Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 02-11-2017 11:00
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Le calendrier électoral, une « Affaire d’Etat » au Congo-Kinshasa ? – Alain-Joseph Lomandja

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Le calendrier électoral, une « Affaire d’Etat » au Congo-Kinshasa ?

Par Alain-Joseph Lomandja

Au Congo de Joseph Kabila, le processus électoral piétine de manière délibérément calculée. Les jours et les mois se succèdent et se ressemblent. Le calendrier électoral, instrument préalable à toutes les activités préélectorales et électorales, semble être devenu une « affaire d’Etat ». Promise depuis plusieurs mois, sa publication sans cesse « imminente » est constamment repoussée, révélant par là qu’il s’agit d’une question hautement sensible. A la place de cette publication du calendrier électoral, le Président de la CENI se contente de bombarder[1] des chiffres peu crédibles. De Bruxelles à New York, de Paris à Washington, de Kinshasa à Addis-Abeba[2], M. Nangaa que certains considèrent comme politiquement proche du Président Kabila, tente de passer en douceur, à défaut de convaincre.

Cette analyse montre comment le calendrier électoral est devenu la clé de voûte de la stratégie de glissement technique ; elle souligne ensuite la probabilité de la publication prochaine d’un calendrier sous conditions. A cause des pressions[3] (américaines, notamment), la CENI qui annonce la publication du calendrier pour la semaine en cours[4], risque en effet de publier un calendrier électoral soluble dans les contraintes et les conditionnalités. A considérer le discours officiel de la CENI, on se dit que ce calendrier sera probablement truffé de tant de conditionnalités qu’il n’aura aucun caractère contraignant, chaque contrainte pouvant être politiquement exploitée pour dédouaner le pouvoir et la CENI de leurs responsabilités face à la Nation. Nous esquisserons, pour finir, quelques hypothèses sur la date probable des élections qui sera retenue dans ce calendrier.

1. Des chiffres fantaisistes qui donnent à penser…

En matière de précision technique, mais en fait d’une technicité d’apparence, le Président de la CENI s’est montré très doué. Après les « 16 mois et 1 jour » très précis et nécessaires à l’enrôlement des électeurs, voici les « 504 jours » incompressibles et nécessaires à l’organisation des élections après la fin de l’enregistrement des électeurs. A la limite de la pure objectivité scientifique comme en physique, quoi ! Et pourtant, il suffit d’y regarder de près pour s’apercevoir qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’un enfumage. Partant des élections de 2006 et 2011, nous avons démontré de manière détaillée[5] le caractère fantaisiste des chiffres bombardés en dehors de toute planification des activités préélectorales et électorales. Quelques brèves illustrations suffiront ici pour pousser à prendre avec des pincettes cette technique oratoire du Président de la CENI.

Et d’abord une observation générale. Il y a comme une sorte de contradiction ou d’incohérence dans les propos de M. Nangaa. Si en effet, il y a tant de contraintes qui bloquent l’organisation des élections et si celles-ci sont réelles, comment arrive-t-on à des chiffres aussi précis sans calendrier ? Les contraintes traduisent en principe une situation difficile à prévoir. En d’autres termes, à cause des contraintes en présence, il serait difficile de dire exactement quand une activité sera réalisée et/ou terminée. Mais comment fait M. Nangaa pour avoir des chiffres aussi précis dans ce contexte d’imprévisibilité ? Et pourquoi cela ne marche-t-il qu’à sens unique, celui de la prolongation des délais ? Pourquoi ne pas prouver la véracité de ces délais bombardés à travers la publication d’un calendrier qui en montrerait l’incompressibilité ?

Revenons maintenant aux chiffres bombardés. Quand, contrairement à ce qui a été fait en 2005 et 2011[6], M. Corneille Nangaa annonçait aux congolais qu’il lui fallait 16 mois et 1 jour[7] pour finir l’enrôlement des électeurs, certains y ont vu la marque d’une expertise indiscutable. Ce délai qui commençait en février 2016, courrait donc en principe jusqu’au 1er Juin 2017. Quelques jours plus tard, tout en continuant de parler de ses « 16 mois et 1 jour », le même Président de la CENI fixait officiellement la fin des opérations d’enrôlement des électeurs au 31 juillet 2017, passant du coup et sans explication aucune, de 16 mois et 1 jour à 18 mois. Le premier chiffre bombardé tombait à l’eau, nous laissant la conviction d’une précision technique d’apparence. Bien avant les tristes événements du Kasaï, M. Nangaa montrait déjà qu’il ne respecterait même pas ses propres délais. L’enregistrement des électeurs dans les Kasaï nous offre un autre exemple. Les opérations ont été lancées au début du mois de septembre et doivent durer 3 mois, en principe. Au 27 octobre 2017 (presque 2 mois après le lancement desdites opérations), 515 Centres d’enrôlement sur les 822 prévus n’étaient toujours pas opérationnels, selon Radio Okapi[8].

En Juillet 2017, M. Nangaa qui parle de l’impossibilité d’organiser les élections en décembre 2017, annonce des élections les plus rapprochées de cette date[9]. Quelques semaines lui suffiront à opérer un virage à 180° et à bombarder le chiffre de 504 jours dits nécessaires, selon lui, à l’organisation des élections après la fin des opérations d’enrôlement des électeurs. Une rétrospective historique montre que, en 2006, entre la fin de l’enrôlement (15 février 2006) et l’organisation des élections présidentielles et législatives (30 juillet 2006), la CEI a eu besoin de 164 jours. En 2011, entre la fin de l’enrôlement (30 juin 2011) et les élections du 28 novembre 2011, juste 150 jours ont été nécessaires. De là à sauter à pieds joints jusqu’aux fameux 504 jours de M. Nangaa, il y a un tel écart que le seul ajout des élections provinciales ne suffit pas à justifier. Même si, pour 2006, on ajoutait les 89 jours de préparation des élections provinciales combinées au second tour de la présidentielle (Du 1er août au 29 octobre 2006), on se trouve à 253 jours, c’est-à-dire la moitié de ce que propose M. Corneille Nangaa. On sait par ailleurs que certaines activités préélectorales se déroulent à des niveaux différents (national et provincial), ce qui les déconcentre et permet de les réaliser simultanément ou parallèlement.

2. Des pseudo-raisons officielles de la non publication du calendrier électoral

Un calendrier électoral joue un rôle clé dans un processus électoral. Il ne définit pas seulement le cadre opérationnel des activités préélectorales et électorales, mais il assure la visibilité de tout le processus, sa conformité aux lois du pays et aux standards internationaux et permet, par son caractère contraignant, une mobilisation efficace des moyens logistiques et des ressources financières. Dans le cas du Congo-Kinshasa, on sait par exemple que la publication du calendrier électoral a toujours été la condition sine qua non du financement de la communauté internationale. Le sachant très bien, la CENI et le pouvoir ont bloqué la publication du calendrier électoral, tout en se plaignant de l’absence de l’appui financier des occidentaux. La non publication du calendrier électoral entraîne automatiquement le blocage du processus électoral et représente un gain de temps dans la logique du « glissement » technique.

Pour nous rafraîchir la mémoire, voici les arguments ou prétextes, c’est selon, utilisés par la CENI pour justifier jusqu’à présent la non publication du calendrier électoral :

  • La CENI a publié un calendrier électoral en février 2015. Ce calendrier n’a été respecté par personne. On ne peut pas publier d’autres calendriers qui vont être contestés de la même manière. Mais qu’est-ce qui prouve que le prochain sera respecté ?
  • Le fichier de 2011 est infesté et il faut d’abord reprendre l’enrôlement des électeurs avant toute publication d’un calendrier électoral. On ne peut publier un calendrier électoral qu’à la fin des opérations d’enrôlement des électeurs. Le faire avant équivaudrait à mettre la charrue avant les bœufs. Pourtant le calendrier sera probablement publié avant la fin des opérations d’enrôlement.
  • Il faut au préalable une garantie absolue de la disponibilité des moyens financiers et logistiques avant la publication du calendrier. Mais le calendrier sera probablement publié sans que cette condition soit remplie. On sait d’ailleurs que c’est l’inverse qui est vrai : c’est la publication du calendrier électoral, cadre opérationnel contraignant, qui permet la mobilisation des moyens, comme nous venons de le rappeler.
  • Il faut d’abord une concertation entre la CENI, le CNSA et le Gouvernement avant la publication du calendrier électoral. Pourtant, on ne voit nulle part où l’accord conditionne la publication du calendrier électoral à cette concertation. Les trois institutions se sont réunies pour décider de la prolongation d’un calendrier inexistant.

Au-delà de ces prétextes, on s’aperçoit vite que le calendrier est devenu une affaire d’Etat. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer les réactions souverainistes et instantanées de la CENI et de la MP chaque fois que la communauté internationale réclame la publication du calendrier. Il suffit surtout de considérer la répression dans le sang des activistes des mouvements citoyens qui osent exiger cette publication du calendrier électoral.

3. Un calendrier soluble dans les conditionnalités ?

A quoi va ressembler le prochain calendrier que la CENI s’apprête à publier ? Nul ne peut le dire aujourd’hui. Mais les dépêches de la CENI qui insistent plus sur les contraintes qui accompagneront ce calendrier[10], font croire qu’il va s’agir d’un calendrier soluble dans les conditionnalités. En effet, à force d’insister sur les contraintes, les responsables de la CENI semblent envoyer un message subliminal à la Nation : le calendrier que nous allons publier sous la contrainte ne sera pas respecté à cause des contraintes que nous ne cessons de vous présenter.

En attendant la publication du calendrier, nous nous autorisons la formulation de quelques hypothèses ou cas de figure :

  • Hypothèse des 504 jours: Cette hypothèse renvoie les élections à 2019, sans garantie que d’autres rebondissements et glissements ne surgiront pas. C’est l’hypothèse la plus probable, au regard de la dépendance de M. Corneille Nangaa vis-à-vis du Pouvoir. Un calendrier électoral basé sur cette hypothèse signifiera un passage en force du Président Kabila et aura deux conséquences probables : l’augmentation inévitable des tensions politiques internes et la dégradation des relations entre le pouvoir de Kinshasa et la « Communauté Internationale ». C’est le scenario du chaos au sens propre.
  • Hypothèse décembre 2018: suite aux pressions américaines, la CENI pourrait concéder de fixer la date des élections à la fin de l’année 2018. Cette hypothèse serait celle d’une paix provisoire avec les américains  dont les sanctions financières pourraient faire mal. C’est le scenario diplomatique qui ne tardera pas à se nourrir de la stratégie du glissement technique à la faveur des violences, des problèmes de sécurité ou de la baisse des pressions extérieures.

Le vote (semi-)électronique imposé par la CENI et la MP volera au secours des deux premiers cas de figure pour justifier les délais élastiques décrétés à l’avance. A ce sujet, on peut se référer à notre article sur les enjeux et les risques de ce mode de vote au Congo Kinshasa[11].

  • Hypothèse Juin 2018: C’est l’hypothèse du Rassemblement de l’Opposition. Elle a très peu de chance d’être pris en compte par la CENI. Et pourtant, en situation normale, elle est la plus proche des délais techniquement nécessaires. Elle suppose avant tout que la CENI renonce à étaler dans le temps des activités préélectorales qui peuvent être réalisées simultanément.
  • Hypothèse d’une présidentielle séparée des législatives et des provinciales : C’est l’hypothèse qui prend en compte la vraie cause de la crise politique actuelle, à savoir le blocage artificiel de l’alternance au sommet de l’Etat, n’a pour l’heure aucune chance d’être retenue par la CENI.

    4. Conclusion

Le calendrier électoral que la CENI s’apprête à publier, est celui de tous les enjeux : l’avenir politique du Président Kabila, la paix sociale et la cohésion nationale, le financement des élections, les relations du Congo Kinshasa avec la communauté internationale, etc. en dépendent. C’est aussi à l’aune de ce calendrier que nous pourrons évaluer le degré d’indépendance réelle du Président de la CENI face au Pouvoir de Kinshasa. Enfin, il sera un test grandeur nature de la volonté politique de Kinshasa d’aller aux élections en vue de la première alternance démocratique de l’histoire du pays. Wait and see !

Alain-Joseph Lomandja, Analyste électoral, ancien senior expert électoral auprès de Carter Center.

Références

[1] En langage très peu diplomatique, le chef de la diplomatie belge a parlé des chiffres qu’on ne peut lancer comme ça cf. http://www.politico.cd/actualite/2017/10/30/didier-reynders-a-maison-blanche.html .

[2] On peut trouver les détails de ces voyages et rencontres du Président de la CENI sur la page Facebook de cette organisation. Cf. https://www.facebook.com/cenirdcongo .

[3] Le Conseil de Sécurité des Nations-Unies a, dans une déclaration datée du 30 octobre 2017, renouvelé sa demande de publication urgente d’un « calendrier électoral réaliste ». Cf. https://www.un.org/press/fr/2017/sc13048.doc.htm .

[4] Cf. http://www.ceni.cd/articles/le-vice-president-de-la-ceni-norbert-basengezi-katintima-recoit-lenvoye-special-de-la-grande-bretagne-simon-mustard .

[5] Cf. par exemple nos articles  http://afridesk.org/fr/les-pieges-dune-transition-politique-au-processus-electoral-en-rd-congo-apres-le-dialogue-aj-lomandja/  et http://afridesk.org/fr/peut-on-encore-organiser-des-elections-credibles-et-apaisees-en-rdc-dans-les-delais-constitutionnels-alain-joseph-lomandja/ .

[6] Pour les dates et délais pour tout le processus d’enrôlement des électeurs en 2005 et 2011, cf. notre article http://afridesk.org/fr/peut-on-encore-organiser-des-elections-credibles-et-apaisees-en-rdc-dans-les-delais-constitutionnels-alain-joseph-lomandja/ .

[7] Il y a eu d’abord la proposition de 13 mois pour l’enrôlement en référence au calendrier de février 2015, avant le lancement des 16 mois et 1 jour.

[8] Cf. https://www.radiookapi.net/2017/10/27/actualite/politique/kasai-515-centres-denrolement-sur-les-822-prevus-toujours-pas .

[9] Cf. Son interview sur Rfi http://www.rfi.fr/emission/20170711-corneille-nangaa-ceni-decembre-2017-trop-tot-elections .

[10] Cf.  http://www.ceni.cd/articles/le-vice-president-de-la-ceni-norbert-basengezi-katintima-recoit-lenvoye-special-de-la-grande-bretagne-simon-mustard.

[11] http://afridesk.org/fr/enjeux-defis-risques-vote-semi-electronique-rd-congo-alain-joseph-lomandja/ .

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