Ce qu’il faut savoir sur la guerre – Partie V :
Le terrorisme contemporain est-il une forme de guerre ?
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Le mot « terrorisme » sert le plus communément à désigner certaines formes de « stratégies d’insurrection » contre un gouvernement que l’on veut affaiblir ou renverser. Pourtant, la forme la plus répandue de terrorisme, dans le monde moderne, a été celle d’une « stratégie de répression », qu’elle provienne du Comité de Salut public en 1793, des régimes totalitaires ou d’un régime dictatorial comme l’Irak à l’encontre des Kurdes et des Chiites. Le « terrorisme » ayant une connotation péjorative, il convient d’en donner une définition aussi neutre que possible. Celle donnée par Aron et reprise par Gérard Chaliand pose qu’une action violente est terroriste lorsque ses répercussions psychologiques dépassent de très loin ses effets physiques et matériels. La dimension psychologique soulignée dans cette définition peut être sujette à contestation et pourrait s’appliquer à des actions non voulues comme terroristes. Utilisée sans référence au contexte d’action et aux acteurs (ce que n’ont fait ni Aron ni Chaliand), elle risque de retomber dans le normatif pur. On peut alors préférer la définition de Derriennic qui considère comme « terroriste toute action violente qui tente de vaincre un ennemi, non en visant ses moyens d’action pour les neutraliser ou les détruire, mais en tentant de produire un effet de terreur qui agit directement sur sa volonté de poursuivre la lutte ». Cette thèse soutient alors que, en dehors de ses formes gouvernementales, le terrorisme est passé, dans ses grandes manifestations, de l’assassinat politique à l’assassinat de masse ou indiscriminé[1], et que la philosophie de l’histoire qui le sous-tend – si tant est qu’il s’agisse d’une philosophie – a été radicalisée pour donner, par une combinaison de ces deux dimensions, un terrorisme hyperbolique[2].
Le terrorisme est certainement le sujet stratégique le plus souvent traité dans les médias. Il est présenté comme étant la principale menace pesant sur la sécurité mondiale. Il a, dans l’esprit du public et des médias occidentaux, remplacé comme élément de menace le péril soviétique de la période de la guerre froide.
Il y a pourtant une différence de taille et des idées-reçues qu’il faille ôter de notre compréhension de cette notion : le terrorisme n’est pas une puissance, c’est un moyen d’action. Il y a un grand décalage être les dégâts causés par le terrorisme et l’ampleur des réactions qu’il suscite. C’est parce qu’un attentat peut survenir en tout endroit à tout moment qu’il suscite autant d’angoisses disproportionnées face à la réalité de la menace. Il peut éventuellement frapper les citoyens de tous les pays dans l’exercice de gestes de la vie quotidienne, dans les transports, les écoles les magasins, etc. Le terrorisme brise la distinction combattant/non combattant. Il fait du monde entier un champ de bataille universel. Le nombre de morts qu’il occasionne es relativement limité, mais son territoire éventuel d’action et ses cibles sont illimités[3].
Il n’y a pas de définition unique du terrorisme. Personne n’accepte ce qualificatif. Ceux qui sont décrits comme terroristes par les uns se considèrent eux-mêmes comme des résistants. C’est le cas par exemple des combattants de l’Etat islamique. Nous l’avions vu dans une précédente analyse que ce qui caractérise la guerre est l’emploi de la violence, c’est-à-dire qui opère des destructions physiques et psychologiques sur des personnes, mais toute violence n’est pas guerre. Ainsi, la guerre peut se définir d’abord comme un acte collectif, se distinguant en cela du duel ou du crime, et plus précisément comme le fait d’une collectivité organisée = l’Etat. (Widemann, Th., 2012, 14).
L’évolution de la guerre dans le temps a accouché la nécessité pour chaque Etat de développer sa défense nationale. Il s’agit d’une notion qui fait référence à la défense d’un territoire géographique bien délimité géographiquement et organisé en Etat. D’autant que dès le XVIIIe siècle déjà, Jean-Jacques Rousseau précise dans le Contrat social que « la guerre n’est point un rapport d’homme à homme, mais une relation d’Etat à Etat ». Cette définition de la guerre comme conflit armé entre Etats souverains demeure une référence généralement admise par les politologues et polémologues, même si cette notion a vu son interprétation évoluer et changer au cours de l’histoire, au point de susciter une certaine confusion parmi les stratégistes et les experts qui ont élargi la notion de guerre au terrorisme.
C’est le Saoudien Oussama Ben Laden, vétéran de la guerre afghane contre l’URSS dans les années 1980, qui introduit une nouvelle dimension de la lutte insurrectionnelle par une opération de grand style, le 11 septembre 2001. Un attentat terroriste d’un type nouveau : par le nombre des victimes certes (2985), mais aussi parce que, pour la première fois dans l’histoire militaire, la guerre « asymétrique » réputée défensive et de résistance se projette offensivement[4].
La réaction de G. Bush à l’attentat du 11 septembre 2001 fut une erreur stratégique monumentale en répliquant à l’attentat par une déclaration de guerre, la « guerre globale contre le terrorisme », la GWOT (Global War on Terrorism). Il s’agit là d’une lecture erratique de la nature de la guerre telle que conçue par Clausewitz d’autant que les Etats-Unis se sont lancé dans une guerre, qu’ils conçoivent « totale », mobilisant toutes leurs forces et ressources nécessaires contre un moyen de combat, le terrorisme plutôt que contre un ennemi ou un groupe belligérant identifiable et un théâtre d’opérations spécifique et concret. En matière de terrorisme, l’adversaire est « irrégulier », selon le droit international, car il fait recours aux principes de guerre (injuste) jugés non conformes au jus ad bellum et au jus in bello (les lois et coutumes de la guerre conventionnelle) : il se fond dans la population, ne porte pas ouvertement les armes, n’appartient pas à une armée tirant son monopole de la violence légitime de l’Etat.
Le combattant asymétrique utilise « harcèlement, embuscades et surprises (pour) instaurer la panique, un sentiment d’’insécurité et contraindre l’ennemi à se retirer ». Le sentiment d’insécurité doit creuser l’écart entre l’occupant et la population. Pour ce faire, il utilise abondamment les armes du pauvre : les milliers d’IED (Improvised Explosive Devices : engins explosifs improvisés), principaux instruments des pertes militaires occidentales, ne sont que l’exemple le plus connu. Toutes les technologies supérieures de l’occident – la « furtivité », l’ « intelligence » des munitions, leur précision – sont retournées contre lui. Le « kamikaze » n’est-il pas un « missile du pauvre », une munition intelligente, précises, puissante, furtive et sans trace ?[5] C’est que si la Guerre selon Clausewitz est la poursuite de la politique par d’autres moyens, la guerre irrégulière est la poursuite de la guerre par d’autres moyens[6]. Or la guerre en tant qu’instrument au service de la politique n’est pas une fin en soi mais bien un moyen de poursuivre la politique.
La guerre asymétrique utilise le modèle de lutte prolongée de faible intensité militaire, théorisé par Mao Ze Dong dans la guerre révolutionnaire, en faisant recours à la Stratégie d’usure (opposée à la stratégie d’anéantissement ou du choc frontal cher à Napoléon et Clausewitz). Les combattants asymétriques, à défaut de disposer des moyens d’une stratégie d’anéantissement et de frapper un coup militaire frontal direct et décisif à leur ennemi dans un combat armé de type conventionnel, ils n’ont plus à leur disposition d’autre choix tactique que celui d’être donc condamnés à épuiser un adversaire plus puissant par une série de petites attaques de harcèlement. Pour Mao, une bonne stratégie et une bonne tactique compenseraient une relative faiblesse, et les initiatives d’un général talentueux pourraient faire pencher la balance. A l’opposé, on a tendance à mesurer en Occident l’avantage militaire en termes de moyens matériels et de puissance de feu, lesquels ne sont pas toujours des indicateurs fiables de la puissance effective. Les terrains montagneux afghans du Panshir sont là pour témoigner des enlisements militaires successifs des Soviétiques et des Américains.
La génération suivante, celle du général vietnamien Vo Nguyen Giap, décédé en 2014, qui a vaincu les français et les américains, y a introduit certains développements. Les Vietnamiens, surtout à l’époque du général Giap, agissaient dans la tradition de la guerre de guérilla, mais en plus pragmatique. Giap ne souscrivait pas systématiquement à l’approche chinoise, ni à l’obligation idéologique de l’appliquer. Pour lui, la guerre de guérilla n’était qu’un aspect de la guerre du peuple : « une guerre populaire se définit par une stratégie qui n’est pas réduite à sa dimension militaire. On peut trouver toujours une expression synthétique de la stratégie. Notre stratégie était à la fois militaire, politique, économique et diplomatique, bien que la composante militaire soit la plus importante ». Il s’agit là d’une facette de la stratégie de la guerre totale qui donna lieu à la notion de Guerre asymétrique. L’ANC et le FNL algérien ont respectivement appliqué la même stratégie contre l’apartheid et contre la colonisation de peuplement française jusqu’à leur l’effondrement.
La lutte contre-terrorisme n’est ni une croisade ni une guerre, mais une action combinée et permanente, mêlant la recherche préventive du renseignement et la répression judiciaire[7]. La lutte contre le terrorisme global ne relève pas prioritairement de l’intervention militaire mais de l’action coordonnée de la police, de la justice, des services de renseignement, de la coopération entre Etats et des actions politiques. Les Etats-Unis auraient dû, à l’instar de la Grande-Bretagne contre le terrorisme de l’IRA, qualifier d’acte criminel, les attaques du 11 septembre.
C’est exactement une approche non violente que l’Afrique du Sud a appliquée, lorsque Pretoria a compris que sa politique d’apartheid, privilégiant la force plutôt que des solutions politiques, s’est enlisée dans un cycle de violences risquant de plonger le pays dans une guerre civile infernale et sans fin. Au milieu des années1980, déclarait Denis Goldberg, « de plus en plus de jeunes Blancs refusaient de faire leur service militaire. Le gouvernement ne pouvait rien faire. Les jeunes Blancs disaient qu’ils étaient prêts à défendre l’Afrique du Sud contre une invasion étrangère mais pas à occuper les townships. Ils refusaient pour des raisons religieuses, morales ou politiques. Ce qui amenait les familles à changer d’attitude parce qu’elles devaient leur trouver des endroits où se cacher. Il y avait également un mouvement initié par des Blanches, opposé à l’absurdité de l’apartheid, à sa brutalité et à son inhumanité. Beaucoup de religieux ont aussi, à ce moment-là, arrêté leur soutien au système d’apartheid. Il ne restait plus que la négociation politique. C’était devenu un besoin pour y mettre fin[8]. »
Du point de vue purement militaire, les techniques de contre-insurrection sont également des moyens utilisés pour lutter contre les mouvements rebelles utilisant les méthodes asymétriques. Elles se basent sur certaines règles principales au cœur desquelles le renseignement occupe une place centrale.[9] Pour des raisons purement stratégiques, nous nous réservons le droit de partager les recherches approfondies effectuées par DESC dans la lutte contre les mouvements insurrectionnels, comme l’ADF, la LRA, et certains groupes Maï-Maï nuisibles à l’Est de la RDC, aux seuls professionnels qui en manifesteront la nécessité dans le cadre de nos activités de consultance.
Comme on vient de le mentionner, le renseignement reste un élément très important dans la lutte contre le terrorisme. Pour obtenir un bon renseignement, cela nécessite de disposer des services spéciaux dont la mission est de capter une matière décisive pour l’action et la prise de décision[10].
La polémique née de l’extension de la notion de ‘guerre’ aux autres formes de manifestation du conflit armé a poussé certains auteurs, notamment l’historien britannique Michael Howard, à considérer que le vocable ‘guerre’ est aujourd’hui usité de façon abusive et surtout dangereuse. En ce sens et dans ce contexte, cet usage trop extensif du mot guerre grandit l’adversaire, lui confère une ‘légitimité’ qui reviendrait à lui accorder implicitement le statut de belligérant, donc susceptible d’être protégé par les lois de la guerre dites ‘jus in bello’ et pouvoir revendiquer des droits politiques pouvant aller au-delà de leur organisation ‘criminelle’. C’est malheureusement ce qui se passe en RDC depuis 1998, où des mouvements de rébellion téléguidés à partir de l’étranger, MLC, RCD-Goma, CNDP et bientôt le M23, ont profité de cette confusion conceptuelle de la notion de ‘guerre’ pour se donner une identité politique leur permettant de bénéficier d’amnistie et d’autres avantages sociaux et politiques concrets en termes de partage du pouvoir et des entités territoriales. Si au Congo, ce sont les effets pervers de cette nouvelle conception qui surviennent, aux Etats-Unis par contre, comme le souligne l’historien américain John Lynn, l’idée initial et le leitmotiv principal de nommer délibérément la ‘guerre contre le terrorisme’, visait à étendre, comme nous l’avons vu plus haut, leur droit d’ingérence au-delà de leurs frontières. Ce qui leur conférait la possibilité de légitimer des actions préventives au-delà de l’espace territorial directement contigu au territoire physique et géographique américain.
Il s’agit là d’une nouvelle conception de l’Etat, en tant qu’idéal diplomatico-militaire, selon Randolph Bourne, qui le met éternellement en guerre. (Bourne, 2012, 75) et leur permet d’intervenir unilatéralement où (Afghanistan, Pakistan lors de la capture de Ben Laden…) et quand ils veulent, dès lors qu’ils en ont les moyens. Légitimer le droit d’ingérence – humanitaire ou la responsabilité de protéger – (NDLR : Les forces américaines de l’AFRICOM aux confins du Sud-Soudan, Nord-Est Congolais et Ouest ougandais) ou la nécessaire protection des populations revient simplement à fournir aux pratiques existantes une couverture légale ; bref, un alibi. Les seuls à en tirer une quelconque protection et un profit économique sont les Etats-Unis eux-mêmes et ceux (Rwanda, Ouganda . . . jusqu’à quand ?) qu’ils estiment être du bon côté. (Bourne, 2012, 16).
Jean-Jacques Wondo Omanyundu – Exclusivité DESC
[1] Michael Walzer, Guerres justes et injustes (1977, 1992).
[2] Quelques formes et raisons de la guerre, Stephen Launay, http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2004-1- page-9.htm.
[3] Boniface, Pascal, La Géopolitique, 2ème Edition, Eyrolles, Parsi, 2014, p.41.
[4] Malis, Christian, Guerre et Stratégie au XXIè siècle, Fayard, Paris, 2014, pp. 22.
[5] Goya, Michel, Les armées du Chaos, Paris, Economica, 2009, p.42.
[6] Malis, Christian citant le lieutenant-colonel français Jean-Marc Giraud, ibid., p. 24
[7] Chaliand, Gérard, Les Guerres irrégulières XXè-XXiè siècle, Gallimard, 2008, p.896.
[8] « http://www.humanité.fr, 2013.
[9] Chaliand, Gérard, Les Guerres irrégulières XXè-XXiè siècle, Gallimard, 2008, p.64.
[10] Devin, Guillaume, Sociologie des relations internationales, 3ème Ed, Repères, 2013, p.64.
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Partie I : http://afridesk.org/strategie-ce-quil-faut-savoir-sur-la-guerre-1ere-partie-rwandam23-jj-wondo/
Partie II : http://afridesk.org/ce-quil-faut-savoir-sur-la-guerre-partie-ii-les-causes-des-guerres-jj-wondo/
Partie III : http://afridesk.org/ce-quil-faut-savoir-sur-la-guerre-partie-iii-la-guerre-sous-ses-differentes-formes-jj-wondo/
One Comment “Ce qu’il faut savoir sur la guerre – Partie 5 : Le terrorisme contemporain est-il une forme de guerre ? – JJ Wondo”
Troll
says:¤¤MARTIN VAN CREVELD » La Transformation de la guerre » »Un ouvrage que nous recommandons la lecture aux penseurs militaires congolais. Martin Van Creveld d´orgine Israelienne est mieux placé pour faire comprendre aux congolais que les théories militaires de Clausewitz sont depassées en Occident et ne peuvent figurer ni dans les formations des officiers congolais ni surtout dans les stratégies visant á mettre à former une armée nationale au Congo**
¤¤Au cours de deux derniers siècles, toutes les doctrines militaires et stratégiques ont été dominées par l´hypothèse clausewitzienne faisant du conflit armé « la poursuite de la politique par d´autres moyens ». ¤¤Après la Séconde Guerre mondiale, on voit émeger des nouvelles formes d´affrontement et des combats d´un type nouveau**, guéllireros, terroristes ou hors la loi…¤ Les objectifs ont changé, les armements aussi, qui vont des modeles les plus rudimentaires aux plus sophistiqués.. Depuis, nous savons que la guerre peut-être faite pour la réligion, pour la justice, pour la survie….ou pour la guerre..donc pour bien plus des choses que comme « continuité de la politique » ##
**L´argument essentiel de Van Creveld est que la théorie de Clausewitz n´a plus de pertinence que pendant le court espace (temporel géographique**) de l´Europe modernem et ne vaut rien au-dèlà. S´appuye dessus aujourd´hui est courir á l´échec.
**
La grande question pour les penseurs militaires congolais est d´actualiser les connaissances modernes sur les théories militaires en se basant sur les réalités planetaires et non de s´enfermer dans des théories « classiques » qui ne correspondent plus aux réalités militaires de notre epoque.