est dispensée au rabais et en deçà des standards internationaux, voire africains. C’est un motif de honte pour un pays appelé à jouer un rôle géopolitique et stratégique de premier plan en Afrique subsaharienne. Nous l’avons dénoncé à plusieurs reprises car c’est à ce niveau que l’investissement doit se faire. Or le CHESD privilégie la formation des officiers mal et peu formés à la base qui ne disposent pas de prérequis et des compétences nécessaires pour être en mesure d’assimiler correctement les différents cours de cette formation stratégique.

Par ailleurs, la fin de la mission EUSEC, dans sa version originale, principale contributrice financière et en ressources humaines de l’Académie militaire de Kananga, a également eu pour effet, le nivellement vers le bas de la formation des officiers congolais depuis deux ans. Nous avons fait part de nos inquiétudes quant à la survie des dispositifs mis en place par l’EUSEC au Congo après la clôture de cette mission. L’absence d’engagement politique des autorités congolaises dans la réforme de l’armée et l’absence d’une politique d’appropriation de l’assistance technique étrangère risquent de mettre en ruine quelques réalisations positives entreprises par l’EUSEC RDC9.

C’est effectivement le sentiment manifesté par plusieurs officiers militaires qui nous ont fait état de la détérioration progressive des conditions de travail dans l’Académie militaire de Kananga qui forme actuellement environ 500 élèves-officiers et sous-officiers. Ils craignaient que la réduction du dispositif d’appui technique de l’EUSEC à Kananga entraine l’abandon total de cette institution militaire congolaise. On y signalait une pénurie d’eau potable et le délestage quasi-total en fourniture d’électricité. Les élèves officiers ne savaient plus étudier la nuit durant laquelle l’obscurité est totale et quasi continue, alors qu’avant le départ du gros du personnel européen du dispositif de l’EUSEC, les fournitures en eau et en électricité étaient régulières. Un officier élève m’avait déclaré que « ‘les blancs’ ont laissé des bâtiments retapés impeccables mais on craint que dans un futur proche que tout soit délabré, faute d’entretien »10.

Comment comprendre la rupture unilatérale de la formation des unités spéciales de la 31ème brigade au Maniema, la meilleure unité militaire congolaise actuellement sur le terrain et une formation théorique et à impact nul aux généraux et colonels à peine instruits, qui n’apporte aucune plus-value opératique sur le terrain ?11

Comme on peut le constater, depuis quelques années, les Etats occidentaux pratiquent l’« outsourcing » des services et activités de leurs forces armées au secteur privé dominé par les sociétés militaires privées (SMP). Composées d’anciens membres des forces armées régulières, les SMP, souvent filiales de groupes anglo-saxons cotés en Bourse, ont remis au goût du jour la tradition du mercenariat. En 1994, Kofi Annan en personne, alors responsable des opérations de maintien de la paix de l’ONU, avait envisagé d’engager une société SMP pour intervenir au Rwanda12. Ces sociétés militaires privées effectuent leurs activités partout dans le monde (Europe, Asie – même en Chine -, Afrique, Amérique Latine et Moyen-Orient), et notamment dans les pays représentant un enjeu géopolitique et géoéconomique important. Aujourd’hui c’est au grand jour que des pays occidentaux et leurs institutions transnationales sont devenus les principaux donneurs d’ordres des SMP : Pentagone, Département d’Etat, Cellule diplomatique de l’Elysée, Quai d’Orsay, ONU, UE, OSCE, OUA et même certaines ONG et la Croix Rouge.13

Le recours aux services des sociétés militaires privées offre des avantages multiples à certains gouvernements qui emploient des mercenaires. Les « soldats » privés ne sont pas redevables devant les tribunaux militaires et leur contrat est renouvelé en fonction des résultats obtenus…14; la nécessité de posséder un moyen d’application discret de la politique étrangère des grandes puissances sans justification par le gouvernement ; la possibilité de mener des opérations de type militaire sous couvert d’une organisation privée, permet une meilleure autonomie d’action et la baisse de contrôle des contribuables nationaux; la non utilisation de militaires et donc la réduction des risques associés susceptibles de choquer l’opinion publique (Vietnam, Somalie, Irak, etc.) et la possibilité de garder les forces spéciales pour d’autres missions.

Ainsi, Themiis, au regard de ses activités de base, est plutôt classé parmi les SMP et rien ne nous dit que ses activités en RDC se limiteront uniquement à la formation au sein de CHESD. Il pourrait également étendre ses services dans le domaine de mercenariat militaire dans une période d’instabilité politique à haut risque où le régime de Kabila pourrait être confronté à une grave mutinerie de son armée, selon des informations qui nous parviennent15.

Le président français Emmanuel Macron, lors du sommet avec des dirigeants africains et européens sur la crise des migrants, le 28 août 2017 à l’Elysée – Photo REUTERS/Thibault Camus/Pool

2. Une alliance opportuniste win-win entre le régime de Kabila et la France pour contrer « le syndrome de Fachoda » ?

2.1  La France sauve une première fois le tout-puissant Kalev Mutond, le chef de la police politicienne de Kabila

Depuis 2015, le régime de Kabila fait face à une pression accrue des Etats anglo-saxons qui tiennent à son départ pour avoir épuisé ses deux mandats constitutionnels à la tête de la RDC. Depuis, après plusieurs tentatives échouées de séduction des Américains et leurs alliés, Kinshasa se tourne vers d’autres alliés. Il s’agit notamment de la Russie, de la Chine, de la Corée du Nord16, de l’Iran, de l’Egypte qui vient d’achever une formation d’un 4ème bataillon de 950 hommes à Kibomango du 14ème régiment spécial de sécurité honneur de la GR et plus discrètement de certains pays de l’Union européenne comme l’Espagne, l’Italie et la France. L’intervention de cette dernière avait permis, par exemple à Kalev Mutondo, le chef du service des renseignements civils congolais, ANR, d’échapper à la première vague des sanctions de l’UE en septembre 2016, même s’il a été rattrapé en juin 2017. Kalev est l’homme-orchestre de la stratégie17 de Kabila et le pilier de son régime.

Le recours à la France, délogée progressivement de la région des Grands-Lacs par les anglo-saxons procède d’une contre-offensive stratégique de ce que les géopolitologues qualifient de syndrome de Fachoda. Cette expression renvoie historiquement à la stratégie de la Grande-Bretagne de chasser la France de la cité de Fachoda, aujourd’hui Kodok, située sur la rive droite du Nil Blanc Soudan, à plus de 800 km au Sud de la capitale Khartoum. En 1898, cette ville fut le théâtre d’une crise diplomatique importante entre la France et l’Angleterre. Ce conflit s’acheva par la victoire de la Grande-Bretagne sur la France. Depuis, l’expression est utilisée pour illustrer l’expansionnisme anglo-saxon dans les zones géographiques africaines où la France exerce une puissance géopolitique et historique tutélaire. C’est ainsi que depuis le début des années 1990, les anglo-saxons, avec à leur tête les Etats-Unis d’Amérique, convoitent la région de l’Afrique médiane : L’Afrique utile et rentable. Dans le cadre de ce que l’on qualifie de « new scramble for Africa » (la nouvelle ruée vers l’Afrique utile), ils y imposent des dirigeants à leur solde, au détriment de la France qui perd progressivement du terrain.

2.2 Avant 2016, des firmes françaises ont signé des contrats exclusifs dans le domaine sécuritaire avec le régime de Kabila

C’est dans ce cadre, purement géostratégique, qu’il faille situer le nouveau ré-activisme français en RDC, qui essaye de réinvestir son ancienne chasse gardée en tentant d’appuyer subtilement le régime de Kabila. Cette présence française en RDC s’effectue principalement à travers la présence des firmes françaises dans le domaine sécuritaire en RDC, comme en témoigne les illustrations suivantes.

En mai 2014, via un intermédiaire militaire européen ; en poste officiel en RDC, dont nous taisons le nom pour des raisons confidentielles, la présidence congolaise a conclu un contrat de 3.000.000 d’euros avec la firme SYT Technologies basée à Nîmes. Le contrat concernait l’achat d’un lot d’un système de surveillance et de détection électronique infrarouge « Tarys » (courte et moyenne portée) et « Séraphin » (longue portée), au profit des FARDC. Cette entreprise, dirigée par Mehmed Yilmaz, est particulièrement innovante dans le domaine de la vision appliquée aux secteurs de la prévention sécurité civile, de la recherche et du militaire18. C’est le feu colonel Marc Mukaz qui était chargé de superviser les transactions et les livraisons du matériel militaire en RDC.

Cependant, les premières tentatives de séduction de Kabila à l’égard de la France remontent à la fin 2013, juste après la défaite du M23 et le début de la crise centrafricaine. Imitant ses homologues rwandais et congolais de Brazzaville, Kabila se lance dans une nouvelle pratique de séduction de la communauté internationale par l’envoi de troupes permettant aux pays pourvoyeurs de troupes, dont souvent les autorités font l’objet de critiques sur le plan international, de consolider leurs positions diplomatiques en vue de s’assurer le silence des pays occidentaux sur certains aspects contestables de sa politique intérieure et régionale19. C’est ainsi qu’il va prêter main forte aux Français par l’envoi d’un bataillon de 850 militaires à Bangui20 en soutien à la MINUSCA, la mission de l’ONU en RCA. Malheureusement, le contingent congolais y sera chassé en janvier 2016. L’ONU va décider de retirer le contingent des casques bleus RDC, après plusieurs accusations répétées de viols ou d’abus sexuels commis par la soldatesque congolaise21.

On peut également citer le partenariat entre la firme française Thales Communications & Security et le service de communication de la présidence congolaise dirigés par le colonel Alexis Mutombo, surnommé « Mobile One ». Thales Communications & Security est née de la fusion de deux sociétés du Groupe : Thales Communications, spécialisée dans les produits et systèmes d’information et de communication sécurisés pour les forces armées et de sécurité, et Thales Security Solutions & Services, société spécialisée dans les systèmes de sécurité urbaine, de protection des infrastructures critiques et des voyageurs22. Thales s’impose comme un des leaders européens des systèmes d’information et de communication sécurisés pour les marchés mondiaux de la défense, de la sécurité et du transport terrestre23. Thales Communications & Security concentre plus de la moitié des activités du groupe Thales (environ 3 milliards d’euros) dans les systèmes C4I24 de défense et de sécurité (Command, Control, Computer, Communications and Intelligence). Ce contrat prévoyait la livraison à un groupe très restreint de proches collaborateurs sécuritaires de Joseph Kabila des téléphones de type Tétra25 avec de nouveaux numéros cryptés pour éviter d’être écoutés par la NSA américaine. Les généraux Didier Etumba (Chef d’état-major général des FARDC), Damas Kabulo (Secrétaire général au ministère de la Défebse), François Olenga (Chef de la maison militaire du Président) , Jean-Claude Yav (Adjoint du Général Olenga au sein de la maison militaire et chef  fonctionnel des renseignements militaires), Célestin Mbala Musense (Sous-chef d’EMG chargé de l’Administration), Dieudonné Banze (Chef d’état-major de l’armée de terre), Ilunga Kampete (Commandant de la Garde Républicaine), Delphin Kayimbi (Chef d’EM des renseignements militaires), Gabriel Amisi Tango Four (commandant de la 1ère Zone de défense), Charles Bisengimana (Ancien chef de la police), Dieudonné Amuli Bahingwa (nouveau Commissaire général de la Police), les colonels Alexis Mutombo, John Kabila (Officier d’ordonnance de Kabila), Pierre Bahati (Directeur de la sécurité présidentielle), Mpanga Mukutu (Commandant du Régiment Sécurité et Honneur de la GR, l’unité chargée de la protection rapprochée de Kabila), Charles Deschrijver (Responsable du charroi et de la logistique militaire de la présidence), Hassan (Dttr : chargé des transmissions de la GR), le lieutenant-colonel Dieudonné Kisula (directeur adjoint de la sécurité présidentielle) ; Didier Kazadi Nyembwe (Conseiller de Kabila) et Georges Monga dit Estimé (Directeur ANR/Intérieur) sont parmi les proches collaborateurs sécuritaires de Kabila qui possèdent ces téléphones Tétra cryptés.

Nous pouvons citer également les conditions douteuses de la signature du contrat pour les kits d’enregistrement d’électeurs entre la CENI et avec la filiale française de la firme hollandaise Gemalto26, en violation des lois et des règles sur les marchés publics. Ce contrat a été négocié discrètement par l’actuel ministre congolais des Affaires étrangères, Léonard She Okitundu, alors simple membre de la majorité présidentielle et Envoyé spécial officieux de Joseph Kabila. C’est sans titre, ni fonction officielle encore moins un statut technique en matière électorale, si ce n’est d’un simple sénateur27 d’une des parties prenantes aux enjeux politiques du pays, que She Okitundu s’est rendu à Paris-Meudon, siège de la filiale française de la firme hollandaise pour la signature du contrat. Selon le quotidien congolais Le Potentiel, « le motif de la visite du sénateur Léonard She Okitundu à Paris, les 1er et 2 février 2016, portait  la présentation générale de Gemalto, de nos produits et solutions dans le domaine de la sécurisation de l’identité et de la biométrie électorale, le partage de l’expérience de Gemalto dans la conduite des projets de grande envergure dans ce domaine, et nos propositions pour la République démocratique du Congo »28. Il a été démontré par la suite, par les analyses d’experts de DESC, que les procédures d’appel d’offre, d’octroi du marché à Gemalto, de signature du contrat et de délais de livraison de kits à la CENI étaient entachées de zones d’ombres29.

Au-delà de l’opacité de ce contrat et des enjeux électoraux, il y a aussi un enjeu stratégique latent qui consiste en la capacité des services français de contrôler la base de données biométriques de la population majeure congolaise dans une finalité multistratégique liée à l’immigration clandestine en France. La lutte contre le terrorisme et de l’immigration clandestine sont les grandes priorités du président français, Emmanuel Macron. Il les a déclinées ce mardi 29 août 2017, lors du traditionnel discours du chef de l’État français aux ambassadeurs et représentants diplomatiques de France dans le monde30.

2. 3 La rencontre secrète de Lubumbashi entre les émissaires de Macron et Kabila : les premiers signaux du réinvestissement africain de Macron avec la vieille recette

Si Emmanuel Macron n’a pas une grande expérience avec l’Afrique, il s’entoure néanmoins de personnalités qui permettent de voir quelle sera la politique que le nouveau président compte mener vis-à-vis de ce continent « qu’il considère comme stratégique ([) D’après son conseiller Aurélien Lechevalier, actuel numéro deux de la cellule diplomatique,

Le Monde 19.05.2017]31. Macron veut faire de la réactivation des relations franco-africaines une des priorités de son premier quinquennat.

La nomination à direction de la cellule diplomatique de l’Élysée du duo Philippe Étienne et Aurélien Lechevallier augure le retour en puissance des réseaux français en Afrique. Philippe Etienne(,) est un ancien directeur de cabinet du controversé pro-rwandais Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères. A ce titre, Philippe Étienne sera l’artisan dans l’ombre de l’embellie diplomatique entre la France sarkosienne et le Rwanda après la rupture des relations en 2007. La normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays s’est concrétisée à partir de février 2010 lors de la visite de Nicolas Sarkozy au Rwanda. Il avait alors reconnu « une forme d’aveuglement » de la France lors des événements de 1994. Le 11 septembre 2011, lors de la visite officielle de Paul Kagame en France, devant la diaspora rwandaise à Paris, l’autocrate rwandais déclare vouloir « travailler ensemble avec Nicolas Sarkozy, pour voir comment échapper à l’Histoire, pour avancer »32. Au sortir de sa rencontre avec Sarkozy à l’Élysée, il précise : « Je suis venu pour parler du futur, pas du passé. J’ai demandé plus de commerce, plus de partenariats. Les Français sont libres de venir investir au Rwanda dans le tourisme, l’énergie, les infrastructures »33.

Diplomatie- droits de l’homme – business et sécurité : le menu de la rencontre ambiguë de Lubumbashi

A peine élu le 7 mai 2017, le nouveau président français, Emmanuel Macron, a dépêché le 20 juin à Lubumbashi, ses émissaires auprès de Joseph Kabila, en vue d’engager un dialogue, sur fond de crise politique en RDC. C’est Franck Paris, le conseiller Afrique de l’Élysée, et Rémi Maréchaux, le directeur Afrique du Quai d’Orsay qui composaient la délégation.

Dans cette (la) délégation, il y avait également la présence d’Alain Rémy, l’ambassadeur de France en RDC, Néhémie Mwilanya Wilondja, directeur de cabinet de Kabila, et Léonard She Okitundu, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères34. Cette rencontre a eu lieu après un entretien téléphonique deux jours auparavant entre Emmanuel Macron et Joseph Kabila. Le président français avait remercié, sur un ton cordial, les autorités de Kinshasa d’être intervenues dans la libération d’un otage français à l’est de la RDC.

A en croire l’indiscrétion d’une source présidentielle congolaise, sous anonymat, la mission française s’articulait autour des trois volets essentiels :

  1. Questions diplomatiques en rapport avec la crise politique congolaise
    Selon les conclusions de ces discussions, confirmées par une source française, les émissaires de Kabila avaient proposé que la France plaide pour qu’un délai d’une année, soit vers l’été 2018, soit accordé à Kabila pour organiser les élections. Et la France était disposée, à la demande directe de Kabila, d’agir pour que l’Union européenne arrête de prendre des sanctions contre les autorités de son régime et pour d’autres actions encore que nous détaillerons plus bas, à condition que la partie congolaise accepte les points suivants ;
  1. Droits et libertés fondamentaux des citoyens
La France avait exigé à la partie congolaise de s’engager à instaurer un espace d’expression des droits et libertés des citoyens, mais aussi de s’impliquer dans la libération d’un otage français à l’est de la RDC35. Cette libération était un préalable à la venue des émissaires de Macron en RDC.
  1. Dossiers économiques
Les échanges sur ce point ont porté sur des pistes de prospection des entreprises françaises en RDC, notamment dans les secteurs miniers et des hydrocarbures. Macron fait de la réactivation des relations franco-africaines une de ses priorités de son premier quinquennat. Les français ont également demandé à Kabila d’arrêter de harceler les entreprises françaises établies en RDC. La reprise du signal de RFI est une conséquence directe de ce deal d’intérêts.
La matérialisation de ce point a commencé à produire ses effets avec la prolongation de la licence d’exploration du pétrole du site pétrolier Bloc III Graben Albertine situé à la plaine du Lac Albert dans la nouvelle province de l’Ituri censée expirer initialement en janvier 2018. Mais Total ne compte pas en rester là, il veut étendre son domaine d’exploitation au-delà de la rivière de Semliki et du postefrontière de Burasi. Toutes ces tractations se font pendant que la RDC est redevable d’une dette de 100 millions de dollars. Et si Total exige le remboursement de cette dette, le pays ne sera plus en mesure de s’approvisionner en carburants.
Dans le volet économique, il y a aussi l’achat en avril 2016 par Orange France de l’opérateur Oasis qui opérait sous le label de Tigo. Il y aussi la chaîne de télévision Canal+ qui,à travers sa succursale Canal Olympia, veut installer des salles de cinema en 2018 à Kinshasa et dans les grandes villes du pays. Il y a aussi le groupe controversé Bolloré, Castel, CFAO qui confortent leur implantation en RDC. Quant à Gemalto qui a remplacé Zetes pour la fourniture de matériel d’enregistrement des électeurs et du fichier électoral, il est pointé par certaines sources internes de la CENI d’être responsable des retards enregistrés dans le processus électoral. C’est l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement français s’abstient jusque-là de critiquer ouvertement le processus électoral. La France militera sur le plan diplomatique pour obtenir l’allongement du processus pour une année supplémentaire comme mentionné plus haut.
  1. Aspects sécuritaires
Les discussions ont enfin porté sur le volet sécuritaire, notamment en vue de renforcement de la coopération bilatérale entre les deux pays, notamment dans les domaines de formation avec le training à Kamina des réserves de la Garde républicaine chargée de la protection de Kabila, des communications et de la logistique.
Bruno Tshibala au sénat français lors d’une visite floue ratée

2.4 Une nouvelle fenêtre d’opportunité favorable pour Kabila, isolé sur le plan international, avec l’arrivée à l’Elysée d’Emmanuel Macron, en vue d’une offensive diplomatique de la dernière chance ?

La nouvelle surprise de la réouverture du signal du RFI en RDC, au moment où le régime de Kabila accentue la censure médiatique et restreint de plus en plus l’accès aux réseaux sociaux – comme DESC dont l’accès est bloqué au départ de certains opérateurs téléphoniques dans plusieurs coins de la RDC, est un autre indice troublant qui montre le nouveau jeu des coulisses que joue la Françafrique en RDC. Cette ouverture a accéléré le réchauffement diplomatique entre Kinshasa et Paris. Depuis sa réouverture, cette RFI adopte désormais une ligne éditorialiste équilibriste, très prudente pour ne pas trop heurter le régime de Kabila et même plus subtile pour tenter de donner de la visibilité positive au régime de Kabila et son gouvernement, à l’instar de cette interview : http://www.rfi.fr/emission/20170918-rdc-bruno-tshibala-premier-ministre-elections-calendreier-proche-kasai. Il en est de même de TV5 monde où Tshibala a récemment déclaré « gouverner au nom de l’opposition » pendant qu’il est incapable de réunir 500 militants sans ponctionner le trésor public pour venir l’applaudir.

Le Premier ministre congolais, Bruno Tshibala, nommé par Kabila en violation de l’accord de la CENCO selon les évêques36, a effectué une visite au sénat français le 3 septembre 2017, à en croire le portail de la primature congolaise37. Cette visite devrait précéder une autre rencontre ratée, celle du président Joseph Kabila à l’Elysée, initialement prévue le 12 septembre 2017. Evidemment, c’est autour des questions économiques, tels qu’illustrés ci-dessus, que la RDC tente d’appâter la France aux prises avec l’austérité économique. Au centre de ces enjeux diplomatico-économiques, il s’agit notamment des négociations en cours à Kinshasa sur l’attribution de nouveaux blocs pétroliers en Ituri. Selon Afrik.com, « le groupe français Total, qui dispose déjà de concessions dans l’ex-province orientale, située à la frontière avec l’Ouganda et le Soudan du Sud, chercherait à y renforcer ses positions… »38. Une analyse partagée par afrikarabia.com qui estime qu’ « Emmanuel Macron pourrait être tenté (comme Nicolas Sarkozy en son temps) de céder aux sirènes du business et par le formidable potentiel économique du pays39 ».

Mais en contrepartie, Kinshasa compte sur le soutien diplomatique de la France(,) pour obtenir son veto afin de bloquer des mesures contraignantes que compte prendre le Conseil de sécurité des Nations unies lors d’une réunion de haut niveau sur la RDC qui se tiendra le 19 septembre 2017 au siège de l’ONU à New York. La particularité de cette réunion est qu’elle sera présidée par le chef des opérations de maintien de la paix. Il faut rappeler que notre analyse du fonctionnement de l’ONU fait ressortir le constat selon lequel le Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU, communément appelé DPKO (Departement of Peacekeeping Operations), est une sorte de chasse gardée de la France. Ce département, créé en 1992, est dirigé par des Français sans discontinuer depuis 1997. C’est encore le Français Jean-Pierre Lacroix qui a succédé à Hervé Ladsous, surnommé le « chef de l’armée du monde »40 au poste de Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l’ONU. C’est bien donc à cet autre niveau diplomatique français que Kabila compte également intensifier son plaidoyer. En effet, cette réunion dit de tous les enjeux, voire de tous les dangers pour Kinshasa, abordera les questions relatives à l’Accord du 31 décembre, au processus électoral, aux mesures de décrispation, aux droits de l’homme et à l’engagement régional »41.

Autant Hollande ambitionnait d’enterrer la Françafrique, qu’il a vite déchanté avec la real politik africaine au Mali le poussant à dealer avec Deby et autres, de même, Macron qui dit ne nourrir aucun complexe dans ses rapports avec l’Afrique risque de remodeler la Françafrique en fonction des réalités géostratégiques du moment, avec une France en perte de vitesse sur son ancien domaine de chasse gardée. La RDC risque d’être un de ses premiers terrains d’expérimentation de la Françafrique new-look.

Conclusion

Ayant progressivement perdu du terrain sur le continent africain, la Françafrique new-look essaie de reconquérir le terrain abandonné en soutenant des dirigeants peu honorables comme Idriss Déby au Tchad, Joseph Kabila en RDC, voire un rapprochement avec le dictateur rwandais Paul Kagame, de plus en plus acculé par les Etats-Unis.

C’est dans cette diplomatie du désespoir que le régime de Kabila tente de forcer la main à la France via des contrats juteux, non profitables aux Congolais, pour tenter de stopper la pression américaine et anglo-saxonne sur lui. Pays phare dans la promotion des valeurs humanistes des droits de l’Homme et de la démocratie, la France sombre peu à peu dans la real geopolitik et n’hésite plus à remettre en cause le discours de la Baule prononcée par François Mitterrand en 199042. Son soutien jusqu’auboutiste au dictateur Blaise Compaoré, contre le cours de l’Histoire, illustre cette nouvelle vision de Françafrique qui renaît de ses cendres. Parviendra-t-elle à sauver le soldat Kabila face à l’armada américaine et contre la volonté populaire congolaise ? Le futur proche nous en dira plus. Sans doute, la France est en train de jouer une de ses ultimes batailles géostratégiques sur le terrain africain via l’autocrate Joseph Kabila interposé alors que l’influence américaine au Burkina Faso43 et au Sénégal, devenus les postes stratégiques avancés des Etats-Unis, au travers de l’Africom44, dans la zone d’influence géopolitique traditionnelle de la France ne cesse de croître.

Par ailleurs, ces dernières années, les ambassades françaises en Afrique font l’objet d’une surveillance des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. C’est le cas de l’ambassade de France à N’Djamena au Tchad, à Niamey au Niger et à Kinshasa. Les numéros de portable des ambassadeurs et leurs adresses de courriel figurent sur les relevés d’interceptions des services britanniques. Il en est de même des grands groupes français présents en Afrique qui sont la cible du même espionnage anglo-saxon45.

D’autre part, comme en 1997 alors que Mobutu était rejeté par les Etats-Unis, c’était encore la Françafrique en contre-courant géostratégique, via les réseaux Pasqua et Jean-Marie Le Pen, qui a tenté de sauver son régime en recrutant pour lui des mercenaires. Avec la plus forte et la plus active diaspora congolaise en Occident, estimée près de 500 000 ressortissants, la France risque de faire un mauvais calcul en voulant se ranger du mauvais côté des aspirations des populations congolaises. Qu’elle s’apprête alors à affronter les « combattants-résistants » congolais qui donnent du fil à retordre aux services de maintien de l’ordre public français durant cette période sécuritaire très instable dans l’hexagone.

Autant Hollande ambitionnait d’enterrer la Françafrique, qu’il a vite déchanté avec la real politik africaine au Mali le poussant même à dealer avec l’autocrate Idriss Deby et autres. De même Macron, qui se vante de ne nourrir aucun complexe dans ses rapports avec l’Afrique, se lance à redonner un nouveau souffle à la politique africaine d’une France en perte de vitesse sur son ancien domaine de chasse gardé. Et la RDC risque bien d’être un de ses premiers terrains d’expérimentation de la Françafrique new-look.

A la France, DESC prévient : Gare au nouveau syndrome de Fachoda car il faut quitter les choses avant qu’elles ne vous quittent. Sa politique africaine anachronique et condescendante, en faveur du dictateur Joseph Kabila, et à contre-courant avec les aspirations profondes du changement manifesté par des Congolais, ne lui sera d’aucun bénéfice géostratégique, encore moins économique. Le président Macron devrait tirer les leçons des débâcles françaises en Afrique de ces dernières années. Le temps de « l’Afrique à papa » est révolu!

Jean-Jacques Wondo Omanyundu   http://www.grip.org/fr/node/1747

© Exclusivité DESC

Références

5 JJ Wondo Omanyundu, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?; 2èédition, Aalst, 2015, p.229.

6 JJ Wondo Omanyundu, Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, 2è Ed, 2013, p.308.

7 Emile Ouédraogo, Pour la professionnalisation des Forces armées en Afrique, Papier de recherche N°6 du CESA, Washington, juillet 2014p, p.44. Lire aussi JJ Wondo Omanyundu, Ibid, p.235.

8 JJ Wondo Omanyundu, Ibid, p.236.

9 Wondo Omanyundu, JJ, Les Forces armées de la RDC : Une armée irréformable ? 2è Ed, 2015, p.141.

10JJ Wondo, Les militaires congolais et l’académie militaire de Kananga toujours à l’abandon, 15 Janvier 2015.http://afridesk.org/fr/les-militaires-congolais-et-lacademie-de-kananga-toujours-a-labandon-jj-wondo/.

11 JL Wondo, La décision insensée du régime de Kabila de suspendre le partenariat militaire avec la Belgique, DESC-18 avril 2017 – http://afridesk.org/fr/la-decision-insensee-du-regime-de-kabila-de-suspendre-le-partenariat-militaire-avec-la-belgique-jj-wondo/.

12 Jeune Afrique, Entrepreneurs de guerre, 12 septembre 2005, http://www.jeuneafrique.com/112054/archives-thematique/entrepreneurs-de-guerre/.

13 Karel Vereycken, Mercenaires sans frontières, les « chiens de guerre » de la mondialisation financière, Agora.

14 Karel Vereycken, Ibid.

15 Les militaires congolais, même ceux de la GR, se plaignent de plus en plus de leurs conditions de vie. Certains, désillusionnés, sont convaincus que le président Kabila n’est plus en mesure de leur assurer un avenir décent.

17 Notes techniques confidentielles de la stratégie de Joseph Kabila contre ses opposants. DESC, 6 avril 2017 – http://afridesk.org/fr/exclusivite-desc-notes-techniques-confidentielles-de-la-strategie-joseph-contre-ses-opposants/.

19 Roland Marchal in Puissances d’hier et de demain. État du monde 2014

20 JJ Wondo, Sassou et Kabila : Se montrer utile pour la communauté internationale dans une stratégie de maintien ultérieur au pouvoir ?, 18 février 2014. http://afridesk.org/fr/sassou-et-kabila-se-montrer-utile-pour-la-communaute-internationale-dans-une-strategie-de-maintien-au-pouvoir-jj-wondo/.

22Alain Ruello, « Sécurité : Thales se réorganise en France » [archive], sur le site du quotidien Les Échos, 4 juillet 2011 (consulté le 8 août 2017).

23« Thales forms new company » [archive], sur le site de l’agence de presse américaine UPI, 6 juillet 2011 (consulté le 8 août 2017).

24 C4I : Command-Control-Communication-Computer-Intelligence.

25La norme Radio Tetra (Terrestrial Trunked Radio), est une norme de l’ETSI (European Telecommunications Standards Institute). Les réseaux privés radio TETRA se différencient des systèmes publics de téléphonie mobile, tels que le GSM ou l’UMTS, par la rapidité d’établissement des communications, les appels prioritaires et de groupe.De plus, l’utilisation du mode optionnel DMO (Direct Mode Opération) permet à deux terminaux de communiquer à la façon d’un talkie-walkie donc de poste à poste, sans passer par une station de base ou par une infrastructure relais. La radio TETRA est une technologie basée sur le multiplexage temporel et opère à l’intérieur de la bande de fréquences des 380-400 MHz pour les services d’urgence et dans les bandes 410-430 MHz, 450-470 MHz et 870-880 MHz pour les applications civiles et privées. In

http://www.sysoco.fr/nos-offres/technologies/tetra/.

26 Gemalto est une entreprise multinationale, de droit néerlandais, spécialisée dans la conception et la fabrication de logiciels de sécurité numérique applicables, non seulement aux cartes d’identité. Elle est notamment le premier fabricant mondial de cartes SIM, et fournissait environ 450 opérateurs de téléphonie mobile en 2014 et fabricant des kits d’enrôlement des électeurs pour la révision du fichier électoral signé entre la CENI et la société GEMALTO SA le 29 juin 2016 et dont DESC a réussi à obtenir une copie fabricant mondial de cartes SIM, et fournissait environ 450 opérateurs de téléphonie mobile en 2014.

27 JJ Wondo, DESC-Telegraph : vers un isolement diplomatique total du régime de Kabila ?, DESC, 21 avril 2017. http://afridesk.org/fr/desc-telegraph-vers-un-isolement-diplomatique-generalise-du-regime-de-kabila/.

32 « Le président rwandais Kagame en visite en France pour échapper à l’Histoire », Le Monde, 11 septembre 2011.

36 La CENCO sort de son mutisme : « la nomination de Tshibala est une entorse à l’Accord de la St Sylvestre », MEDIACONGO, 21.04.2017. http://www.mediacongo.net/article-actualite-25830.html.

40 Mathieu Lopes, « Qu’est-ce qui se cache Ladsous ? La chasse gardée de la France à l’ONU », Journal du Dimanche, 7 novembre 2012.

42Le discours de La Baule, prononcé par le Président François Mitterrand, le 20 juin 1990, dans le cadre de la 16ème Conférence des chefs d’État d’Afrique et de France qui s’est déroulée dans la commune française de La Baule-Escoublac a été l’élément déclencheur de cette première vague du processus démocratique en Afrique. Ce discours marquera une date importante dans les relations entre la France et l’Afrique, 37 pays africains y étaient invités en 1990. Selon Roland Dumas, l’Homme de réseau, de confiance et Monsieur Françafrique du président Mitterrand : « Le discours de La Baule se résume ainsi : ‘Le vent de liberté qui a soufflé à l’Est devra inévitablement souffler un jour en direction du Sud (…) Il n’y a pas de développement sans démocratie et il n’y a pas de démocratie sans développement’ ». Ziambi Kengawe et Jean-Jacques Wondo, Autopsie des causes de la Révolution citoyenne burkinabé et itinérance avec la RDC ?  DESC 12 décembre 2014.-http://afridesk.org/fr/autopsie-de-la-revolution-citoyenne-burkinabe-j-ziambi-k-jj-wondo/.

43 Jean-Jacques Wondo Omanyundu & Joël Kandolo Owawa, Géostratégie : La main noire américaine invisible derrière la révolution burkinabé ? : Quelle itinérance pour la RDC ? – DESC – 13 février 2015. http://afridesk.org/fr/geostrategie-la-main-noire-americaine-derriere-la-revolution-burkinabe-itinerance-rdc/.

44 US AFRICOM ou United States Africa Command (en français le Commandement des États-Unis pour l’Afrique) est un dispositif de commandement unifié pour l’Afrique créé par le Département de la Défense des États-Unis en 2007 et entré en fonction en 2008. Il coordonne toutes les activités militaires et sécuritaires des États-Unis sur ce continent. L’Africom ou le Commandement américain pour l`Afrique a été créé le 1er octobre 2007 et est rentré en fonction officiellement en tant que commandement indépendant, le 1er octobre 2008. Son siège se trouve à Stuttgart en Allemagne. L’Africom entend accomplir des engagements sécuritaires soutenus à travers des programmes intra- militaires et des activités sponsorisées par le militaire dans le but de promouvoir un contexte africain stable et sécurisé en accord avec la politique étrangères des Etats-Unis. L’ensemble est maintenant coordonné par le 6e Commandement régional, l’AFRICOM. L’ancien ministre de la Défense, Donald Rumsfeld, a justifié la mise sur pied de ce Commandement début 2007 en expliquant que la seule région du monde qui ne disposait pas d’un tel Commandement américain était l’Afrique 6. Ses axes principaux sont la guerre contre le terrorisme et la sécurisation des approvisionnements énergétiques.

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