Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 07-04-2014 16:04
7410 | 0

Avant-propos poignant du Major Jan Vansevenant dans « Les armées au Congo-Kinshasa»

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Avant-propos du Major Jan Vansevenant dans l’ouvrage « Les armées au Congo-Kinshasa… »

Livre-JJWondoLorsque Jean-Jacques Wondo Omanyundu m’a demandé d’écrire ces quelques mots, je me suis posé la question quelle pourrait bien être ma modeste contribution à cet ouvrage plus que complet sur l’évolution des forces armées au Congo et ce, depuis l’époque coloniale jusqu’à nos jours ! Certes, je suis un militaire à la retraite, j’ai passé une grande partie de ma vie au Congo, j’y suis né, j’y ai fait une partie de mes études, j’y ai connu la Force Publique, j‘y ai œuvré pendant des nombreuses années au sein des Forces Armées Zaïroises dans le cadre de la Coopération Militaire Belge pour enfin terminer ma carrière militaire en 1998 comme Attaché Militaire Adjoint auprès de l’Ambassade du Royaume de Belgique à Kinshasa.

Avant de « profiter » de ma retraite, j’ai pu encore sillonner dans une vingtaine de pays d’Afrique pendant deux ans pour ensuite et enfin, et ce pendant plus de 12 ans, me lancer corps et âme dans la cause congolaise. Ce parcours me permet peut-être d’avancer quelques réflexions / remarques sommaires et de fustiger quelques contrevérités.

Le Congo : Quatre-vingt fois la Belgique, quatre fois la France ! Un sous-continent allant de la Suède à l’Espagne et de la France à la Russie avec ses problèmes aux dimensions de sa taille ! Comment développer un sous-continent alors que ses partenaires ne visent que le gros profit à court terme et ce au détriment des autochtones ? Comment gérer un sous-continent à la satisfaction de ses habitants alors que la moitié du globe l’envie et que l’autre moitié se livre à un pillage systématique de ses richesses ? Comment gouverner un sous-continent alors qu’ « on » impose à ses ressortissants des gouvernants qu’ils refusent ? Tant de questions dont les réponses suscitent des vives réactions de part et d’autre ! Pourtant, seuls les congolais auront à donner les réponses !

Les Congolais(es) « Les congolais ne s’entendent pas » dit-on ! Mais ces suédois, ces espagnols, ces français, ces russes et tous ces autres, s’entendent-ils si merveilleusement ? Et, n’a-t-on pas essuyé ici en Europe deux guerres mondiales et une dizaine de conflits fratricides ?

« Les congolais sont tribalistes » dit-on avec un certain mépris ! Que dire alors des flamands, des wallons, des bretons, des corses, des catalans, des écossais etc. ? Qu’on ne s’entende pas dans nos sociétés multiethniques, quoi de plus normal ! Par contre, pareille attitude chez « d’autres » nous semble intolérable, voire même « arriérée » !

« Le congolais est paresseux » entend-on par ci par là ! Mais, qui a déjà contemplé cette marée humaine journalière qui, à partir de quatre heures du matin, se lance, tel un serpent gigantesque, à partir des bidonvilles surpeuplés vers le centre-ville parfois distant d’une dizaine de kilomètres ? Et tout ça pour un salaire de misère de quelques dollars par mois ! ! Et, toutes ces femmes, bébé sur le dos, sac de manioc ou de makala (charbon de bois) sur la tête, sachet ou bidon dans la main, qui se rendent au marché pour y vendre ou y acheter, gobelet par gobelet, verre par verre, une poignée de nourriture pour les nombreuses bouches affamées qui attendent !

Que dire encore de ces enfants qui, souvent le ventre creux, munis d’un semblant de cartable à la main, se tapent des kilomètres pour « pouvoir » fréquenter une école et tout ça avec le sourire au visage !

Grands, petits, hommes, femmes, enfants, tous essaient de survivre grâce à « l’article 15 », nous inconnu ! ! Quelle injure d’oser parler de « paresse » ! ! En dépit de toutes ces misères bien formés qui, malheureusement mais pour des raisons évidentes, ont quitté le pays en attendant – espérons-le – des temps meilleurs.

L’Armée congolaise : Cette armée, louée par les uns et maudite par les autres, a joué, joue et jouera un rôle primordial dans l’évolution du pays, quoi que les fameux « experts d’Afrique » qui meublent nos cabinets politiques en pensent. Le problème en est qu’en Occident on n’est pas (ou plutôt plus) conscient des réalités Africaines. On a oublié qu’une armée adéquate est souvent l’unique organisation du pays dotée des moyens nécessaires à une survie dans ces conditions particulièrement difficiles qui caractérisent beaucoup de pays d’Afrique.

Dès lors, quoi de plus logique que de mettre en place une armée républicaine à la disposition du pays et de sa population ! Or, que constate-t-on ? Le contraire ! Les leaders Africains ne respectent généralement pas le concept d’une armée unique et républicaine. Ils préfèrent s’entourer d’une garde prétorienne complètement assujettie à leur personne où les promotions sont exclusivement basées sur la loyauté au Chef. D’où un clivage grandissant avec l’armée régulière, d’autant plus que le peu des moyens est prioritairement et systématiquement attribué à cette « garde privée » !

Pour le cas d’espèce du Congo, la Communauté Internationale a favorisé plutôt la mise en place d’une armée de ramassis de rebelles commandée par des officiers sortis tout droit de la brousse sans formation aucune ! De surcroit, cette même Communauté Internationale dote le pays d’un pouvoir politique (sic) lui aussi constitué d’un ramassis de seigneurs de guerre et de rebelles, tout ça inondé d’une « sauce démocratique à l’occidentale » !

Un autre élément qui ne contribue pas à la cohésion au sein de l’armée congolaise est la multitude des coopérations militaires qui « s’occupent » de l’armée ! Chaque pays amène sa vision, son matériel, sa logistique, ses tenues, ses mentalités, sa façon de faire etc. Cela entraine inévitablement des problèmes de standardisation et un climat concurrentiel malsain au sein de l’armée. De même avec les formations « extra muros » de certains cadres de l’armée ! Les EFO-istes, les ERM-istes, les St Cyriens, les Sandhurstiens, les « israeliens », les Rangers etc. se concurrencent directement ainsi qu’indirectement à travers les Coopérations Militaires présentes au pays, et ceux-ci n’hésitent pas de soutenir activement leurs « poulains » auprès des autorités locales. Outre les suspicions que cela entraine de la part des dirigeants, ceci ne favorise évidemment pas la cohésion dans l’armée, ni son opérationnalité !

Last but not least, il y a sous-paiement, voire même non-paiement tout court de l’armée avec comme conséquence néfaste les militaires qui se rabattent sur les populations afin de récupérer leur dû ! La négligence criminelle des autorités politiques face à ce problème contribue à clochardisation de l’armée, qui par nécessité de survie – les armes à la main – se lancent dans la commercialisation des ressources du pays tout en se distanciant du pouvoir en place et en causant des malaises au sein de l’armée, voire mêmes des mouvements insurrectionnels jusqu’à des rebellions contre le pouvoir central !

De quoi s’étonner qu’actuellement rien ne marche au Congo ! Et pourtant, ce ne sont pas les militaires valables qui manquent au Congo ! Toujours faut-il qu’on veuille bien les utiliser…

Un exemple parmi d’autres : Le General de Corps d’Armée Mukobo Mundende Paul. Cet officier général de grande valeur professionnelle et morale « chôme » actuellement au Luxembourg alors qu’il est parmi ceux – si pas le seul – qui pourrait faire avancer les choses au Congo. Intègre et courageux il fut le seul qui osa s’opposer aux inepties de certains hauts dirigeants de la IIème République, voire même au Président Mobutu ! Mais l’anecdote suivante illustre le personnage davantage. En 1985 – j’étais Directeur Adjoint des Achats des Forces Armées Zaïroises – le Général Mukobo fut nommé Chef d’Etat-major de la Force Terrestre. Suite à cette nomination le General Mukobo avait droit à une voiture de service et sur ordre du General Likulia, alors Secrétaire d’Etat à la Défense, je me rendis au Camp Kokolo pour lui proposer une Mercedes.

Après lui avoir annoncé la bonne nouvelle, le Général se levait de derrière son bureau, il me prit par la main et m’amenait sur le parking en face de son bureau. Il pointait du doigt une vieille jeep rouillée tout juste sortie de la II ème guerre mondiale et me dit : « Capitaine, dites à votre Secrétaire d’Etat que je n’ai pas besoin d’une Mercedes ! Tant que l’Etat Zaïrois est incapable de payer ses militaires convenablement je continuerai à rouler avec cette « carcasse » que j’essaie d’entretenir avec mon salaire de misère ! ! Qu’on me procure plutôt de la bouffe pour ma troupe » ! Abasourdi je quittais le camp ! Un général zaïrois qui refusait une Mercedes ! Du jamais vu !

Ce même général, grand ami de la Belgique fut relégué pendant 5 ans dans un village lointain de l’Equateur et ce par une imprudence / maladresse de la Coopération Militaire Belge !

En 1997, lorsque j’étais Attaché Militaire Adjoint auprès de l’Ambassade de Belgique, j’ai rencontré le General Mukobo avant qu’il ne parte au front à Mbandaka. Comme il était nommé gouverneur de la province de l’Equateur, je lui ai demandé de bien vouloir veiller à la sécurité des belges dans sa province, chose qu’il me promit et qu’il a fait ! En guise de récompense pour son amitié pour la Belgique, pour sa relégation partiellement à cause de la Belgique et pour la protection qu’il avait garanti aux belges de l’Équateur lors de la débâcle de 1997, la Belgique lui refusa un séjour sur son territoire sous le motif que « permettre le général à séjourner sur le territoire belge serait donner un mauvais signal aux nouveaux dirigeants de Kinshasa » (sic) ! ! En tant que belge j’ai encore toujours honte de cette décision incompréhensible, honteuse et lâche des responsables de mon pays ! « Petit pays, petit esprit » !

Je suis convaincu que l’ouvrage de Jean-Jacques Wondo suscitera un grand intérêt parmi toute personne qui s’intéresse au Congo. Comme déjà dit plus haut, il est certain que l’Armée Congolaise aura un rôle déterminant à jouer dans le développement du pays si bien qu’un ouvrage décrivant en détails l’évolution des forces armées au Congo peut constituer une source d’analyse plus que précieuse. Depuis plus de dix ans que je suis les écrits de Jean-Jacques, je ne peux que souligner le sérieux et la rigueur de ses textes et de ses interventions ! Je ne peux que l’exhorter à continuer sur la même trajectoire!

Vansevenant Jan

Major d’Aviation e.r.

Ancien Directeur des Achats des Forces Armées Zaïroises

Ancien Attaché Militaire Adjoint auprès de L’Ambassade du Royaume de Belgique à Kinshasa

Janvier 2013

0

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

This panel is hidden by default but revealed when the user activates the relevant trigger.

Dans la même thématique

DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 23 Sep 2025 23:41:53| 231 0
Deuxième Forum Scientifique RDC-Angola
REGISTER Invités d’honneur: Ambassadeur B. Dombele Mbala, Ambassadeur J. Smets, Ambassadeur R. Nijskens Programme : Introduction par M. Jean-Jacques Wondo, Afridesk… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK
DROIT & JUSTICE | 23 Sep 2025 23:41:53| 219 0
RDC: Jean-Jacques Wondo témoigne de ses conditions de détention devant le Parlement européen
L’expert belgo-congolais en questions sécuritaires, Jean-Jacques Wondo, a dénoncé les conditions de sa détention en RDC, qu’il qualifie d’inhumaines, devant… Lire la suite
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 23 Sep 2025 23:41:53| 448 1
RDC-conflits : Pourquoi les accords de paix échouent
Depuis trois décennies, la RDC est le théâtre de l’un des conflits armés les plus meurtriers et les plus longs… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 23 Sep 2025 23:41:53| 1195 0
L’ombre structurante de Heritage Foundation sur la RDC : Une paix minée par des intérêts stratégiques et personnels
Résumé: Cet article examine l’accord tripartite signé le 27 juin 2025 entre les États-Unis, la République démocratique du Congo (RDC)… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK