Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 30-10-2017 13:00
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Attaques de Beni : L’ennemi se cache dans l’armée – B. Musavuli

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Attaques de Beni : L’ennemi se cache dans l’armée

Par Boniface Musavuli

Le territoire de Beni est à nouveau la proie d’attaques meurtrières, après une accalmie de huit mois, qui durait depuis le 31 décembre 2016. Cinq personnes ont été tuées à Kudukudu le 2 septembre 2017. Un mois plus tard, 26 corps, les mains attachés dans le dos, ont été retrouvés après le massacre du 7 octobre à PK40 sur la route Mbau-Kamango. Deux jours plus tard, deux casques bleus tanzaniens ont été tués au cours d’une attaque contre leur position à Mamundioma. Le 18 octobre, le convoi du général Marcel Mbangu, commandant de l’Opération Sukola 1 Nord, est tombé dans une embuscade à PK16 au cours de laquelle un de ses gardes du corps a été tué. Le 26 octobre, le quartier Boikene, au nord-est de la ville, a été le théâtre d’affrontements qui ont coûté la vie à trois soldats et deux civils, selon des témoins. Qui est derrière cette nouvelle flambée de violence et quelles sont ses motivations ?

Comme depuis le début, les attaques, jamais revendiquées, ont été attribuées par le pouvoir de Kinshasa aux « rebelles islamistes ougandais ADF ». Une vidéo sur laquelle apparaît un homme barbu de type arabe a même été diffusée. Cette version a pourtant déjà été  contestée dans plusieurs rapports d’enquêtes, dont ceux de DESC. Y-a-t-il du nouveau depuis cette nouvelle vague des violences ? Oui. Une femme s’est confiée à DESC. Nous livrons ici son témoignage.

La mère d’Oicha, son fils FARDC et les témoins

Madame Hélène K*. habite à Oicha, une des villes du territoire de Beni les plus touchées par la campagne des massacres débutée en octobre 2014. Elle s’est confiée à DESC en ces termes : « Mon fils Samy[i] s’est engagée dans l’armée début 2016. Il a été envoyé à Kamina. Il m’a toujours appelée pour me donner de ses nouvelles, et j’ai toujours réussi à le joindre, chaque fois que j’avais envie de lui parler. Après sa formation à Kamina, il a été envoyé à Kananga. En juillet dernier, il m’a appelée et m’a dit qu’il se trouvait à Beni. Il a dit qu’il viendrait me voir. Mais au lieu de cela, il m’a à nouveau appelée pour me dire qu’il se trouvait à Komanda et que son groupe va être envoyé à Chomia. Depuis, il ne m’appelle plus et moi, je n’arrive pas à le joindre ». A la question de savoir si Hélène K. s’est renseignée auprès des camarades de son fils ou d’autres militaires FARDC, elle nous livre ce témoignage : « Un officier m’a appris que son fils, à lui aussi, faisait partie du groupe envoyé dans le secteur de Chomia. Il dit qu’il a reçu l’appel de son fils lui disant ‘’papa, c’est nous qui lançons des attaques contre vous’’ ». Hélène K. dit qu’elle a essayé d’avoir les nouvelles de son fils auprès de cet officier, mais ce dernier ne parle plus. Elle s’est alors confiée aux officiels de la MONUSCO.

DESC lui a demandé si son fils n’aurait pas déserté l’armée pour rejoindre les maquis des « égorgeurs ». Elle a répondu qu’un acte pareil de son fils était impossible. Lorsque Samy est entré dans l’armée, il avait déjà en mémoire plus d’un an de massacres qui endeuillaient Beni. Samy disait que la seule façon de mettre fin à ces massacres, c’était que les jeunes de Beni entrent massivement dans l’armée pour se battre en première ligne contre les « égorgeurs ». Elle nous a aussi appris que son fils se sentait personnellement affecté parce qu’un membre très important de la famille avait été tué au cours du massacre de Tenambo, en octobre 2014. C’était l’oncle de sa mère qu’il considérait comme son grand-père, et à qui il était très lié.

Ce témoignage rejoint plusieurs autres reçus de la part des victimes du 7 octobre, peu avant leur mise à mort. Un habitant de Beni qui a perdu un fils et un cousin nous a transmis ce message que le cousin lui a envoyé juste au moment où il apercevait les militaires sans se douter de rien : «  njia ina fungwa ba solda bana sema mbele yetu kuko problème » (le chemin est bloqué. Les militaires disent qu’il y a un problème un peu plus loin sur la route). Juste après ce message, les téléphones ont cessé de répondre, mais les familles étaient rassurées par l’idée que les leurs étaient entre les mains de l’armée. Le 15 octobre 2017, plusieurs corps en décomposition seront retrouvés sur les lieux, la plupart les mains attachées dans le dos, une pratique déjà utilisée lors de plusieurs massacres précédents, dont notamment le massacre de Vemba et Tepiomba, en novembre 2014. Les autorités n’ont même pas permis aux familles de récupérer les corps des leurs, qui ne savent pas dans quelles conditions ces derniers ont été enterrées, ni même s’ils l’ont été[ii]. Le pouvoir, à Beni, ne veut plus de cérémonie par crainte – logique – d’affronter la colère populaire.

Pour revenir à PK40, en plus du témoignage des deux victimes qui ont contacté leur parent à Beni, un rescapé a témoigné. Il a affirmé que les tueurs étaient tout simplement des militaires FARDC, portant des uniformes neufs et l’équipement normal des unités déployées à Beni. Il dit qu’il y avait même une position des FARDC, non loin de là, tenue par des militaires habillés de la même façon.

Des militaires, victimes de leur propre armée ?

Après l’attaque contre le convoi du général Mbangu, le 18 octobre 2017, une première analyse livrée par Jean-Jacques Wondo, Administrateur de DESC, est que les militaires FARDC à Beni sont en train d’être décimés par un réseau parallèle opérant à partir de leur propre hiérarchie. Il rappelle que les ADF n’existent plus en tant que force militaire organisée depuis que le mouvement a été défait par le général Jean-Lucien Bahuma, en avril 2014. Jean-Jacques Wondo fait remarquer que, même à l’époque où ils étaient actifs, les ADF opéraient avec un faible armement et procédaient surtout à des prises d’otages. Ce qui n’est plus le cas des assaillants de Beni depuis octobre 2014, qui utilisent l’arme lourde (fournie par les FARDC) et les méthodes violentes d’attaque similaires à celles des tueurs rwandais.

Dans l’ouvrage, « Les Massacres de Beni – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes », nous décrivons les réseaux par lesquels ces tueurs ont été acheminés au fil des mois jusque dans les maquis de Beni, et les complicités dont ils ont bénéficié de la part des autorités de Kinshasa, de Goma et même de Beni.

Pour revenir aux attaques qui déciment civils et militaires à Beni, depuis trois ans, rappelons que la première victime emblématique fut le colonel Mamadou Ndala, assassiné dans une embuscade tendue par ce réseau parallèle des FARDC à Ngadi, le 2 janvier 2014. Un crime que le pouvoir de Kinshasa s’empressa d’attribuer aux « rebelles islamistes ougandais ADF ». S’en suivra un procès bidon devant la Cour militaire opérationnelle de Beni où le principal témoin[iii] déposa masqué[iv] après avoir passé plusieurs mois à Kinshasa. Le successeur de Mamadou Ndala, à la tête de l’Opération Sukola 1, le général Bahuma, mourut en août 2014 d’un empoisonnement au cours d’une mission de travail en Ouganda. Plusieurs dizaines d’autres militaires vont périr dans cette guerre où les mensonges font plus de mal que les balles parce qu’ils empêchent d’identifier et de localiser le véritable ennemi pour qu’il soit combattu efficacement. La situation devrait perdurer tant que ce réseau ennemi continue de bénéficier de la couverture de la hiérarchie des FARDC et d’un discours officiel sur ces imaginaires « rebelles islamistes ougandais ADF ». Pourquoi ?

Parce que la crise de Beni est avant tout un terrorisme d’État conçu pour saboter le processus électoral et attirer les pays occidentaux au chevet d’un Congo qui serait devenus un bastion du terrorisme islamiste. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les Occidentaux sont très sensibles à la « menace islamiste » et s’empressent de soutenir les États qui y sont confrontés, même lorsqu’il s’agit des dictatures[v]. Une certaine sympathie vis-à-vis du régime de Kinshasa et des alliances militaires étaient escomptées par les têtes pensantes de ce terrorisme « Inside job ». Sur le terrain, les exécutants, présentés comme des « rebelles islamistes ougandais ADF », sont, en réalité, des tueurs rwandais, acheminés à Beni par le pouvoir de Kinshasa, et qui poursuivent les objectifs stratégiques du Rwanda de Kagame. En effet, depuis l’AFDL, des franges entières des Rwandais sont endoctrinées par le discours du régime tutsi de Kigali selon lequel tout l’Est du Congo fut la propriété du « Grand Rwanda de Rwabugiri », dont la carte fut exhibée par le président Bizimungu, en octobre 1996. Tout Rwandais aurait ainsi une mission sacrée de reprendre ces terres aux autochtones congolais ; d’où la cruauté avec laquelle des familles entières sont décimées à Beni, sous la couverture de l’armée. Une armée que le Rwanda a pris le temps d’infiltrer, de noyauter et d’émasculer. Et pendant que Kinshasa parle d’islamistes, des milliers de Rwandais s’installent sur les terres abandonnées par les autochtones congolais.

Kinshasa et Kigali ont ainsi trouvé un point d’accord sur les cadavres de Beni et sur fond d’un islamisme imaginaire qui leur sert de couverture.

Conclusion

Ce cocktail meurtrier, « Kinshasa-Rwanda », va continuer de briser des vies à Beni, des civils comme des militaires, à moins que de bonnes décisions ne soient rapidement prises. Comme nous l’avons rappelé sur les ondes de Radio Okapi et dans notre pétition[vi], il faut amener la Cour pénale internationale à intervenir dans la crise de Beni, en délivrant des mandats d’arrêt contre les officiers impliqués dans les massacres, et dont les noms sont clairement mentionnés dans les rapports de l’ONU. Le général Mundos, dont le parcours des troupes correspond au témoignage de la Mère d’Oicha, et qui est considéré comme le chef d’orchestre des massacres, pour le compte du pouvoir, continue d’opérer à Beni, en dépit du bon sens. L’histoire nous apprend que les massacres de même nature au Darfour et en Ituri, par exemple, n’ont cessé que lorsque la CPI a lancé des mandats d’arrêt contre des responsables politiques et militaires soudanais et des chefs de milice ituriens[vii]. Face à l’incurie de la justice congolaise et à la complicité du pouvoir de Kinshasa,  seule la piste de la CPI s’impose pour les victimes, en attendant que le Congo se dote d’une nouvelle gouvernance.

Boniface Musavuli, Coordonnateur DESC

Exclusivité DESC.

 Auteur des ouvrages :

– « Les Génocides des Congolais (2016) »,

– « Les Massacres de Beni (2017) ».

Références :

[i] Nous avons modifié les noms pour des raisons évidentes de sécurité.

[ii] En août 2016, des témoins avaient signalé des corps jetés dans la Semliki.

[iii] Le chercheur américain Daniel Fahey a révélé que ce fameux témoin n’est autre qu’un certain Adrian Muhumuza, le sujet ougandais connu pour avoir « vendu » à la MONUSCO la thèse mensongère des « islamistes à Beni ». L’homme fut récompensé par le pouvoir de Kinshasa qui le nomma « colonel des FARDC », malgré son implication, par ailleurs, dans le recrutement des tueurs à Beni.

[iv] B. Musavuli, Les Massacres de Beni, pp. 66-67, https://www.amazon.fr/dp/152170399X.

[v] « L’islam radical est devenu un outil pratique pour les régimes dictatoriaux qui ont besoin de justifier leur répression interne et de s’attirer les bonnes grâces des puissances du Nord », Thierry Vircoulon, « Les ADF, une menace extrêmement utile pour la RDC et l’Ouganda », in ifri.org, 13 février 2017.

[vi] « Massacres de Beni : La pétition et le troisième anniversaire», afridesk.org/fr/massacres-de-beni-petition-troisieme-anniversaire-desc/.

[vii] Trois chefs de milices responsables de violences en Ituri ont été arrêtés et poursuivis devant la Cour pénale internationale : Thomas Lubanga, condamné le 1er décembre 2014 pour crimes de guerre ; Germain Katanga, condamné le 24 mars 2014 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Matthieu Ngudjolo Chui, poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, a été acquitté le 27 février 2015. Dans l’affaire des crimes en Ituri, le procès de Bosco Ntaganda, chef militaire de Thomas Lubanga, a débuté le 2 septembre 2015.

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