Calendrier électoral : Un pari sur l’après-Kabila
Par Boniface Musavuli
Au Congo-Kinshasa, le calendrier électoral est enfin connu. Il a été rendu public ce dimanche 5 novembre 2017 par M. Corneille Nangaa, le président de la Commission électorale nationale (CENI), cible de fortes pressions, notamment américaines. En effet, une semaine plus tôt, Washington, par la voix de son émissaire en visite au Congo, Mme Nikki Haley, a ouvertement menacé le régime Kabila d’isolement diplomatique et d’actions unilatérales si les élections n’étaient pas tenues en 2018. « Nous avons la capacité de prendre nos décisions en fonction de cela », a menacé l’émissaire du président Donald Trump, une phrase qui rappelait celle de l’ambassadrice américaine Melissa Wells à Mobutu, en 1991 : « nous allons vous forcer à quitter le pouvoir, nous en avons les moyens ». Six ans plus tard, Mobutu fuyait Kinshasa. La menace des États-Unis a donc été prise au sérieux, mais c’est à contrecœur que le calendrier électoral a été publié, puisque Joseph Kabila et sa famille politique tablaient toujours sur le scénario d’une présidence à vie, envisageant même l’organisation d’un référendum pour forcer la modification des articles verrouillés de la Constitution. Au vu des conditions dans lesquelles ce calendrier a été publié, il faut s’attendre à une laborieuse mise en application, voire à une non-application pure et simple par l’actuel président de la CENI.
En effet, la rhétorique de Corneille Nangaa sur « les contraintes »[1] et les conditionnalités, qu’il assène, depuis qu’il a pris ses fonctions en octobre 2015, dissimule à peine son arrimage à la famille politique de Kabila, la MP, décidée à conserver le pouvoir le plus longtemps possible. Pour autant, et en dépit des résistances des franges extrémistes du régime[2], un certain réalisme recommande d’envisager sérieusement la fin du règne de Kabila, son sort étant désormais limité au débat sur le calendrier électoral, à raccourcir ou à étirer. Dans la présente analyse, nous essayerons d’examiner l’enjeu de la publication de ce calendrier électoral (I), les effets sur la majorité au pouvoir (II) et tenterons de nous projeter dans l’après-Kabila (III).
I. Le calendrier acte la fin de Kabila comme président
Décembre 2018 est une échéance lointaine à l’état actuel de l’exaspération des Congolais, de la tension politique et du climat sécuritaire délétère à travers le pays. Plusieurs observateurs estiment que ce délais pourrait ne pas être mené à son terme avec M. Kabila à la tête du pays, puisqu’une importante partie de l’opposition, à l’appui des accords de la Saint Sylvestre, envisage de ne plus le considérer comme président dès le 31 décembre 2017, voire de le forcer à quitter le pouvoir. Des manifestations vont donc se multiplier à travers le pays suivies de répressions ; un engrenage qui pourrait déraper à tout moment. Il est toutefois permis de croire qu’une certaine opinion nationale et internationale a pris acte du calendrier publié, et attend prendre Kabila et la CENI au mot.
En effet, la publication du calendrier électoral a toujours été la condition sine qua non du financement de la communauté internationale. Les bailleurs, et les partenaires traditionnels du Congo vont commencer à débloquer les fonds dans la perspective de décembre 2018, mais aussi à surveiller la mise en exécution du calendrier étape par étape par la CENI. Si des actes concrets et visibles se posent au fil de prochaines semaines, et que de nouvelles tentatives de sabotage sont déjouées à temps, la tension pourrait retomber dans l’opinion nationale et internationale. Mais cette chute des tensions dans l’opinion nationale et internationale sera synonyme de remous au sein de la famille politique de Kabila, et de ses dépendants en tous genre.
Tout ce beau monde va subitement se rendre compte que l’homme qu’il idolâtrait depuis deux décennies et qui, en échange, l’a enrichi sans effort, de façon ostentatoire, ne sera plus « le propriétaire du Congo et de ses richesses ». Du coup, les membres de la Majorité présidentielle, un assemblage des personnalités et des partis disparates[3], créé pour Kabila et alimenté par Kabila, va s’interroger sur sa raison d’être, dès lors que son autorité morale, en l’occurrence Joseph Kabila, va perdre le pouvoir à une date maintenant connue, c’est-à-dire perdre les caisses de l’Etat et le pouvoir de nomination.
II. Fissures en perspective et remous dans la Majorité présidentielle
Trois courants devraient rapidement se former.
Un premier courant d’alliés actuels va scruter les gestes du « Raïs » en se tenant prêt à s’aligner derrière l’éventuel dauphin qu’il devrait désigner. L’idée est que le candidat sur qui Kabila jettera son dévolu sera nécessairement le prochain « président élu », puisque le président de la Commission électorale, Corneille Nangaa, est un obligé de Kabila. Si l’élection présidentielle se tient pendant que Kabila est toujours à la tête du Congo, tout porte à croire que le président de la Commission électorale proclamera « président élu » l’homme que Kabila lui donnera injonction de proclamer « président élu ». Ce courant sait que le régime est vomi par la population, mais sait qu’il peut compter sur la fraude électorale et le contrôle sur l’administration électorale.
Un deuxième courant est celui des « fidèles » opportunistes qui vont prendre conscience que le régime est fini et qu’il faut tenter sa chance avec les forces du changement durant la période électorale, quitte à former les alliances après l’issue du scrutin.
Le troisième courant est celui des irréductibles qui vont continuer de s’accrocher à l’idée que Kabila doit se maintenir au pouvoir, contre vents et marées. En réalité, l’alternance au Congo dans les douze prochains mois, voire plus tôt ou plus tard, dépendra de la capacité de résistance que produiront les différents acteurs de ce troisième courant, qui ne sont pas tous visibles, puisqu’il peut s’agir des chefs d’Etat du Continent, des hommes d’influence dans les centres de décision en Europe et aux États-Unis, des lobbyistes payés, et des personnalités longtemps protégées par Kabila, et qui savent que la fin de son règne est synonyme d’ennuis, judiciaires notamment, pour toutes sortes de crimes, et des crimes ont vraiment été commis sous Kabila. Il est toutefois peu probable que ce courant parvienne à changer le cours des choses et à offrir à Kabila un nouveau cycle de présidence sanctionné par un vote des électeurs congolais.
La page Kabila est en train d’être tournée ! La publication du calendrier électoral signifie que les Congolais peuvent commencer à rêver du Congo de l’après-Kabila, qui ne sera pas pour autant un pays de cocagne.
III. Compte à rebours et basculement dans l’après-Kabila
Comme nous l’avons indiqué plus haut, le départ de Kabila peut être provoqué par un débordement de la colère populaire ou d’un chaos sécuritaire, provoqué ou pas. Il faut toujours garder à l’esprit le fait que le régime a instrumentalisé des crises locales jusqu’aux chaos extrêmement meurtriers comme à Beni[4] et dans le Kasai[5], et qu’il envisageait d’en faire autant dans l’espace Kongo en provoquant l’évasion des prisonniers de Makala, dont un certain Ne Muanda Nsemi. Des chaos que le même régime et le président de la CENI, ont ensuite présentés aux partenaires internationaux du Congo au titre de prétexte à la non-tenue des élections. Ces pratiques cyniques ont créé dans une certaine opinion l’idée selon laquelle Kabila n’organisera jamais des élections, et qu’il faut le forcer à quitter le pouvoir, y compris par les armes. Dans un tel environnement, l’initiative d’un nouveau chaos sécuritaire pourrait enclencher un enchainement des évènements difficiles à maitriser et précipiter la chute d’un régime que la communauté internationale n’essayera pas de sauver, puisqu’elle le considère d’ores et déjà comme étant fini. Dans ce scénario, l’après-Kabila devra se décliner en deux phases : une transition dirigée par la personnalité qui émergerait de la vague populaire, et des élections auxquelles les fidèles jusqu’au-boutistes de Kabila ne devraient pas être conviés, comme cela est d’usage lorsque les changements s’opèrent par la rue.
L’autre scénario est donc celui d’un processus électoral qui irait jusqu’à son terme et qui verrait Kabila remplacé par un président élu, une première dans l’histoire du Congo-Kinshasa. Cet homme (ou femme) pourra être le dauphin de Kabila, proclamé président élu par la CENI, soit en raison des fraudes massives[6], soit en raison d’une dispersion des votes de l’opposition. Pour rappel, depuis que l’élection présidentielle est à un tour[7], c’est le candidat qui arrive en tête qui sera proclamé président, même avec un score de loin inférieur à 50%, ce qui devrait plonger le pays dans une nouvelle crise de légitimité.
Il sera quasiment impossible que les kabilistes, s’ils tiennent toujours le pays, surmontent cette crise sans procéder à de profonds changements en interne, voire à la recomposition complète de l’espace politique en mettant plusieurs d’entre eux à l’écart. Joseph Kabila lui-même avait procédé à la mise en écart des fidèles de son prédécesseur de « père » Laurent-Désiré Kabila, pour les remplacer par des personnalités avec qui il se sentait en confiance (les RCD-Goma et les anciens mobutistes). Ce qui est certain est que le départ de Kabila, dont le compte à rebours a été enclenché avec la publication du calendrier électoral, va entrainer une recomposition de l’espace politique congolais, quelle que soit l’influence que celui-ci s’efforcera d’avoir sur son successeur, dauphin ou pas. En gros, l’Homme de Kingakati n’est pas le seul à être concerné par le compte à rebours enclenché ce dimanche 5 novembre 2017.
Boniface Musavuli
Coordonnateur DESC
Référence
[1] L’analyste Alain-Joseph Lomandja, soupçonnant la CENI de n’avoir aucune volonté d’organiser les élections, résume la logique de Corneille Nangaa en ces termes : « le calendrier que nous allons publier sous la contrainte ne sera pas respecté à cause des contraintes que nous ne cessons de vous présenter ». Cf. A-J Lomandja, « Le calendrier électoral, une Affaire d’Etat au Congo-Kinshasa ? », http://afridesk.org/fr/calendrier-electoral-affaire-detat-congo-kinshasa-alain-joseph-lomandja/.
[2] Jean-Jacques Wondo croit savoir que Kabila et ses fidèles, misant sur l’échec d’une solution politique pacifique, sont dans la logique d’un jusqu’auboutisme qui mènerait à une confrontation de type militaire. Les quelques actes d’ouverture actuels ne sont que des manœuvres de diversion qui s’inscrivent dans la stratégie du talk and fight : « Dans la stratégie rwandaise de « Fight and talk », la politique se fait par la force. Et lorsqu’on est mis en difficulté, on recourt à la négociation pour gagner du temps et divertir son adversaire le temps de se requinquer militairement. Une fois requinqué, on pousse la négociation à l’échec pour poursuivre la politique par la force ou les armes ». Cf. JJ Wondo, « La guerre, ce sera certainement la continuation du glissement de Kabila par d’autres moyens », afridesk.org/fr/guerre-sera-certainement-continuation-glissement-de-kabila-dautres-moyens-jj-wondo/.
[3] L’analyste Jean-Bosco Kongolo décrit la famille politique de Kabila, la MP, en ces termes : « En parcourant la liste des signataires de l’acte constitutif de cette plate-forme, l’on se rend compte que l’unique préoccupation était de faire le plein arithmétique, consistant à ratisser le plus large possible, sans que le PPRD, qui en était la locomotive, se soucie de n’y admettre que ceux qui partageaient son idéologie et ses valeurs, si évidemment il en existe. En 2006 comme aujourd’hui, la plate-forme présidentielle demeure caractérisée par des alliances contre nature mêlant dans un même panier des socialistes et des libéraux, des Lumumbistes et des résidus du MPR, des dissidents de l’UDPS et des rescapés de tous les partis politiques phares des années 90, ceux du conglomérat d’aventuriers de l’AFDL et des vagabonds politiques, tout terrain, comparables aux prostituées dont l’argent est le seul lien qui les unit aux personnes qui sollicitent leurs services, des personnalités « indépendantes » qui n’ont que faire de leur image auprès de la population, d‘anciens rebelles, transfuges des différentes milices, des musulmans et des chrétiens dans la pluralité de leurs cultes et valeurs éthiques, des unitaristes et des fédéralistes, etc. Peu nombreux au départ, les membres de cette plate-forme ont vu leur nombre augmenter de manière exponentielle au fur et en mesure que le gâteau à partager devenait plus attrayant et que, du côté de l’opposition, le retour d’Etienne Tshisekedi sur la scène électorale se précisait en prévision de la présidentielle de 2011. C’est ainsi qu’à l’approche des élections de 2011, le nombre des partis politiques officiellement enregistrés au ministère de l’Intérieur avait dépassé le chiffre de 400, dont la plupart étaient créés à l’initiative du PPRD, juste pour diviser l’opposition et surtout faire diversion auprès des lecteurs, souvent incapables de distinguer l’appartenance politique et idéologique des candidats députés. Cf. JB Kongolo, « RDC : La majorité présidentielle, plus fragile qu’on ne s’imagine », http://afridesk.org/fr/rdc-la-majorite-presidentielle-plus-fragile-quon-ne-simagine-jean-bosco-kongolo/.
[4] Pour en savoir plus sur l’implication du régime Kabila dans les massacres de Beni, lire l’ouvrage LES MASSACRES DE BENI – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes, https://www.amazon.fr/dp/152170399X.
[5] Pour en savoir plus sur l’implication du régime Kabila dans les massacres du Grand Kasai, lire « RDC : Violences au Kasai/La réaction de l’armée/Des preuves en image », in webdoc.rfi.fr/rdc-kasai-violences-crimes-kamuina-nsapu/chap-02/.
[6] Déçus par les opposants congolais, les Américains seraient disposés à soutenir un dauphin désigné par Kabila, quelles que soient les conditions de son élection, selon le chercheur américain Jason Stearns sur rfi.
[7] Article 71 (modifié par l’article 1er de la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo). Le Président de la République est élu à la majorité simple des suffrages exprimés.
One Comment “Calendrier électoral : Un pari sur l’après-Kabila – B. Musavuli”
GHOST
says:¤ LA VITESSE, MAIS Á QUELLE VITESSE ?
Le calendrier électoral c´est réellement le compte á rebours pour l´exit de Kabila. Mais á quelle « vitesse » de l´exit ne repose pas sur des élections projetée si loin fin 2018*
Les congolais savent très bien que Kabila a obtenue un mandat « temporaire » d´un an grâce á la Cenco. Mais quel est le bilan de ce mandat hors constitution sinon plus d´insécurité, les salaires impayés parfois depuis 10 mois, plus de souffrance, plus des deplacés internes, plus de pillages des ressources de la RDC et un delabrement constant de la RDC comme « Etat ».
Si les congolais acceptent de lui accorder un de plus, ils doivent quand se dire que Kabila n´a jamais été un facteur de stabilté économique, politique ou sécuritaire.
Quand on nous annonce des élections dans 12 mois, aucun des prisoniers politiques n´a été relaché, l´espace médiatique est toujours sous repression, le droit de manifester des congolais n´a pas eu lieu pendant la présidence temporaire…au contraire, la repression est devenue plus feroce.
Les congolais devraient tirer un enseignement de cette « transition » fabriquée par la Cenco et ainsi decider de la vitesse qu´il faut pour s´assurer l´exit de Kabila bien avant les 12 mois que Nangaa lui accorde.